HUMAN
Le CIO est de plus en plus architecte de l’agilité et de la résilience du business
Entretien avec Jean-Christophe Witz, CIO de Husky Technologies et CIO of the Year 2022.
October 6, 2022
CIO de Husky Technologies, Jean-Christophe Witz a été doublement salué lors du dernier Gala Golden-i. Au-delà du cloud award remis par Cloud Community Europe Luxembourg, il s’est vu décerner le prestigieux prix de « CIO of The Year 2022 – Driver of a changing world ». L’occasion pour nous de se pencher avec intérêt sur la transformation numérique d’un acteur industriel d’envergure globale.
Jean-Christophe Witz, que représente à vos yeux ce prix de CIO of The Year 2022 ?
Avant tout, une certaine reconnaissance de l’industrie dans le domaine de l’IT au Luxembourg. En effet, notre secteur est souvent peu représenté dans les awards qui sont décernés. Ce prix permet de mettre en lumière le travail que nous effectuons, les efforts entrepris par l’industrie en matière de transformation numérique de leurs activités. De plus en plus d’acteurs, à l’instar de Husky Technologies, investissent considérablement dans la mise en œuvre des usines du futur, repensant les processus, les modèles organisationnels, l’approche du marché, en intégrant les possibilités offertes par la technologie. Au-delà de l’outil et des processus de production, le numérique répond à des enjeux externes, permettant l’amélioration de la gestion de la supply chain ou encore de l’interactivité avec les clients et les partenaires.
Cet Award, au-delà, donne la visibilité aux équipes, vient saluer la passion et les efforts que les personnes à mes côtés (au Luxembourg, au Canada et travers le monde) réalisent au jour le jour. C’est une reconnaissance et une belle mise en lumière des accomplissements réalisés sur plusieurs années et de l’avancée que les équipes ont fait vers industrie4.0.
En tant que CIO dans le domaine de l’industrie, à quels grands challenges êtes-vous confronté ?
Le premier challenge réside dans la transformation de l’activité, à travers la mise en œuvre de l’usine du futur, et notamment le déploiement d’un proof of concept, que nous avons développé avec le soutien de Luxinnovation, à l’échelle de toute la production à travers le monde. C’est une transformation globale (end-to-end) qui implique des changements de processus, et un accompagnement des équipes à travers la formation. Un autre enjeu est d’explorer les possibilités de créer davantage de valeur au départ du numérique, à travers le développement d’une présence web/e-commerce ou de solutions de support au client au niveau de la partie « services ». C’est ce dernier projet, d’ailleurs, qui a été récompensé par le cloud award (voir notre article sur le prix de Cloud Community Europe Luxembourg).
Enfin la rétention et l’acquisition de ressources est un défi de plus en plus important dans un monde ou la technologie change constamment et où les talents sont de plus en plus demandés. Nos équipes digitales, au Luxembourg et dans le monde, grandissent significativement. Pour accompagner cette croissance, nous de développons une stratégie de développement des talents à travers les innovations que nous supportons et développons.
Comment ce projet d’usine du futur a-t-il été mis en œuvre au niveau de votre organisation ?
Au début de cette initiative, il y a quatre ans, l’IT était centrée principalement sur la partie opérationnelle, s’occupant de la gestion des réseaux, des bases de données et des applicatifs, du support. L’informatique supportait en outre la gestion de grandes implémentations de systèmes, de type ERP ou applicatifs. En 2018, le leadership a décidé de me donner la liberté de définir et d’implémenter en 18 mois un Proof of Concept pour notre usine du futur, qui consistait en une transformation digitale de la partie opérationnelle, de bout en bout. Étant parvenu à quelque chose de concluant, il a été décidé de déployer le concept à l’ensemble des entités du groupe. Dans cette optique, l’approche et la stratégie IT ont été redéfinies. L’IT et l’équipe digitale étant séparées initialement, la première initiative a été de consolider les équipes pour, ensuite, définir clairement la stratégie digitale afin de mener la transformation.
Que recouvre plus précisément le concept d’usine du futur ? Et comment cela se traduit-il chez vous ?
L’usine du futur a recours au numérique dans l’optique de garantir une cohérence accrue des processus et de la capacité de production, d’améliorer la qualité à travers des processus mieux contrôlés, de gérer plus efficacement les flux d’information entre les différents processus de production. C’est une transformation de bout en bout de la partie opérationnelle, qui s’appuie sur une gestion renforcée des données et de l’information. On collecte des données tout au long des processus pour les agréger au niveau de ce qu’on appelle un « digital twin ». On est de cette manière capable de modéliser les processus afin de mieux en mesurer la performance. C’est un outil puissant de gestion de la production, permettant, au regard des diverses variables, d’envisager les leviers permettant de gagner en performance.
Où en êtes-vous dans la mise en œuvre de cette usine du futur ?
Au-delà du POC, il a fallu mettre en place l’ensemble des éléments constitutifs de cette usine, une nouvelle approche de la gestion opérationnelle de l’activité, pour nous permettre d’avancer progressivement vers la situation cible. Ensuite, il faut déployer par étape, en considérant les dépendances et interdépendances tout au long des processus de production. À l’heure actuelle, 80% du déploiement à l’échelle du groupe a été effectué. Il reste quelques couches d’information à réaliser.
Les bénéfices de cette transformation se font-ils déjà ressentir ?
On constate une amélioration des performances et de la qualité par rapport à la manière de procéder qui prévalait auparavant. Surtout, on bénéficie d’une meilleure vue et compréhension du processus de production, grâce à une transparence accrue et à des outils analytiques plus poussés. Enfin, ces évolutions nous permettent d’envisager les étapes suivantes, avec l’intégration d’outils d’intelligence artificielle ou de machine learning.
La thématique de cette édition du prix du CIO of The Year était « driver of a changing world ». En quoi, selon vous, le CIO est-il plus que jamais pilote du changement ?
Le rôle de l’IT leader a profondément changé au cours des 15 dernières années, passant d’un rôle technique, support de l’activité, à celui d’acteur de la transformation de l’activité. Sa responsabilité est devenue beaucoup plus large en raison de l’évolution des technologies mais aussi de la dépendance de plus en plus grande des business process au numérique. L’interconnexion des systèmes entre eux, d’autre part, devient si complexe que l’informatique, selon l’architecture en place, peut constituer un frein ou, au contraire, soutenir l’accélération de la croissance de l’entreprise. Enfin, le CIO doit aujourd’hui considérer les enjeux de « compliance » et de cybersécurité, les évolutions du cadre législatif, et appréhender de manière plus fine les enjeux, risques et opportunités business.
Le CIO devient, avec le CEO et les business leaders, un architecte d’une agilité business, conférant aux sociétés la capacité de s’adapter rapidement aux changements et de devenir hyper résilientes face aux crises économiques, géopolitiques ou autres. On peut par exemple évoquer les enjeux relatifs à la gestion de la chaîne d’approvisionnement, dont on parle beaucoup en ce moment. Vis- à-vis de l’activité, le CIO doit assurer la transparence des données et la flexibilité de systèmes dans le but de permettre à l’activité de croître de façon pérenne malgré les challenges imprévisibles que nous rencontrerons dans le futur.
Si l’on prend les problématiques liées à la chaîne d’approvisionnement, en quoi la transformation opérée permet-elle d’être plus agile ?
Par la transparence qu’elle apporte. Cela implique toutefois d’étendre les enjeux de transformation, de partage de l’information, au-delà des opérations internes, en connectant les acteurs de l’ensemble de la chaîne de valeur. Cela ne met pas à l’abri d’une problématique de pénurie, mais cela permet de réagir plus efficacement, de s’adapter en fonction d’un besoin immédiat. L’enjeu est d’offrir à l’industrie la capacité de prendre les meilleures décisions. A l’avenir, ce rôle devrait se renforcer plus encore pour permettre à l’entreprise de s’adapter, quel que soit le contexte.
Si l’industrie se numérise, vous affirmez que l’humain reste le moteur du changement. Quelle est sa place dans cette industrie 4.0. ?
Oui, l’industrie se transforme en profondeur avec le numérique. Toutefois, ce changement n’est possible que si l’on intègre la dimension humaine avant toute chose. On ne peut pas mener une telle transformation sans disposer de talents, sans avoir une stratégie robuste de développement des compétences. Or, le manque de ressources dans certains domaines technologiques constitue déjà un frein à certains développements. La technologie évolue plus vite et exige des équipes de pouvoir s’adapter aussi avec agilité.
Au niveau du business, trop souvent, l’impact de la transformation numérique sur l’homme n’est pas suffisamment considéré par les entreprises. Le risque réside dans un potentiel désengagement des équipes. Or, la transformation ne se limite pas à déployer des outils technologiques. Elle implique de repenser les processus, les rôles et les responsabilités, de redéfinir les compétences nécessaires pour soutenir l’activité.
Ces trois dimensions – Technology, Process, People – doivent être appréhendées avec le même degré d’importance. Il est important de s’assurer que l’on embarque l’ensemble de l’organisation dans la transformation. C’est critique. Il faut que chacun y trouve de la valeur.
Et si l’on considère le déploiement de l’IA au niveau opérationnel, avec la capacité pour la machine de prendre des décisions, il est important de l’envisager de manière cohérente. Il faut pouvoir définir les rôles de l’humain et de la technologie.
Comment convaincre de l’opportunité de s’engager dans un projet de transformation d’une telle envergure ?
Cela ne peut s’imaginer sans le support du leadership. Une telle transformation n’est pas uniquement un chantier numérique. On parle de ré-architecturer l’ensemble de l’activité dans une optique de création de valeur business. Pour convaincre, il faut avoir un concept, démontrer sa pertinence à une petite échelle. C’est le rôle du POC. Au-delà, un tel projet ne relève pas du seul CIO. Des groupes transversaux à l’entreprise sont créés, mêlant IT, business, RH, finance, marketing… pour s’assurer de faire de ce projet un succès, pour l’aborder dans toutes ses dimensions, en conservant une direction commune. Il faut un alignement d’intérêts, définir clairement un objectif commun, avant d’établir au sein d’une roadmap la cadence de la transformation, les efforts à réaliser. Tout au long du projet, il faut pouvoir délivrer régulièrement de la valeur.
Comment voyez-vous évoluer le rôle de CIO à l’avenir ?
Il sera de plus en plus important. Comme je le disais, aujourd’hui, il devient de plus en plus un support critique à l’architecture du business, supportant l’agilité de l’organisation et de ses métiers. Cela passe notamment par un meilleur usage et une valorisation plus poussée de la donnée ainsi que par la flexibilité des systèmes, afin de permettre au business à s’adapter aux changements.
La data est aujourd’hui perçue comme une fondation de l’industrie 4.0. Elle est aussi une source de création de valeur importante, encore souvent sous-exploitée. Au départ de l’information disponible, à travers la mise en œuvre de plateformes facilitée par le recours à des ressources cloud, on peut imaginer de nouveaux modèles business, pour accompagner nos clients mais aussi servir d’autres acteurs appartenant à un même écosystème. L’IT, à l’avenir, se présentera davantage comme un business enabler, explorant des marchés en dehors du cadre de l’organisation. Une technologie mise en œuvre pour répondre à des besoins internes, par exemple, pourrait très bien servir à d’autres acteurs, et ce en s’appuyant sur les possibilités d’évolutivité qu’apporte le cloud.
Comme je le disais, enfin, le rôle du CIO a tendance à s’étendre, englobant une plus grande diversité d’enjeux – business, compliance, cybersécurité, gestion des compétences – qu’il faut pouvoir appréhender. – qu’il faut pouvoir appréhender.
CIO of the Year 2023 : les candidatures sont ouvertes !
Qui succèdera à Jean-Christophe Witz, élu CIO of the Year en 2022 ?
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