HUMAN
La bonne inspiration de Hubert Mansion & Raymond Schadeck
L’un et l’autre ont en commun d’avoir vécu une expérience unique, leur permettant de se recentrer sur eux-mêmes et la nature. Pour eux, relever les défis du développement durable nécessite de comprendre l’importance de la nature pour l’homme et de se reconnecter avec elle. C’est ce à quoi ils contribuent à travers le développement de l’Université dans la Nature.
January 9, 2024
L’un et l’autre ont eu une carrière professionnelle, exaltante et remarquable, bien que souvent à l’opposé des préceptes de développement durable. Hubert Mansion, ancien avocat des stars, s’est construit une solide renommée dans le monde du showbizz, contribuant à renforcer l’éclat des célébrités.Raymond Schadeck est bien connu de la sphère business luxembourgeoise, en tant qu’ancien dirigeant de l’une des principales sociétés d’audit et de conseil du pays, désormais administrateur indépendant. L’un et l’autre ont en commun d’avoir vécu une expérience unique, leur permettant de se recentrer sur eux-mêmes et la nature. Pour eux, relever les défis du développement durable nécessite de comprendre l’importance de la nature pour l’homme et de se reconnecter avec elle. C’est ce à quoi ils contribuent à travers le développement de l’Université dans la Nature.
Raymond, pouvez-vous nous expliquer ce qui, au cœur de votre parcours, vous a amené à devenir un grand ambassadeur d’une approche responsable et durable du business au Luxembourg ?
Raymond Schadeck : Tout au long de ma carrière professionnelle, j’ai évolué dans un cabinet des Big 4 (on parlait d’ailleurs des Big 8 à l’époque). De 1998 – 2002 et de 2006 à 2010, j’étais à la tête de l’un d’eux. Ces structures mettent toutes en œuvre un programme similaire. À l’âge de 55 ans, on quitte l’entreprise, en cédant ses parts, souvent pour officier en tant qu’administrateur indépendant dans diverses organisations. En 2009, peu de temps avant de passer le relais, mon fils m’a fait part d’un souhait original, celui d’aller vivre comme un moine bouddhiste, pendant un mois, dans le nord de la Thaïlande. J’ai décidé de partir expérimenter cela avec lui.
En quoi consistait cette expérience ?
Raymond Schadeck : Nous avons troqué nos vêtements contre une kesa, l’habit traditionnel des moines bouddhistes. On s’est fait raser les cheveux et les sourcils. Nous avons vécu pendant plusieurs semaines dans la désuétude la plus totale, sans téléphone, sans musique, sans argent. Le matin, comme les autres moines, nous devions aller faire la quête pour trouver de quoi subsister. Nous avons aussi passé beaucoup de temps à méditer, à nous recentrer sur nous- mêmes ; et tout cela en pleine nature. Cette expérience a contribué à nous rapprocher avec mon fils. Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de nous parler pour nous comprendre. Au-delà, cela m’a permis de prendre conscience de la chance que j’avais eue.
Qu’est-ce que cela a changé dans votre vie ?
Raymond Schadeck : À mon retour, j’ai décidé que, désormais, je consacrerais au moins la moitié de mon temps à des projets sociaux ou sociétaux, principalement tournés vers l’éducation sous toutes ses formes et le développement durable. Ce mois passé en Thaïlande constitue une expérience de soi. Dans ce contexte, on est obligé de s’écouter soi-même. On se rend compte de l’importance de se respecter soi autant que les autres et l’environnement dans lequel nous évoluons. La course à l’argent ou à la reconnaissance, qui a animé la plupart des personnes de ma génération, apparait alors bien vaine. Je me suis dit que j’avais de l’expérience, un réseau, que le monde avait besoin de se transformer et que je pouvais y contribuer. Il ne s’agit pas d’inviter tout le monde à devenir bouddhiste, mais de contribuer, à son échelle, à une société plus respectueuse de chacun.
Quel regard portez-vous sur votre carrière au cœur de ces structures figurant parmi les plus importants symboles d’une économie néo-libérale ?
Raymond Schadeck : Je ne regrette pas ma carrière. Au contraire. J’ai pu m’y épanouir. Travailler avec des gens formidables. Aider des personnes à grandir professionnellement. Dans mon travail, ce qui m’intéressait, c’était de travailler avec les gens autour de moi, la gestion de l’humain. J’aimais motiver des équipes, soutenir leur cohésion, accompagner des jeunes dans la réalisation de leur projet professionnel.
Je dois toutefois dire que, personnellement, jeune homme, je voulais devenir menuisier. Mes parents m’ont d’abord dit de passer mon Bac et de faire des études de sciences économiques et de droit. C’est ce qui m’a amené vers cette carrière, gagnant toujours un peu plus d’argent. Pendant de nombreuses années, j’ai travaillé à mi-temps : 12 heures par jour. Aujourd’hui, je suis plus attentif à ce que je souhaite faire, à ce que j’aime faire, à ce à quoi je contribue. Je constate que les jeunes générations ne raisonnent déjà plus comme on a raisonné. Il ne s’agit plus de gagner autant d’argent que possible, mais de faire ce que l’on désire.
Hubert, vous étiez connu pour être l’avocat des célébrités. Vous avez aussi vécu une expérience qui vous a transformé. Pouvez-vous nous la raconter ?
Hubert Mansion : Au cours de ma carrière, j’ai vécu une dépression profonde, un burn-out. Il m’a cependant fallu du temps pour comprendre ce qui m’arrivait car à l’époque on ne parlait pas encore de ça. Mais j’ai compris qu’il fallait que je quitte l’environnement dans lequel j’évoluais, le monde du show-business. J’ai ressenti le besoin de me réfugier dans la nature, ce qui n’avait rien d’une évidence pour la personne que j’étais. Je suis parti au Canada. Je me suis retiré, pour réfléchir à ma personne, à mon futur. Je me suis rendu compte de l’impact de la nature sur moi, des bienfaits qu’elle m’apportait. J’ai voulu approfondir cela et plus tard, alors que j’écrivais un livre sur cet épisode de ma vie, j’ai commencé à rassembler avec mon épouse Émilia des études scientifiques qui étayaient l’importance de la nature pour l’humain, pour son bien-être, sa santé, son épanouissement. C’est comme cela qu’est née l’Université dans la Nature au Canada.
Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?
Hubert Mansion : Je me suis rendu compte que je n’avais pas été fidèle à ma propre nature, à moi-même. Et que c’était là le fond du problème. Si, en apparence, j’évoluais dans un monde de glamour enviable, je n’étais pas dans mon élément. D’autre part, j’ai pris conscience que nous avons un besoin profond de contact avec les éléments naturels, avec le vivant, pour vivre heureux, en bonne santé psychique et physique. Il faut rappeler que l’homme a été façonné par la nature, pour la nature. Nous avons passé plus de 99,99 % de notre évolution au contact permanent de la nature. Cette expérience de retrait a été révélatrice. J’ai compris que, en travaillant dans le showbiz, je contribuais à ce que j’appelle aujourd’hui la fabrique des illusions. J’ai conseillé beaucoup de personnalités dans l’optique de leur permettre d’accéder à la notoriété. La mécanique du succès m’intéressait beaucoup et j’en maîtrisais assez bien les rouages. J’ai écrit à ce sujet un livre intitulé « Tout le monde vous dira non » à ce sujet. Je me suis alors demandé alors quel était le sens de tout cela ? J’en ai trouvé peu , si ce n’est l’entretien d’un système, l’alimentation des illusions qui contribuent à soutenir la consommation. Sans ces illusions que l’on entretient, la machine se grippe.
Alors que l’on insiste sur l’importance de s’inscrire dans une démarche de développement durable, beaucoup nous disent qu’il est essentiel de développer des idéaux à l’opposé des illusions que vous avez évoquées, faites de gloire, de richesse, de strass… Quel regard portez-vous là-dessus ?
Hubert Mansion : Je ne pense qu’il s’agisse de remplacer des illusions par d’autres. L’important, à mon sens, et c’est ce à quoi nous contribuons avec l’Université dans la Nature, c’est la reconnexion avec notre propre nature d’être vivant. Nous devons nous retrouver nous- mêmes, apprendre à vivre avec qui nous sommes, ce que personne n’enseigne. Retrouver la nature, c’est toujours faire un pas vers sa propre nature car c’est d’elle que nous venons. Pour quoi suis-je fait, par quoi suis-je habité ? Quelles sont mes aspirations intimes ? Les désirs qui m’habitent sont-ils les miens ou ceux qu’on m’a inculqués ? Si, face aux défis environnementaux, on parle beaucoup de sobriété, c’est que le marché comme nous le connaissons aujourd’hui n’existe au fond que parce qu’on nous fait désirer des tas de possessions de manière illusoire. Il faut retrouver la sobriété des désirs.
Comment vos chemins se sont-ils croisés ?
Raymond Schadeck : C’est à Chamonix, en 2018, que j’ai eu la chance d’assister à un des programmes proposés par Hubert et son épouse, Émilia, autour de l’importance de la nature et de son impact sur nos vies. Ce fut pour moi un moment déterminant. Je me suis dit : « enfin une approche positive sur le développement durable, enfin un discours susceptible de convaincre de changer, de mettre en œuvre des modèles respectueux à la fois des gens et de la nature ». Aujourd’hui, la plupart des discours autour des enjeux de développement durable sont anxiogènes, génèrent un sentiment de culpabilité auprès de chacun. Cela ne fonctionne pas. Au contraire, si l’on parvient à générer des émotions positives, et pas de la culpabilité, on peut plus facilement induire le changement. L’Université dans la Nature contribue à cela. J’ai été séduit par le projet et participe aujourd’hui à son développement en Europe surtout.
Dans quelle mesure l’humain s’est-il éloigné de la nature ?
Raymond Schadeck : Au Luxembourg, où la nature n’est pourtant pas bien loin, nous avons entre autres mis en place un programme destiné aux lycéens. On a pu se rendre compte, en les emmenant en forêt, que beaucoup de jeunes n’entretenaient plus aucune relation avec la nature. Au point que, lorsqu’on invite 14 jeunes à s’asseoir par terre, en pleine nature, un seul le fait. Les 13 autres rechignent parce que c’est « sale ». C’est un constat inquiétant, auquel nous espérons pouvoir apporter une réponse à travers les programmes que nous proposons. S’il y a lieu de s’interroger sur la planète que nous allons laisser à nos enfants, il faut aussi se demander quels enfants nous allons laisser à la planète. Dans le cadre de ces groupes, toutefois, on recueille aussi des réflexions intéressantes. Des jeunes nous ont demandé si l’humain était effectivement un élément de la nature, au regard notamment de son comportement destructeur.
Quelle réponse l’Université dans la Nature entend-elle apporter à ces enjeux de transformation, de développement durable ?
Raymond Schadeck : Notre mission est de (re)connecter l’humain à la nature. Depuis plus de 30 ans, la science a accumulé d’immenses connaissances relatives aux bienfaits de la connexion avec la nature sur la santé et l’équilibre de l’humain. Hubert, à l’issue de sa retraite dans la nature, a commencé à rassembler ces savoirs. À l’heure actuelle, l’Université dans la Nature a recensé plus de 5.000 études scientifiques évoquant les bénéfices d’une proximité entretenue avec la nature. Nous pensons qu’il est urgent d’intégrer ces connaissances, de les mettre en pratique au cœur de nos sociétés, dans nos communautés, au niveau des écoles, dans les hôpitaux ou au sein des environnements de travail.
« Notre mission est de (re)connecter l’humain à la nature »
Hubert Mansion : Il faut faire la distinction entre « connexion avec la nature » et développement durable. Au Canada, le développement durable est une thématique encore synonyme de réglementations, de restrictions. Pour d’autres, c’est un changement perçu comme une opportunité, un levier pour continuer à faire de l’argent. Il est plus rare que l’on parle effectivement du lien que nous entretenons avec la nature, de notre besoin de nous reconnecter avec elle, de la place que nous occupons en son sein. Notre souhait est d’offrir à chacun la possibilité de se reconnecter avec la nature, en passant du temps en forêt, pour en faire sentir et en connaître les bienfaits. C’est pourquoi nous proposons notamment aux personnes que ce sujet intéresse de devenir guide de reconnexion nature .
Vous évoquez des bienfaits. Pouvez-vous nous dire ce que cette reconnexion avec la nature apporte ?
Raymond Schadeck : Des études ont révélé que, dans la lutte contre le cancer, le fait de passer deux fois 2 heures en forêt en une semaine avait pour effet d’augmenter de 50 % le nombre de cellules anticancéreuses et de 56 % leur activité. À la suite d’une opération, un patient qui dispose d’une vue sur des arbres depuis son lit d’hôpital se rétablit plus vite avec un besoin en médicaments largement inférieur qu’un autre qui n’a pour seul horizon que le béton. On a pu établir que dans les quartiers de ville végétalisés, la prescription d’antidépressifs et la criminalité reculaient.
Hubert Mansion : Dans nos sociétés, on s’attache beaucoup à remédier aux conséquences, plutôt que de traiter les causes. On parle beaucoup, par exemple, de ‘healthcare’. En réalité, les politiques menées en termes de santé publique s’apparentent avant tout à du ‘sickcare’. Comme l’évoquait Raymond, de nombreuses études scientifiques démontrent pourtant que la proximité entretenue avec la nature contribue à nous préserver en meilleure santé. On peut, dès lors, se demander quelles économies pourrait réaliser la sécurité sociale en incitant chacun à aller plusieurs fois par semaine se promener dans les bois.
Si la science démontre cela, pourquoi peine-t-on toujours autant à se reconnecter avec la nature ?
Hubert Mansion : Sans l’affect, le savoir ne suffit pas à initier le changement. Il faut les deux, ce qui signifie qu’il faut réintroduire l’affect de la nature, notamment dans les écoles. Le développement durable ne suffit pas. C’est pour cela que nous emmenons les personnes au cœur de la nature . Pour qu’ils la ressentent en même temps qu’ils en apprennent les bienfaits.
« Sans l’affect, le savoir ne suffit pas à initier le changement »
Raymond Schadeck : Cette prise de conscience des bénéfices de la nature pour l’Homme est nécessaire si l’on veut parvenir à engager la transition visant à la préserver. De manière générale, l’être humain n’aime pas le changement, surtout s’il y est contraint. Par contre, si on prend conscience des bénéfices d’un développement respectueux du vivant sous toutes ses formes, on peut plus facilement engager une évolution des modèles. La transition à opérer implique une approche à long terme. La question est de savoir si on dispose encore d’un tel délai ? Il est important, cependant, de sortir de l’inaction dans laquelle nous restons coincés depuis plus de 30 ans.
Est-ce qu’entretenir un lien plus étroit avec la nature peut avoir de relations positives dans le cadre de l’entreprise ?
Raymond Schadeck : Les personnes régulièrement en contact avec la nature voient leur fonction cognitive augmenter, tout comme leur productivité, leur créativité, leur capacité à innover. D’autre part, le stress et l’agressivité ont tendance à diminuer. La science a prouvé qu’après 90 minutes passées à se promener en forêt, les ruminations négatives se transforment en ruminations positives. Autrement dit, plutôt que de se concentrer sur les problèmes, ce sont des idées et des solutions qui émergent.
Hubert Mansion : Dès lors, il faut aussi pouvoir travailler avec des dirigeants et leurs équipes sur ces enjeux. Il faut pouvoir faire évoluer leur relation à la nature. La plupart aiment la nature, aiment y passer du temps dans le cadre de leur loisir. On peut aller au- delà, intégrer le contact avec la nature au cœur de l’entreprise, en proposant des réunions en marchant ou simplement en amenant des éléments naturels dans le cadre professionnel comme le propose le « biophilic design ». La prise de conscience des bienfaits et de l’importance de la nature dans nos vies conduit de manière spontanée au développement de politiques positives.
La nécessité d’adapter son business model, d’intégrer des indicateurs environnementaux, mais aussi sociaux ou de bonne gouvernance apparaît alors comme évidente aux yeux des dirigeants qui ont fait cette expérience.
Raymond Schadeck : Ce sont des discussions que je porte dans le cadre de mes mandats d’administrateur, notamment.
Avez-vous des exemples ?
Raymond Schadeck : Au sein de Luxexpo, je prône une approche plus durable du développement de l’activité. Nous avons notamment pu convaincre nos actionnaires d’adapter nos statuts, pour que chaque décision prise tienne désormais compte des enjeux financiers, sociaux et environnementaux.
Au-delà, il faut pouvoir mieux mesurer les impacts de nos activités, voir comment faire évoluer notre offre. C’est une démarche d’amélioration continue. Cependant, c’est à nous, en tant que partie intégrante de cette nature, qu’il appartient d’agir. Un proverbe africain dit « qu’un lion rugissant ne tue aucun gibier ». Discutons moins, agissons plus. Les trois dimensions de l’ESG sont étroitement liées. On ne pourra pas réduire notre impact environnemental, le « E », si on ne travaille pas, avant tout, sur nous-mêmes, sur la société. Les actions, les idées et leur mise en œuvre impliquent la mobilisation de chacun, le « S », et d’une approche responsable, le « G ».