HUMAN

Grand entretien avec SUMO

Bienvenue dans l’atelier de cet artiste luxembourgeois exceptionnel, qui a su évoluer avec les époques, tout en restant lui-même.

July 5, 2022

Dans les années 90, avec quelques copains, Sumo apposait sa signature, sous la forme de graffitis, sur des murs à Luxembourg-Ville. En 2021, à la sortie du confinement, Luxair l’invite à transformer l’un de ses Boeing en véritable œuvre d’art. En juin 2022, il présente sa première collection de NFT et exposera des oeuvres, à l’occasion d’ICT Spring, dans The Duchy, le métavers national. Bienvenue dans l’atelier de cet artiste luxembourgeois exceptionnel, qui a su évoluer avec les époques, tout en restant lui-même.

Sumo, pour commencer, revenons un peu sur votre parcours, et notamment vos débuts. Qu’est-ce qui vous a amené, jeune, à réaliser des graffitis sur des murs ?

Cela a commencé dans les années 90. Il faut dire que, depuis l’enfance, j’ai toujours dessiné, toutes sortes de choses, un peu partout. Un peu plus tard, j’ai beaucoup dessiné des lettres, m’inspirant notamment des pochettes des disques de heavy métal. J’étais aussi attiré par tout ce qui relève aujourd’hui de la pop culture : les cartoons, les packagings de l’époque, le milieu du skate-board, MTV et ses clips. Je dessinais en lien avec tout cela, réalisais des flyers pour le groupe dans lequel je jouais, pour des soirées organisées par des amis. Le déclic, vis-à-vis des graffitis, remonte à un voyage scolaire à Munich où, depuis le train, j’ai découvert ces écritures sur des murs, me demandant ce que c’était. Avec deux amis, profitant d’un temps libre, nous avons demandé au prof, plutôt que de faire du shopping ou aller voir une expo, si on pouvait aller prendre des photos. Nous sommes allés voir ces écritures peintes sur les murs.

Restait alors à trouver un mur à peindre au Luxembourg…

Des murs à peindre, certes, mais aussi le matériel, et surtout découvrir ce qu’était le graffiti. On savait que cela se pratiquait à la bombe de peinture, mais nous n’avions aucune idée de la manière de faire. On s’y est intéressé, on s’est documenté, on a expérimenté.

C’est en 1995, après avoir tout tagué à l’intérieur de la maison des jeunes, qu’un éducateur a jugé utile de nous trouver un mur sur lequel se défouler. C’était notre premier mur, rue de Strasbourg, à quelques mètres d’où se situe mon atelier aujourd’hui.

À l’époque, quelle est la démarche ?

Le style était plus agressif qu’aujourd’hui. En tant que grapheur, on cherche à marquer son territoire. Nous étions fortement inspirés par la culture américaine, d’où provenait la pratique. Il y avait, dans nos œuvres, un côté bad boy, gang de rue. Très vite, j’ai compris que cela ne correspondait pas à ma culture. Au Luxembourg, on est loin du Bronx. J’ai développé d’autres choses, explorer d’autres univers, qui étaient à l’inverse trop « cute » pour moi. Tout. Dans le graffiti, dans le street art, on est dans une démarche qui reste anonyme. Je signais avec le surnom que l’on m’a donné à l’époque : SUMO. L’anonymat, c’est bien. Et si on arrive à imposer un style, comme Banksy ou Daft Punk, c’est puissant. J’ai cherché comment conférer à mes tags une identité forte, pour que les autres n’aient pas envie de peindre au- dessus de mes œuvres. Un jour, j’ai fait une sorte de patate, à laquelle j’ai donné un nez pointu, une bouche. Mon personnage, Crazy Bold, était né. Rapidement, les gens se sont plus rappelés du personnage que du lettrage. J’ai continué à le développer.

Comment a-t-il évolué ?

Le personnage a évolué. Au départ, il était plus agressif, grinçait des dents. Aujourd’hui, il rit. Malicieusement, certes, mais il rit. J’ai mis des lunettes par-dessus ses yeux. L’idée, à travers cet accessoire, est d’évoquer le fait que le point de vue de chacun sur le monde dépend du regard qu’on lui porte. Si nous sommes tous un peu pareils, nous voyons tous aussi les choses différemment.

Comment passe-t-on du graffiti sur un mur à de l’expression artistique sur des toiles ?

J’ai commencé avec le graffiti. Je considère toutefois que ce n’est plus ce que je fais aujourd’hui. La pratique ne correspond plus à mon approche artistique. Le graffiti, c’est comme le rock’n’roll, c’est plus qu’une pratique artistique, c’est aussi un mode de vie. Ce que je fais aujourd’hui, c’est un tout autre concept. Mais j’ai commencé par cela, sans nourrir l’intention de devenir artiste. Je taguais des murs de manière anonyme, parce que j’aimais ça. C’était mon truc. Je ne m’attendais pas à ce que des gens puissent aimer ce que je faisais, au point qu’ils aient envie de l’accrocher dans leur salon. Et cela ne m’intéressait pas du tout. En 2002, j’ai accepté de prendre part à une exposition et, à mon grand étonnement, des personnes ont adoré ce que nous proposions, mon ami Spike et moi, au point d’acheter les œuvres exposées. À partir de ce moment, il y a eu une envie d’avancer, d’adopter une autre démarche, en développant une réflexion autour des œuvres que je propose. J’ai changé d’environnement. Travailler sur une toile, c’est autre chose. Cela exige de la réflexion, plus de distance par rapport à ce que l’on crée, de penser un concept, de se questionner sur ce qui fait l’art.

Justement, pouvez-vous nous dire ce qui fait l’art ?

Si je construis une peinture, je ne veux pas que ce soit uniquement une belle image. L’art se distingue de la pratique de concepteur graphique par la mise en œuvre d’un concept plus vaste, la réunion d’éléments qui ont une signification, qui racontent quelque chose, avec une direction donnée à la démarche. Pour moi, l’art doit aussi capturer l’air du temps.

« Chaque couche ou élément fige un moment, témoignant du passé. La profondeur de mes tableaux, c’est le temps qui passe »

Quel concept sous-tend vos œuvres actuelles ?

Le fil qui unit l’ensemble de mes œuvres, c’est une exploration de l’espace et du temps. À travers chaque toile, je documente le temps qui passe. Je peins quelque chose, en fonction de l’humeur du jour, de l’inspiration du moment, de la musique que je viens d’écouter, de ce que je viens de lire, d’un souvenir. Puis, le lendemain, je vais peindre autre chose, sur ce que j’ai réalisé la veiller. Ce qu’il y a dans le fond va rester, partiellement du moins, témoignant du temps qui est passé. Chaque couche ou élément fige un moment, témoignant du passé. La profondeur de mes tableaux, c’est le temps qui passe. La surface, c’est l’espace. On peut faire un « zoom in » sur chaque toile, pour s’attarder sur un détail, comme on pourrait faire un « zoom out », avec l’idée que les toiles mises ensemble constituent un tout. L’idée est que l’on puisse zoomer ou dézoomer à l’infini. Dans mes œuvres, on retrouve souvent des points, références aux trames d’impression qui, lorsque l’on prend de la distance, contribuent à créer des nuances ou des motifs.

Lorsque l’on observe vos toiles, aujourd’hui, l’univers paraît avant tout positif, voire joyeux. Lorsque vous envisagez une nouvelle création, vous fixez-vous un objectif ? Que souhaitez-vous susciter auprès de celui qui se retrouve face à l’une de vos œuvres ?

En vérité, ce que je peins, au jour le jour sur une toile, est très improvisé. Je me laisse inspirer par le moment. Les tableaux peuvent s’apparenter à des journaux intimes, dans lesquels j’écris. Il est vrai, toutefois, qu’il y a un souhait que les personnes découvrant mes toiles ressentent une énergie positive. Elles s’expriment souvent dans les couleurs utilisées, qui j’associe à celle de MTV dans les années 90. Si, sur la toile, des éléments négatifs s’impriment, en raison d’un jour plus maussade par exemple, c’est le plus souvent ces parties que je vais repeindre. Je garde le positif et fais disparaître le négatif. C’est une démarche qui, je l’espère, contribue à créer un impact positif sur les personnes qui se retrouvent face à mes œuvres. C’est l’objet de mon art. Je suis convaincu que, en apportant quelque chose de positif, on contribue au bien-être de chacun et à un meilleur vivre ensemble.

Depuis quelques années, le marché de l’art semble en pleine ébullition. Le street art, par exemple, est entré dans les musées et même dans les salles de vente les plus prestigieuses. Le meilleur exemple reste Banksy. Quel regard portez-vous sur ces évolutions ?

Si l’on prend l’exemple de Banksy, il a développé une approche artistique qui, si elle s’exprime en premier lieu dans la rue au moyen de pochoir, a quelque chose d’universel. Lui-même crée des expositions, qui vont très loin, avec divers niveaux de lecture et toujours beaucoup d’humour et de sarcasme. Il a développé un langage qui lui est propre et qui parle aux gens. Pas besoin de texte pour comprendre le message, que l’on soit confronté à une de ses œuvres dans la rue ou à travers une exposition.

Tout de même, c’est un artiste engagé, notamment contre le pouvoir financier, et qui voit ses œuvres valorisées à des montants qui, pour la plupart d’entre nous, dépassent l’entendement…

Ce n’est pas le prix qui fait qu’une œuvre est bonne ou mauvaise, mais l’offre et la demande. La valeur d’une œuvre, finalement, n’est qu’une idée dans la tête de celui qui l’achète. Banksy s’en est d’ailleurs amusé. À New York, il a fait installer un petit stand à proximité de Central Park, où un monsieur âgé vendait des tableaux, qui étaient en réalité des œuvres originales de l’artiste, pour quelques dollars. Et on voit que personne ne se les arrache, au contraire les prix sont même négociés avec le monsieur. La valeur ne change rien à l’art. La valorisation d’une œuvre, au final, ce n’est pas le problème de l’artiste. Banksy n’a pas commencé ce qu’il fait en pensant au business. Sans doute n’imaginait-il pas que ses œuvres puissent créer un tel engouement. Simplement, il est animé par un besoin de créer, de véhiculer des messages. Il faut que ça sorte, sans que cela ait le moindre rapport avec la manière avec laquelle les œuvres sont valorisées par ailleurs.

Vous avez commencé par taguer des murs, pour ensuite peindre sur des toiles. Et, l’année dernière, c’est un avion qui vous a servi de support. Pouvez-vous nous expliquer comment en êtes-vous arrivé à travailler avec Luxair ?

C’est la compagnie qui m’a contacté avec la volonté, à la sortie du 1er confinement, de véhiculer un message positif à l’égard de la population, l’invitant à voir l’avenir de manière positive, l’inviter à ressortir, à profiter, à voyager. Je pense que, à travers mes œuvres, quelque chose a résonné avec ce qu’il souhaitait véhiculer. Ils m’ont donc demandé s’il était envisageable de faire un projet ensemble, pour véhiculer un message positif, de l’enthousiasme, de l’ouverture. Au début, on ne savait pas ce qu’on allait faire. Peindre une fresque au sein de l’aéroport, apporter des éléments à l’intérieur d’un appareil, décorer l’avion ? À l’évocation de cette dernière possibilité, j’ai demandé si cela était envisageable. Si oui, alors faisons-le. C’est comme cela que la collaboration a commencé. Ce fut pour moi une chance inouïe. Je dois encore me pincer pour m’assurer que c’est vraiment arrivé.

Comme quoi, l’art s’exprime sur une multitude de supports. Et, de plus en plus, dans un monde dématérialisé. Vous allez prochainement proposer vos premières œuvres numériques, sous la forme de NFT. Qu’est-ce que cette évolution représente à vos yeux ?

En découvrant les NFT, j’ai tout de suite développé un vif intérêt pour l’approche dans la mesure où elle ouvre de nouvelles possibilités de concrétiser la vision que j’ai de mon art. Comme je l’expliquais, mes pièces sont des invitations à voyager dans le temps et dans l’espace. L’idée, depuis 2013, au moment où j’ai commencé à travailler autour de cette vision, est que toutes les pièces puissent se connecter entre elles. Avant de découvrir les NFT, l’idée était de montrer la démarche à travers
une installation vidéo, permettant de plonger dans la profondeur des œuvres, de voyager à travers. Les NFT ouvrent la possibilité d’envisager cela autrement, de connecter directement les pièces entre elles dans l’optique de révéler cet univers complet.

Si l’on compare cela à la peinture, c’est un autre support, une autre démarche…

Certainement. L’idée est d’explorer comment exprimer la vision que je poursuis à travers le numérique, en explorant un horizon qui s’ouvre à 360°. La volonté, en tout cas, est d’investir ce nouveau champ de possibilités, d’envisager les manières de faire ce que je fais sur des supports numériques afin de proposer une autre expérience. Cela change évidemment la manière de créer, d’appréhender les éléments.

Quels sont les avantages liés aux NFT si l’on parle d’art ?

Le concept permet d’explorer les possibilités offertes par le numérique en conférant un caractère authentique, unique, à chaque œuvre. Cela permet aussi d’exploiter une œuvre unique, dont vous êtes le propriétaire, de diverses manières, sur son smartphone comme sur le mur de sa maison. Il n’y a pas de limite à l’utilisation qui peut en être faite. En petit ou en grand, l’art s’apprécie selon les envies.

Comment, concrètement, abordez-vous l’art à travers le numérique ?

Avec une vision à long terme, la volonté d’explorer les possibilités que la technologie ouvre. Je suis bien conscient que beaucoup de gens s’engouffrent dans le domaine avec l’idée qu’ils vont faire de l’argent rapidement. Ce n’est pas ma démarche. Les possibilités qu’offre le concept de NFT résonnent avec la vision que je développe depuis toujours. Je pense que cela ouvre un espace nouveau, avec des possibilités inédites de construire une œuvre unique, d’élargir mon univers, d’envisager l’art autrement et de mettre en œuvre de nouvelles approches. Dans cette optique, le changement est vraiment enthousiasmant. Et ma volonté est d’aller au-devant des possibilités en m’entourant des personnes qui maîtrisent la technologie et qui souhaitent bien l’appréhender.

Quand proposerez-vous vos premiers NFT ?

Pour juin. Je proposerai ma première collection de NFT. Des œuvres simples, sous la forme de JPEG, qui auront de la valeur sur le long terme, en tant que pièces fonctionnelles d’un développement plus large. La technologie, en effet, permet d’envisager de nombreux nouveaux cas d’usage, que nous explorerons dans le temps.

Demain, SUMO pourrait-il exposer dans le métavers ?

Oui, et plus rapidement qu’on ne le pense. À l’occasion d’ICT Spring, les 30 juin et 1er juillet, j’exposerai des œuvres au sein de ma galerie digitale dans The Duchy, le métavers luxembourgeois.

 

Watch video

In the same category