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Grand entretien avec Christine Majerus

Christine Majerus, 12 fois championne du Luxembourg nous parle de son expérience, de dépassement de soi et d'esprit d'équipe.

March 29, 2022

Christine Majerus interviendra lors de la conférence du Gala Golden-i qui se tiendra le 5 mai prochain dès 17h30 chez PwC Luxembourg (infos sur : goldeni.lu). Elle nous a accordé un bel entretien dans l’édition de Printemps du magazine Trans-for-Nation. A découvrir !

Passer chaque jour de l’année, ou presque, sur les routes ou les chemins boueux. Chercher constamment à s’améliorer et donner à chaque instant le meilleur de soi. C’est le quotidien des sportifs de haut niveau comme Christine Majerus. 12 fois championne du Luxembourg sur route et en cyclo-cross, la jeune femme de 35 ans est aussi un pilier de l’équipe cycliste féminine SD Worx, actuellement classée numéro 1 mondiale. Elle a choisi cette voie car elle estimait que le cyclisme était l’activité dans laquelle elle était la plus douée. 

Les centaines d’heures passées sur son vélo, dans un milieu qui s’est, petit à petit, professionnalisé, lui ont toutefois inculqué bien d’autres valeurs que le dépassement de soi. Celles-ci s’expriment dans certains de ses engagements, en faveur des animaux notamment. Elle appelle chaque jeune à aller au bout de ses rêves et de ses capacités, que ce soit dans le sport ou dans toute autre activité. 

Votre carrière sportive a commencé avec l’athlétisme, avant de bifurquer vers le cyclisme, vers l’âge de 20 ans. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

C’est simple : je suis allée là où j’étais la meilleure. En athlétisme, j’ai rapidement compris que je n’obtiendrais pas des résultats exceptionnels, que je ne pourrais pas faire une carrière dans ce sport. Et puis, à l’époque, les méthodes d’entraînement étaient peut-être un peu plus « rustiques » qu’aujourd’hui. On protégeait moins les athlètes et le sport était plus traumatisant pour les organismes. Du coup, j’ai rapidement connu quelques pépins physiques qui m’ont empêchée de continuer à courir. Pour rester en forme, je me suis donc mise au vélo, un sport qu’on connaissait bien dans ma famille, puisque mon frère le pratiquait déjà en compétition. Une fois que j’ai commencé à m’y mettre, j’ai vu que je me débrouillais pas mal au niveau luxembourgeois. Par ailleurs, l’équipe nationale cherchait des coureurs. Cela m’a donc motivée à continuer dans cette voie. A vrai dire, je pense être douée pour tous types d’efforts physiques. Le sport a donc toujours été une option, car il me permet de donner le meilleur de moi-même. Si j’avais été bonne musicienne, j’aurais peut-être opté pour cette carrière…

« Le sport me permet de donner le meilleur de moi-même. Si j’avais été bonne musicienne, j’aurais opté pour cette carrière. »

Qu’est-ce qui vous plaît dans le sport de haut niveau ? Est-ce que c’est la recherche permanente du dépassement de soi ?

Évidemment, cela fait partie du plaisir, mais je pense que c’est le cas dans tous les secteurs. Quand on trouve une activité qui nous plaît, on essaye de la faire du mieux possible. Tout le monde, tous les jours, dans son métier, cherche à se dépasser. Ce qui est sûr, c’est que cette recherche est particulièrement poussée dans le sport de haut niveau, et que cela aide pour le reste de la vie. Une série de qualités se développent à travers cette activité : le sérieux, le travail d’équipe, le sens du management, la recherche de performance… Ce sont des aspects qui peuvent ensuite être mis à profit dans d’autres aspects de sa vie, et notamment dans le cadre d’un travail en entreprise, par exemple. Le sport est donc une vraie école de la vie, et également de la vie en société. Au sein d’une équipe comme SD Worx, il y a plein de profils différents, des personnes aux origines, aux ambitions et aux moyens variés. Quand on vit au quotidien au sein de ce microcosme si diversifié, cela nous apprend à respecter toutes ces différences. 

Cela ressemble à quoi, une journée-type de Christine Majerus ?

Les gens ont tendance à penser que nous avons une vie particulièrement excitante, mais c’est loin d’être le cas ! Le confinement était déjà une habitude pour nous, avant le Covid (rires). En résumé, on enchaîne les périodes d’entraînement et de récupération, tout en évitant les excès, afin d’être le mieux préparées possible pour la compétition. Le matin, je commence généralement mon entraînement vers 10h. En fonction de la période dans laquelle je me trouve, la durée de l’entraînement varie entre 1h50 et 5 ou 6 heures. Un programme individuel complète ces sessions. Pour le reste, c’est de la récupération ou les voyages pour les compétitions ou les stages.

« Une série de qualités utiles pour toute la vie se développent dans le sport : le sérieux, le travail d’équipe, le sens du management, la recherche de performance… »

Vous ne vous facilitez pas particulièrement la tâche en enchaînant la saison sur route avec la saison hivernale de cyclo-cross. N’est-ce pas trop difficile à gérer ?

Avant la pandémie, ce n’était pas trop difficile, parce que le mois d’octobre était généralement libre et qu’il me permettait de souffler avant de reprendre le cyclo-cross, jusqu’au mois de janvier. Mais la crise sanitaire a considérablement allongé la durée de la saison sur route, ce qui fait que, ces deux dernières années, j’ai eu très peu de temps entre les deux compétitions. Malgré tout, je préfère courir en cyclo-cross, près de chez moi, plutôt que de partir en stage à l’étranger. Je suis déjà toute l’année en déplacement, alors ça me fait plaisir de rester un peu dans ma région, d’autant que j’aime la compétition. C’est aussi une très bonne préparation pour la saison sur route. Cela dit, il est vrai que peu de cyclistes sur route pratiquent aussi le cyclo-cross, car c’est très exigeant.

On l’oublie souvent, mais le cyclisme est un sport d’équipe, même s’il n’y jamais qu’un seul vainqueur dans chaque course. Comment gère-t-on cette apparente contradiction ?

Je pense que tous les cyclistes accordent beaucoup d’importance à l’équipe, car ils savent que chaque victoire qu’ils engrangent est le résultat d’un long travail d’équipe. On ne gagne en effet jamais seul. C’est la raison pour laquelle ma plus belle victoire est mon titre de championne du monde par équipe remporté à Doha en 2016. Nous avions fini plusieurs fois deuxième et la frustration était donc très importante. Le titre de 2016 était donc le résultat d’un long processus et d’un travail ardu de toute l’équipe. La portée symbolique de cette victoire était très importante. 

« Tous les cyclistes savent que chaque victoire est le résultat d’un travail d’équipe. On ne gagne jamais seul. »

Quels éléments contribuent à maintenir et à renforcer une bonne dynamique d’équipe ?

Il faut pouvoir maintenir une ambiance positive. Et, pour cela, il faut que chaque individu puisse être valorisé pour sa contribution à la réussite commune. Dans une course cycliste, c’est souvent le leader, celui qui monte sur le podium qui est mis en avant. Mais la réussite n’est toutefois possible que si chacun tient son rôle. Les coureurs font l’effort. Mais ils ne peuvent pas accomplir d’exploit sans les soigneurs ou encore les techniciens qui nous accompagnent. Il faut pouvoir reconnaître la contribution de chacun au succès, et éviter les frustrations.

Votre équipe, SD Worx Team, est actuellement numéro un mondiale. Quand on est au sommet, quelles ambitions peut-on encore se fixer pour une nouvelle saison ? 

Même au sommet, il est toujours possible de faire mieux. L’important c’est de sans cesse pouvoir se remettre en question, en considérant ce qui a bien fonctionné et ce qui n’a pas été. Il faut entretenir en continu le goût de la compétition, pour sortir de sa zone de confort et nourrir cette volonté de s’améliorer. Car une fois que l’on s’arrête, les autres continuent d’avancer et auront vite fait de vous dépasser. On continue donc d’aller de l’avant. Le pire, c’est de croire que l’on est arrivé. 

En tant que femme, avez-vous été confrontée à des difficultés pour mener une carrière de sportive professionnelle ?

J’ai suis arrivée sur le circuit à une époque où les choses étaient en train de changer. J’ai commencé en amateur, sans être payée, alors que j’étais étudiante en sciences du sport. A cette époque, très peu de cyclistes féminines pouvaient vivre de leur passion. Mais, au fil des années, les choses ont changé. J’ai d’abord eu l’opportunité de rejoindre l’armée luxembourgeoise, devenant « soldat sportif ». C’est un statut privilégié – existant aussi en France, en Allemagne et en Belgique – qui nous permet d’être détachés de la caserne et de pratiquer complètement notre sport, tout en respectant quelques obligations ponctuelles. Ma visibilité a alors augmenté et j’ai pu rejoindre des équipes professionnelles. Cette professionnalisation du peloton cycliste féminin a permis d’augmenter considérablement le niveau, mais aussi d’améliorer le spectacle pour le public. Cela a donc été positif à tous les niveaux. 

Est-ce que vous avez conscience d’inspirer certainement un grand nombre de jeunes luxembourgeois, qui se lanceront peut-être eux aussi dans le sport ?

Je ne sais pas si c’est le cas, mais j’espère contribuer à donner envie aux jeunes, filles ou garçons, de pratiquer un sport. Et cela va même plus loin que ça. Quand on pratique un sport de haut niveau, c’est aussi dans le but d’inspirer les autres. Si, à travers ma carrière, j’ai réussi à pousser d’autres personnes à aller au bout de leurs rêves ou de leurs ambitions, même en dehors du sport, alors je suis contente. 

« Si, à travers ma carrière, j’ai réussi à pousser d’autres personnes à aller au bout de leurs rêves ou de leurs ambitions, même en dehors du sport, je suis contente. »

Même si vous avez peu de temps pour vous, vous avez d’autres passions dans la vie, notamment le dessin. Vous partagez régulièrement vos réalisations sur les réseaux sociaux. C’est important pour vous d’avoir d’autres passions, en dehors du cyclisme ?

Le dessin, c’est plutôt un passe-temps pour moi. J’ai commencé tout doucement lorsque des idées survenaient.  Puis, en me rendant compte que certaines personnes appréciaient ce que je faisais, que mes dessins leur faisaient plaisir, je m’y suis mis un peu plus sérieusement, notamment ces dernières années. Je passe beaucoup de temps dans des chambres d’hôtel et, durant ces périodes de repos, il n’y a pas grand-chose à faire. C’est clair que, comme d’autres, je regarde parfois Netflix pour passer le temps. Mais j’aime aussi dessiner, plutôt que de rester tout le temps devant un écran. 

Vous aimez aussi soutenir la cause animale. D’où vous est venue cette envie ?

J’ai eu un chien il y a quelques années, mais il est malheureusement décédé. J’hésite à en reprendre un, parce qu’en tant que sportive professionnelle, avec tous nos déplacements tout au long de l’année, il n’est pas toujours évident de s’en occuper correctement. Mais j’ai toujours gardé une affection pour les animaux et une certaine envie de faire quelque chose de bien pour les soutenir. Cette année j’ai donc décidé d’aider un refuge pour animaux. Ils y font un travail important et qui n’est pas toujours facile. Il y a quelque temps déjà, j’avais commencé à tricoter des bonnets. J’en ai vendus certains pour financer la formation d’un chien d’assistance Alzheimer. Cette année, j’ai décidé de réitérer l’opération, en faisant don des bénéfices à la SPA de Gasperich. J’ai aussi mis trois maillots en vente selon un système d’enchères. L’un dans l’autre, j’ai pu récolter plus de 5.000 euros que j’ai remis à l’association. Je ne sais pas trop ce que ça représente pour eux, ce n’est peut-être pas grand-chose comme don. Mais je trouve important d’utiliser ma petite notoriété pour leur permettre d’avoir peut-être un peu plus de confort au quotidien et aussi de soutenir la cause animale. Si je n’étais pas un peu connue, je ne pense pas que ces bonnets se seraient aussi bien vendus (rires) !

« Je trouve important d’utiliser ma petite notoriété pour soutenir la cause animale. »

Vous venez d’avoir 35 ans. Combien de temps comptez-vous poursuivre votre carrière professionnelle ?

J’ai déjà une belle carrière derrière moi, qui dure depuis un certain temps. Pour l’instant, je prends les choses année après année, en essayant de profiter de tout ce que j’ai déjà pu faire. Je sais qu’il faut pouvoir s’arrêter à un moment, et au bon moment. C’est la raison pour laquelle je me suis fixé comme dernier objectif les Jeux olympiques de Paris en 2024. Si je participe à ces Jeux, j’en serai à quatre participations de suite aux Jeux olympiques. Cela me semble être une bonne façon de mettre un terme à une carrière. Mais cela signifie qu’il me reste encore deux ans et demi pour accomplir de très belles choses sur le plan sportif. Peut-être que je me réveillerai dans un an en me disant « j’en ai marre » et que je décrocherai plus tôt… 

Savez-vous déjà ce que vous allez faire après votre carrière ? Vous reconvertir dans un autre secteur ? Rester dans l’encadrement sportif ?

Je sais déjà ce que je ne veux pas faire, c’est déjà un bon début ! Contrairement à beaucoup de sportifs de haut niveau, je pense que je vais dans un premier temps prendre mes distances avec le secteur du sport. Je suis quelqu’un de très curieux et j’aimerais donc découvrir d’autres horizons, ne pas repartir dans un univers que je connais déjà très bien. Cela va me faire du bien aussi de voir autre chose, sans que cela m’empêche de revenir plus tard si le projet m’intéresse. Mais je n’ai vraiment pas d’idée précise sur ce que je ferai. Je ne me mets pas la pression. Comme je l’ai dit tout à l’heure, j’ai appris beaucoup de choses précieuses au cours de ma carrière et j’ai aussi un diplôme qu’il sera possible de valoriser. L’essentiel, pour moi, sera de faire quelque chose qui me plaît, qui m’épanouit autant que toutes les années que je viens de vivre. 

« Après ma carrière, l’essentiel sera de faire quelque chose qui me plaît, qui m’épanouit autant que toutes les années que je viens de vivre. »

 

BIOGRAPHIE

Christine Majerus est née le 25 février 1987 à Luxembourg-Ville. Sa carrière commence en 2007 et intègre une première équipe UCI en 2008. Elle entre ensuite peu à peu dans le milieu professionnel, en devenant membre des équipes professionnelles GSD Gestion, Sengers Ladies, Boels Dolmans et enfin SD Worx, depuis 2021. Au cours de sa carrière Christine Majerus a récolté 12 titres de championne du Luxembourg sur route, 12 titres de championne du Luxembourg en cyclo-cross, et 15 titres de championne du Luxembourg de cyclo-cross. En 2016, elle devient championne du monde en contre-la-montre par équipe sur route à Doha, au Qatar. Christine Majerus a aussi participé à trois éditions des Jeux olympiques : Londres (2012), Rio (2016), et Tokyo (2020).

 

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