HUMAN

Une culture de l’échec à insuffler

Souvent très mal perçu dans notre culture européenne, l’échec est pourtant un formidable levier d’amélioration pour l’homme comme pour l’entreprise. Dans un livre sous-titré « Une vie à apprendre par l’échec », James Dyson – inventeur de l’aspirateur bien connu - revient sur sa longue carrière, animée par sa farouche obstination à trouver des solutions nouvelles malgré le poids des conventions, les doutes des plus sceptiques et la poursuite d’expériences pas toujours très heureuses...

September 3, 2024

Il lui aura fallu 5.127 prototypes artisanaux avant d’arriver au « Dual Cyclone », l’aspirateur sans sac qui a fait sa réputation ! Lourdement endetté, il a tout risqué dans sa quête d’un objet nouveau et meilleur. En matière de « test and learn », James Dyson sait de quoi il parle. Trop onéreux, son lave-linge Contrarotator, dont les deux tambours tournaient simultanément en sens inverse pour fournir « un linge plus propre en moitié moins de temps », n’a ainsi jamais trouvé son marché… « Présenter l’innovation comme une fulgurance relève du folklore », estime-t-il dans cette autobiographie aux accents de manifeste à destination des jeunes ingénieurs et scientifiques de la tech.

Selon lui, « l’illusion archimédienne d’un instant eurêka » est un leurre. C’est pour promouvoir un mode d’apprentissage pratique à rebours des cursus universitaires classiques et relativiser l’impact de l’échec qu’il a fondé le Dyson Institute of Engineering and Technology en 2017. Environ 150 jeunes y étudient pendant 4 années, rémunérés dès le premier jour et voués à rejoindre les rangs de l’entreprise familiale devenue un acteur mondial et dont les produits sont vendus dans plus de 80 pays.

Aujourd’hui, faire preuve d’audace, oser prendre des risques, inventer de nouvelles idées, se montrer disruptif, « sortir de la boîte », font partie de ces nouvelles attentes formulées par les dirigeants à l’égard de leurs collaborateurs. Mais cela ne peut se faire sans un changement de mentalité important. Parce que, pour devenir plus innovant et se différencier de ses concurrents, il faut aussi être en mesure d’accepter le risque d’échec et de soutenir ceux qui se trompent de voie…

Un apprentissage de tous les instants

Il faut bien avouer que l’échec est encore très mal perçu dans nos pays occidentaux, notamment dans le management traditionnel, qui est très centré sur la recherche d’excellence, de performance et de qualité totale. Nous aurions donc tout intérêt à développer une culture de l’échec. Pour cela, les entreprises doivent créer les conditions favorables pour qu’elles n’altèrent, ni l’estime, ni la confiance d’un salarié qui aura vécu un échec, et que cet échec soit considéré comme un apprentissage dont les enseignements seront source de progrès.

L’innovation managériale a pour but de faire évoluer les postures en conséquence et instaurer un cadre de travail qui soit bienveillant ou les personnes qui ont vécu des échecs puissent en parler librement et ouvertement, tout en se sentant soutenues.

Entre culpabilité et audace

La définition du Larousse est sans appel, l’échec est le « résultat négatif d’une tentative, d’une entreprise, d’un manque de réussite. » Et, afin de bien nous montrer ses effets néfastes, il y ajoute les synonymes : défaite, insuccès, revers ou y adjoint le mot subir. Car, en effet, l‘échec se subit et même se cache comme la plus grande des hontes.

L’échec, plutôt que d’être pris comme un événement isolé, serait ainsi considéré comme quelque chose de personnel, d’inhérent à la personne coupable. Elle la définirait et pourrait même coller à sa réputation dans le temps. Une perception loin d’être partagée dans d’autres pays où il apparaît davantage sous un angle positif.

Ou, du moins, fait-il l’objet d’une dramatisation bien moindre. Pour les Américains, par exemple, il serait vécu comme une étape nécessaire à tout succès. « Avoir échoué, en France, c’est être coupable. Aux États-Unis, c’est être audacieux », confie le journaliste Simon Blin dans Libération. De même, dans les pays nordiques, l’échec serait appréhendé comme une expérience ou une aventure.

Améliorer la confiance en soi des salariés

Dans nos pays, celui qui vit un échec devient un raté. Dans une entreprise, il est mis au banc des accusés, sans autre forme de procès. Résultat ? Démotivation, perte de confiance en soi, impossibilité de se rattraper… Un comble lorsqu’on sait que, dans les pays anglo-saxons, on parle de « culture du rebond » quand on évoque l’échec. Ainsi, si le concept était valorisé en entreprise, il y aurait davantage de salariés capables de reprendre le dessus en cas de coup dur et de passer outre pour apprendre et progresser. Confiants en eux-mêmes, ils seraient, sans aucun doute, les meilleurs éléments de l’entreprise.

Offrir une image plus authentique, à laquelle il est facile de s’identifier

Les posts LinkedIn et Instagram vantant les succès sans bavure de certains ne font plus l’unanimité. Pour une entreprise, c’est encore pire. À l’heure de la quête de sens au travail pour les salariés et de la guerre des talents, il ne fait pas bon afficher une image lisse peu réaliste. Vous voulez recruter et fidéliser ? Soyez vrai et montrez la réalité de votre parcours. Vous travaillerez ainsi votre marque employeur et pourrez entreprendre un marketing RH de qualité.

Il est d’ailleurs de plus en plus courant de lire des récits d’échecs ou de valorisation des imperfections. Car derrière tout succès se cache une réalité tout autre, faite d’aléas ayant mené à celui-ci. En effet, malgré ce que l’on aimerait nous faire penser, personne n’est parfait. Difficile dans ce cas de demander à ses collaborateurs une exemplarité sans faille.

S’inscrire dans une démarche d’amélioration continue

Ne dit-on pas que l’on apprend de ses échecs ? Celui qui n’en a jamais connu reste donc souvent dans une vision très idéaliste et non réaliste des choses. Au premier faux pas, sa chute sera rude, mais il en sortira du positif. Il aura appris. En effet, l’apprentissage est aujourd’hui essentiel si l’on souhaite survivre à un monde qui va à 200 à l’heure.

Obsolescence des compétences, accélération de la digitalisation, nouveaux modes de travail, crises à répétition… Le monde change : s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue devient une nécessité pour rester innovant et performant.

Vous avez du mal à y croire ? Philippe Rambaud, un entrepreneur qui a connu la faillite, a créé l’association « 60 000 rebonds ». Celle-ci a pour vocation d’aider les entrepreneurs à se relever après un échec. Pour lui, « objectivement, la meilleure forme d’apprentissage, c’est l’échec. C’est le meilleur moment pour apprendre.» Les Américains « considèrent donc qu’avoir des cicatrices, avoir des faillites dans son CV est positif. Alors qu’en France, on nous dit qu’il ne faut absolument pas avoir d’échec ».

Watch video

In the same category