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La bonne inspiration de Alexandre Pachulski

Co-fondateur de Talentsoft, une société éditrice d’un logiciel au service de la personnalisation de la gestion du capital humain, Alexandre Pachulski est aussi l’auteur de divers ouvrages, nous invitant à donner du sens au travail et à promouvoir les singularités au cœur des organisations.

December 13, 2022

« Le business décorrélé du bien commun, cela ne va plus durer… »

Co-fondateur de Talentsoft, une société éditrice d’un logiciel au service de la personnalisation de la gestion du capital humain, Alexandre Pachulski est aussi l’auteur de divers ouvrages, nous invitant à donner du sens au travail et à promouvoir les singularités au cœur des organisations. Ce docteur en informatique, spécialiste de l’intelligence artificielle, passionné des enjeux RH et de changement, a évoqué avec nous plusieurs grands enjeux auxquels sont confrontés nos organisations. Cet amoureux de la pop culture (il vient de publier « Start-up story – Le guide pop culture de l’entrepreneuriat ») nous invite à envisager de nouveaux imaginaires collectifs, interrogeant l’apport de la technologie à travers eux et ne manquant pas une occasion de placer l’une ou l’autre référence populaire, du Seigneur des Anneaux à Iron Man ou Superman. 

 

Depuis quelques mois, on parle beaucoup de « grande démission » et de « démission silencieuse ». Qu’est-ce que cela dit du malaise qui parcourt actuellement notre société et nos entreprises ?

Je ne pense pas que le phénomène derrière le concept de « Big quit » soit anodin. Le phénomène est révélateur une réalité sous-jacente, dont le point de départ n’a pas été le Covid-19. La pandémie a agi comme un catalyseur. La tendance trouve son origine dans les années 2010, avec la gig economy. On alors commencé à voir des personnes quitter des fonctions de salariés en entreprise pour se mettre en indépendant et travailler à la pige. En réalité ces personnes sont parties parce qu’elles ne supportaient plus les modalités de l’entreprise, la manière dont les équipes étaient gérées. Elles ont alors préféré devenir leur propre patron.

 

En quoi le Covid a-t-il été un accélérateur ? 

« Beaucoup se sont rendu compte qu’ils pouvaient apprécier une qualité de vie bien meilleure, tout de suite, sans avoir besoin d’une augmentation »

J’ai écrit sur cela durant le confinement, évoquant la théorie de la papaye. Pendant dix ans, on a parlé de ce fruit exotique, sans jamais y goûter. Avec le confinement, d’un coup, tout le monde s’est retrouvé libre d’organiser son quotidien et ses horaires de travail comme il l’entendait. Tout le monde a pu savourer la papaye. La routine professionnelle a été cassée. A l’issue de cette période, beaucoup se sont dit qu’il n’allaient pas retourner vers ce qu’ils avaient connu. Avant la crise, ils couraient après une meilleure situation, vers des positions plus confortables financièrement. Après avoir expérimenté autre chose dans le contexte du confinement, beaucoup se sont rendu compte qu’ils pouvaient apprécier une qualité de vie bien meilleure, tout de suite, sans avoir besoin d’un meilleur job ou d’une augmentation. Et que cette liberté n’avait pas de prix. Cela a d’abord été ressenti au niveau des emplois de la restauration, un secteur qui propose des horaires difficiles pour un salaire moindre. Puis cela s’est étendu à une population plus large, dans un contexte d’avenir incertain en raison d’autres crises, climatiques et environnementales, empêchant de faire des projection à 5 ou 10 ans.

 

Le cocktail explosif du changement…

Si vous combinez le fait de ne plus trouver beaucoup de sens à votre travail à la possibilité de profiter d’une qualité de vie meilleure tout de suite, et pas demain, sans qu’il soit nécessaire de gagner plus d’argent, et à l’impossibilité de faire des plans à cinq ans en raison de l’incertitude actuelle… vous comprenez pourquoi les gens décident de vivre autrement. 

 

On dit souvent que le temps c’est de l’argent. La crise n’a-t-elle pas tout simplement fait évoluer le taux de change entre ces deux valeurs ?

Oui, vous avez raison. Le luxe, désormais, c’est désormais d’avoir du temps. Quelque chose a changé dans l’imaginaire collectif. Moi, j’ai 48 ans. J’ai grandi dans les années 80, où l’imaginaire des yuppies était très présent. On nous montrait énormément ces jeunes gens pressés, considérant leur niveau d’occupation comme un indicateur d’une vie bien remplie et pleine de sens. Tout cela s’est complètement transformé. Aujourd’hui, quelqu’un en costard qui court toute la journée va davantage être perçu comme quelqu’un qui passe à côté de sa vie. Et on aurait désormais plutôt tendance à ériger Gaston Lagaffe, le gars qui prend son temps et qui n’a pas envie de se tuer au boulot, en modèle. J’exagère, évidemment. Tout n’est pas aussi radical. Mais je suis persuadé qu’un changement est en train de s’opérer. 

 

Cela veut-il dire que notre rapport à l’argent évolue ? Que l’importance accordée jusqu’alors au salaire est moindre ? 

Oui. Et d’ailleurs plusieurs études le prouvent. On a démontré que, passé un certain seuil de revenus, situé entre 30 et 40.000 dollars par an, le bien-être des personnes n’évolue plus de manière linéaire avec le salaire. Pour être heureux, il faut avant tout un toit, de quoi manger et la possibilité de partir un peu en vacances. Le fait de partir plus loin et d’aller manger dans de meilleurs restaurants ne rend pas forcément plus heureux. Beaucoup se disent que cela ne vaut pas forcément la peine de s’oublier au profit du travail et d’un salaire seulement pour un meilleur restaurant.

 

Et pourtant, beaucoup des récits médiatiques véhiculés font l’apologie de l’argent facile, en érigeant en modèles Elon Musk, les influenceurs se la coulant douce à Dubaï, ou encore ces startuppers qui lèvent des millions. Ne sommes-nous pas face à une forme de miroir aux alouettes ?

Le Next 40, le classement des entreprises de demain en France, est aujourd’hui établi en considérant les plus grandes valorisations ou les levées de fonds les plus importantes. Étant membre de France Digitale, qui établit ce classement, je ne vais pas cracher dans la soupe. Cependant, l’imaginaire derrière ce classement est toujours celui des années 80, celui de Dallas. Il est essentiellement financier. Certes, on constate qu’il y a un déplacement de la zone de pouvoir de la City et des grands centres financiers vers les entrepreneurs. Désormais, on a tendance à faire croire au monde qu’il suffit d’une belle présentation d’entreprise sur un Powerpoint pour convaincre un fonds d’investissement de nous accorder 5 millions. La réalité est évidemment plus complexe. Les influenceurs, c’est aussi cet imaginaire de l’argent facile. Mais je ne pense pas que cela va encore durer très longtemps.

 

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Au sein de France Digitale, on réfléchit au classement de demain. C’est bien de faire des levées de fonds, c’est bien de convaincre des investisseurs, mais qu’en est-il de l’empreinte environnementale des projets portés ? La finance décorrélée du bien commun, cela ne va pas durer beaucoup plus longtemps. Demain, dans l’évaluation de la performance des entreprises, l’impact carbone sera considéré au même titre que sa capacité à lever de fonds ou à générer des revenus. Cet univers des influenceurs, s’il contribue à nourrir l’imaginaire, est aussi désormais énormément moqué. Le « récit » qui prône la réussite financière, qui anime toujours une grande partie de celles et ceux qui sortent de HEC ou de l’ESSEC, est de moins en moins dominant. Elon Musk, que vous évoquiez, est caricaturé à travers le personnage de magnat du film Don’t Look Up. Bien que je crois, contrairement à Warren Buffet, que son but est moins de s’enrichir que de proposer des alternatives à l’humanité dans une mégalomanie délirante. Zuckerberg est désormais honni de tous les startuppers. Google est pas mal critiqué. Mais votre question est intéressante… On peut se demander qui sont aujourd’hui nos modèles d’entrepreneurs. 

« Je ne suis pas certain qu’Elon Musk soit la figure qui inspire les personnes qui entreprennent aujourd’hui »

 

Quels seraient les vôtres ? 

Je ne suis pas certain qu’Elon Musk soit la figure qui inspire les personnes qui entreprennent aujourd’hui. Les modèles sont désormais davantage ceux qui s’engagent au service d’une société plus inclusive et plus durable, comme Christian Vanyzette de MakeSense, les acteurs qui développent des solutions de micro-crédit en Afrique, Raphael Masvigner, acteur de l’économie circulaire, Theo Scubla, qui aide les réfugiés. Tous ces entrepreneurs sociaux, pionniers dans leur domaine, ont un impact fort sur l’imaginaire collectif. Avec eux, toutes les mesures et indicateurs auxquels nous avons recours pour définir la réussite sont en train de changer. Dans trois ans, on ne sera pas dans le Next 40 si on pollue. 

« Les indicateurs utilisés pour définir la réussite sont en train de changer »

 

Revenons sur les enjeux RH, si vous le voulez bien. On parlait de la grande démission, en début d’entretien. Comment, du point de vue de l’entreprise, peut-on répondre à ce phénomène de désengagement ?

En se demandant pourquoi les personnes quittent l’entreprise… Est-ce qu’ils ne croient plus en rien ? Ou est-ce qu’ils ne veulent plus consacrer leur temps et leur énergie à une activité à laquelle ils ne croient pas. Je pense qu’il faut davantage aller chercher au niveau de la deuxième option. 

Pour répondre à cet enjeu, il faut recréer un imaginaire autour de l’entreprise, de ce que j’appelle la communauté. Une entreprise, c’est avant tout une réunion de personnes mues par une même cause. Au sein de Talentsoft, l’offre visait à créer un logiciel qui permette d’identifier le talent de chacun et de trouver les moyens pour qu’il puisse l’exprimer dans son travail. L’enjeu était donc de réunir au sein de nos équipes des personnes concernées par la cause. Et si elles ne l’étaient pas, de leur proposer au moins un travail qui réponde à suffisamment de leurs aspirations tant personnelles que professionnelles. Parmi les 600 personnes employés dans notre structure, toutes n’étaient évidemment pas concernées par la cause. Il nous importait, cependant, que les modalités du travail proposées répondent à leurs attentes. 

 

Comment adapter ces modalités ?

Il y a trois leviers pour cela. Premièrement, l’intérêt du job et la possibilité d’évoluer et d’apprendre de nouvelles choses. Deuxièmement, il y a l’environnement proche du collaborateur, à savoir l’équipe qui l’entoure et les valeurs partagées à ce niveau. Enfin, on peut évoquer l’environnement global, avec par exemple une organisation du travail qui respecte l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, les aménagements proposés, la politique salariale. Jouer sur ces trois variables, j’en suis certain, permet d’éviter ce phénomène de « Big quit ». Pourquoi les gens prendraient-ils plus de risque s’ils ont un environnement qui répond à leurs aspirations ? Il n’y a pas tellement de raisons.

 

S’il est plus aisé de donner du sens à son activité quand on développe un nouveau projet, c’est moins évident pour un business traditionnel, avec déjà un historique, comme un bureau comptable ou une société de service informatique par exemple. Comment insuffler du sens dans de telles structures ?

C’est moins évident et même impossible. Toute structure n’a pas vocation à devenir une entreprise à mission. Et il est même détestable de voir certaines organisations détourner la RSE pour donner une impression de sens qui, parfois, s’avère être opposée à la nature même de l’activité. S’il est difficile de faire valoir une cause, comme c’est le cas pour un bureau comptable d’une cinquantaine de personnes, il faut alors travailler sur les autres éléments évoqués : l’intérêt du job et l’environnement de travail proposé. On peut se demander ce que c’est d’être comptable en 2022, comment le métier peut évoluer, en faisant usage de l’intelligence artificielle par exemple. On a aussi vu beaucoup de comptables salariés se mettre à leur propre compte. Il y a alors lieu de s’interroger sur ce que l’entreprise peut leur offrir de plus, sur les éléments dont ils ne bénéficieront pas en étant seuls. Si vous souhaitez que les gens restent, il faut notamment considérer le lien social au travail comme un enjeu prioritaire. L’interaction avec les autres est une des raisons essentielles pour lesquelles on travaille.

 

Lors de l’événement WOOP, en septembre dernier, vous étiez invité à répondre à la question « a-t-on encore besoin de chefs ? » … 

Jusqu’à la nuit des temps, nous aurons besoin de chefs, au même titre que la notion de réussite existera. Mais si nous avons dit que le concept de réussite devait être revisité, la définition du chef doit l’être aussi. D’abord, je pense que nous n’avons plus besoin d’un chef, mais qu’il faut mettre le concept au pluriel. L’homme providentiel, c’est fini. Et c’est d’ailleurs ce qui permet d’expliquer l’actuelle crise politique en France, où l’on se réfère encore à la figure tutélaire de Charles de Gaulle. Ce n’est plus ce que les citoyens attendent. S’ils étaient sérieux, nos politiques feraient bien de s’en référer davantage à la Communauté de l’anneau de Tolkien, qui constitue un modèle politique plus pertinent aujourd’hui.

« S’ils étaient sérieux, nos politiques feraient bien de s’en référer davantage à la Communauté de l’anneau qu’à de Gaulle »

La pop culture, en effet, est au cœur de votre discours…

Oui, car elle est toujours au fait des tendances sociétales. Cette évolution vers des approches communautaires a d’ailleurs été traduite dans les Comics. Iron Man s’est entouré avec les Avengers. De Superman on a évolué vers la Justice League. Je me souviens d’une affiche de la Justice League, à l’époque, qui disait « vous ne sauverez pas le monde tout seul ». Si un Batman, un Superman ou une Wonder Woman reconnait ne pas être en capacité de sauver le monde, comment un homme politique pourrait apporter seul des réponses aux enjeux actuels ? 

« Le chef agit comme coordinateur-fédérateur. C’est un alchimiste. »

 

Quel est le rôle du chef ou des chefs ?

Le chef agit comme coordinateur-fédérateur. C’est un alchimiste. Prenons l’exemple d’un samedi soir entre potes. Au programme, il est prévu d’aller voir un film, mais chacun a une idée différente de ce qu’il souhaite regarder. Je vous garantis que, sans leader, vous irez au restaurant sans avoir vu de film. Le chef, c’est une personne qui, à un moment donné, va prendre le leadership pour permettre aux personnes en présence d’avancer. C’est ce que montre très bien la Communauté de l’anneau. Une fois, c’est le magicien qui va trouver une solution, une autre c’est l’Elfe ou encore la personne de petite taille qui va prendre l’initiative. Selon le moment, l’un ou l’autre pourra faire valoir les compétences les plus légitimes pour faire face à la situation. 

 

Ces dernières années, on a beaucoup parlé de l’entreprise libérée. Quelles seraient les clés de sa mise en œuvre  ?

C’est une notion qui a souvent été mal interprétée. La concept, porté notamment par Isaac Getz, ne dit qu’il pas qu’il faut se passer de chefs ou de managers. Il dit que lorsqu’on aplatit une organisation, mécaniquement, les chefs deviennent davantage des leaders de communautés. L’entreprise s’apparente alors à un ensemble de communautés, au sein desquelles chacun peut plus facilement interagir, partager des idées, prendre des initiatives. L’entreprise et sa gouvernance se reconfigurent pour adopter un mode de gestion par projets. Au final, on le voit, l’idée ne fait que recycler des concepts qui existent déjà. Au sein de chaque communauté ou projet, le leader du jour n’est pas forcément celui de demain. Ce n’est pas le galon qui fait le chef, mais la compétence utile ou la prise d’initiative à un moment donné. Le leader, c’est la personne la plus à même de créer l’alchimie et de fixer une direction intéressante à un moment donné.

 

Un de vos autres ouvrages « Unique(s) » prône l’affirmation de soi et de sa singularité au sein de l’organisation. Comment soutenir cette diversité, comment offrir à la multitude de singularités la possibilité de s’exprimer en entreprise ?

D’abord, il est important de parler de singularité plutôt que d’individualisme. La singularité doit être mise au service du bien commun, ne pas s’envisager au service de ses seuls intérêts personnels. C’est aussi pour cela que l’on a besoin de chefs, pour fixer un cadre et pouvoir dire « non » à des personnes qui feraient passer leurs intérêts avant ceux de la communauté. Ensuite, il faut pouvoir identifier les singularités. Tous les systèmes RH devraient servir à cela et à rien d’autre : identifier les talents et les aspirations de chacun. Après avoir fait un tel exercice, on se rend rapidement compte que beaucoup de personnes ne sont pas au bon endroit, qu’elles s’épanouiraient mieux ailleurs dans l’entreprise, où elles pourraient mieux s’affirmer et servir le projet commun. Chez nous, on a ainsi vu un gars changer quatre ou cinq fois de job, passant dans divers départements tout en s’épanouissant dans l’entreprise. Parce que ce qu’il aimait avant tout, c’était de résoudre des problèmes, quelle que soit leur nature d’ailleurs.

 

Bien appréhender les singularités de chacun dans une boîte de cinquante personnes, c’est encore envisageable. Qu’en est-il quand l’entreprise compte 1.000, 3.000, 10.000 collaborateurs ?

C’est un autre enjeu, qui nécessite de recourir à la technologie. Le manager qui connait tout le monde, ça fonctionne jusqu’à 100 personnes. Passé un certain cap, il faut d’autres approches. L’intelligence artificielle, par exemple, peut servir à détecter les singularités de chacun en vue d’offrir aux collaborateurs de meilleures perspectives, à la fois pour eux et pour l’entreprise. Dans une même logique, dans l’éducation, la technologie peut contribuer à détecter la forme d’intelligence des enfants dans l’optique d’adapter le dispositif d’apprentissage en fonction de chacun, comme on pourrait le faire dans une école où il y aurait 30 profs pour 30 élèves. Et on peut appliquer le même raisonnement dans tous les secteurs. 


« L’IA n’atteindra les buts qu’on lui prête, tout simplement parce que ces objectifs sont crétins »

Comment bien intégrer l’IA au cœur de l’organisation ?

Le problème est politique. On a beaucoup fabulé sur l’intelligence artificielle, pensant par exemple qu’elle allait nous remplacer. Elle n’atteindra cependant jamais les buts qu’on lui fixe aujourd’hui, tout simplement parce que ces objectifs sont crétins. Si le projet c’est de remplacer des gens par des machines, cela ne peut pas fonctionner. Et si le discours officiel précise que l’intelligence artificielle doit pour permettre aux collaborateurs de faire des choses plus intelligentes, on constate que ce n’est pas cela qui se passe. Si l’employeur peut remplacer une personne par un robot, il voit avant tout l’équivalent temps plein que cela lui permet de gagner. Quand le récit universel est le capitalisme et le productivisme, on comprend la crainte de se voir remplacé par des machines. La finalité n’est pas bonne.


Quelle finalité faudrait-il adopter ?

On peut envisager d’autres finalités que, simplement et bêtement, remplacer les gens. Si le but est de rendre la vie moins pourrie au travail, l’enjeu est déjà autre et cela m’intéresse davantage. A travers Talentsoft, ce qu’on a voulu faire, c’est utiliser l’intelligence artificielle pour mieux comprendre ce qui intéresse vraiment chacun, en considérant les articles qu’ils lisent, les gens avec lesquels ils interagissent de manière informelle, les formations qu’ils suivent. On peut aider les gens à mieux comprendre leurs aspirations, à trouver ce que les Japonais appellent l’Ikigai, là où convergent passion, profession, vocation, mission, et leur donner des perspectives d’évolution plus épanouissantes. 

 

Tant que la finalité est de gagner de l’argent et de l’accumuler, on se fourvoie donc… 

Je m’intéresse beaucoup à l’évolution de la tech et à la finalité poursuivie à travers sa mise en œuvre. Le métavers, par exemple, qu’est-ce que c’est ? Sinon, actuellement, un moyen permettant à des grands acteurs d’étendre les espaces de consommation au monde virtuel. Ils se sont dit « super, c’est un nouveau relais de croissance ». Je ne suis pas anticapitaliste ou marxiste. Ce n’est pas mon sujet. Mais est-on bien sûr, à ce moment de l’humanité, que ce dont on a besoin est de parvenir à vendre des pompes à nos avatars numériques ? C’est bien un problème de finalité. Les inepties que l’on fait avec l’IA, on les fait aussi avec le métavers, avec les NFT. La blockchain était la plus belle promesse qui ait jamais été faite que l’Internet revienne à sa finalité originelle, celle de recréer une vraie démocratie citoyenne. Pourquoi la technologie est décevante ? Parce que l’on ne fixe pas les bons objectifs. C’est pour cela que je dis que l’enjeu est politique. Sans une vision basée sur un nouvel imaginaire collectif, la technologie ne peut être mise au service du progrès.

« Sans une vision basée sur un nouvel imaginaire collectif, la technologie ne peut être mise au service du progrès. » 

 

On l’a évoqué, la pop culture et l’art sont très présents dans votre discours. En quoi sont-ils vecteurs de changement ?

Nous avons beaucoup parlé de l’importance de l’imaginaire collectif. Je crois beaucoup à l’art, sous ses diverses formes, pour véhiculer des idées et nous permettre d’envisager le monde de demain. C’est pour cela que je m’investis aujourd’hui dans projets de longs métrages. Il faut bâtir de nouvelles utopies. La culture populaire, plus particulièrement, a l’avantage de s’adresser au plus grand nombre et non à quelques élites, contribuant plus efficacement à construire de nouveaux imaginaires. Ce qui m’attire, c’est ça. C’est aussi le projet politique que l’on peut construire derrière l’IA. Mais au final, ce qui m’intéresse avant tout, c’est ce que l’on peut accomplir en réunissant trois personnes dans une même pièce. 

« Il faut bâtir de nouvelles utopies. »




















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