CEO MEETS CIO

CEO meets CIO : Entretien avec Marc Lauer & Remy Els (FOYER)

Marc Lauer, CEO de Foyer, et Remy Els, le CIO de la compagnie d’assurances luxembourgeoise, évoquent avec nous les enjeux liés à la transformation numérique de leur métier. Pour les deux dirigeants, business et IT sont aujourd’hui profondément imbriqués, partageant cet objectif commun de toujours mieux servir le client.

August 14, 2024

Quelle place occupe la technologie au sein d’une entreprise comme Foyer ? Comment le rôle du numérique a-t-il évolué ces dernières années dans votre secteur ?

Marc Lauer : On constate, au sein d’un même secteur, que la transformation numérique est vécue différemment d’une société à l’autre. Certaines intègrent les possibilités offertes par la technologie plus rapidement que d’autres. Au Luxembourg, ces évolutions dépendent notamment de la structure actionnariale des acteurs en présence. Certaines entités actives sur le marché dépendent de grands groupes, disposant de centres d’expertise technologique et de laboratoires d’innovation à Paris, Londres, Francfort ou encore Milan. Ces entreprises bénéficient des investissements réalisés au niveau du groupe. Des acteurs locaux comme nous le sommes doivent appréhender ces transformations, prendre en charge leurs propres développements technologiques. Au sein de Foyer, nous avons compris que la technologie était une alliée essentielle de notre développement. Nous évoluons dans un monde complexe, de plus en plus réglementé. Nous ne pouvons pas répondre aux contraintes et exigences sans la technologie. À côté de cela, nous devons explorer les leviers qui permettent d’améliorer notre productivité, afin que le business model qui est le nôtre reste profitable. Pour cela, nous avons aussi besoin du numérique. Enfin, le client a changé. Il évolue en permanence avec un smartphone à portée de main et attend de son assureur qu’il interagisse autrement avec lui.

Remy Els : Une entreprise comme Foyer a toujours développé une réelle affinité pour les technologies. Nous avons souvent été des précurseurs en la matière. Dans les années 60’, déjà, Foyer s’est distingué en étant la première entreprise privée luxembourgeoise à se doter d’un mainframe. Nous envisageons la technologie avec enthousiasme, en veillant à évoluer avec elle. C’est inscrit dans notre ADN. Nous avons rapidement adopté le web.

Nous attendons impatiemment que la législation nous autorise à adopter le cloud. Nous avons très tôt investi dans les technologies de de type «Big Data». Toutefois, si nous adoptons une démarche proactive en matière de transformation numérique, c’est toujours dans une même optique, celle de mieux soutenir le business. Pour chaque projet, la première question à laquelle on doit répondre est : qu’est-ce que cela apporte au client ou à l’utilisateur ? Il ne s’agit pas de mettre en œuvre des projets de transformation numérique pour la beauté de la technologie.

Intégrer la technologie au cœur des processus, au service de nos clients, de nos produits, de nos équipes, implique de la maîtriser, de la comprendre. Pour cela, il faut soutenir le développement d’une culture digitale, une démarche d’innovation, qui doit transpirer au travers de toute l’entreprise. Dans cette optique, au sein de Foyer, on mise beaucoup sur la formation, le partage des connaissances, afin de pousser l’innovation à tous les niveaux.

Si Foyer investissait déjà dans la technologie dans les années 60, la fonction IT n’avait sans doute pas la même importance qu’aujourd’hui.

Comment avez-vous vu évoluer cette fonction au fil des années ?

Remy Els : Avec la digitalisation, la fonction IT s’est ouverte sur les métiers. C’est pour moi le principal changement qui s’est opéré. Dans cette perspective, nous avons revu notre manière de travailler, en intégrant les principes d’agilité et de design thinking. Cela nous a permis de nous rapprocher des besoins du business, des équipes, pour faire de l’intégration technologique un levier de développement stratégique. C’est ensemble, avec toutes les équipes du Groupe, que nous explorons les opportunités liées à l’usage de la technologie.

Marc Lauer : Quand j’ai rejoint Foyer, le directeur des systèmes d’information, le prédécesseur de Remy, était déjà à la table du Comité de Direction. À l’époque, il n’avait toutefois pas un rôle aussi actif qu’à présent. Son rôle était essentiellement de répondre à des questions techniques lorsqu’elles se posaient. Il disait alors ce qu’il avait à dire avant de retourner auprès de ses équipes. Aujourd’hui, c’est bien différent : le métier et l’IT sont intégrés, ils interagissent tout le temps, à tous les niveaux. Business et IT avancent l’un avec l’autre. Et c’est une excellente chose. Pour les équipes IT, une meilleure compréhension des besoins du métier permet d’y répondre plus efficacement, de veiller à développer des fonctionnalités qui soutiennent leurs collègues. Le métier, pour sa part, est aussi redescendu de son balcon, pour prendre une part active aux projets de transformation numérique. Si un projet n’apporte pas les résultats escomptés, ce n’est plus uniquement l’IT qui se retrouve sous le feu des critiques, mais le business et l’IT, l’un et l’autre étant désormais imbriqués.

Comment cela se traduit-il au niveau de l’organisation ?

Remy Els : Dans chaque direction métier, on trouve aujourd’hui un Responsable Métier des Systèmes d’Information. Il a pour mission d’établir et de mettre en œuvre la stratégie IT propre à son activité. Ces personnes sont les principaux interlocuteurs de la Direction des Systèmes d’Information au travers de l’ensembledu Groupe. C’est avec ces responsables qu’on établit des objectifs, une stratégie et une roadmap IT, qui doivent permettre d’améliorer le développement du business. Cela conduit à la constitution du portefeuille de projets mis en œuvre par l’IT. L’ensemble est suivi de manière régulière et des arbitrages peuvent être effectués au regard des priorités stratégiques du Groupe, du budget et des ressources disponibles.

Comment la technologie transforme-t-elle le métier d’assurance ?

Marc Lauer : Il y a vingt ou trente ans, un salarié au département « sinistres » commençait la journée avec une grande pile de dossiers à sa gauche, les ouvrait les uns après les autres pour les traiter et les faire passer sur une pile à sa droite. Aujourd’hui, une grande partie de ces traitements est automatisée. Nous réglons un quart de nos sinistres en full automatique. Nous avons aussi mis à la disposition de nos agents un outil qui leur permet d’accéder à l’ensemble des informations relatives à leurs clients ainsi qu’à des leads commerciaux que nous avons générés via nos divers canaux. L’approche commerciale a fondamentalement changé.

Aujourd’hui, plus que de produits d’assurance, on parle de services. Nous avons établi des parcours clients qui sont soutenus par des outils technologiques. L’enjeu est de permettre à chaque agent d’accompagner les clients de la manière la plus efficace, du conseil au suivi des sinistres en passant par la vente des services, cela dans le respect de la réglementation qui s’impose à lui. On le voit, la technologie nous accompagne dans tout ce que nous faisons et continuera à nous transformer.

L’un des enjeux clés, pour un assureur, n’est-il pas de bien appréhender les risques ?

Marc Lauer : Oui. Les données et leur traitement sont aussi un enjeu clé, et ce depuis toujours. Dans nos métiers, on parle souvent de la loi des grands nombres. Devoir composer avec des quantités importantes de données implique de disposer des moyens de les traiter. C’est ce qui a justifié le déploiement d’un mainframe très tôt dans notre développement. La technologie, aujourd’hui, nous offre de nouveaux moyens de collecter la donnée, des possibilités accrues pour la stocker. Les algorithmes, l’intelligence artificielle nous permettent de la traiter, nous aident à l’ interpréter beaucoup plus efficacement.

L’IA permet-elle de mieux appréhender les risques ?

Marc Lauer : Nous n’avons pas attendu cette technologie pour évaluer les risques, heureusement. Elle permet certainement d’affiner nos modèles. L’IA nous soutient surtout au niveau opérationnel. Un acteur comme Foyer doit chaque année traiter plusieurs centaines de milliers de sinistres. Ceux-ci ne sont pas tous fondamentalement différents les uns des autres. L’IA, par rapport aux algorithmes du passé, facilite de nombreux traitements. Elle nous permet aussi de mieux comprendre les besoins du client, d’améliorer le service à leur égard, cela en veillant au respect de la sphère privée de chacun.

Remy Els : L’IA est un outil qui nous aide aussi à détecter les fraudes. Les modèles que nous utilisons permettent d’identifier des signaux, des comportements étranges, d’établir des corrélations entre différents événements, afin de nous indiquer des risques de fraude potentielle.

Et l’IA générative dans tout cela ?

Remy Els : Cette technologie a aussi un potentiel important, pour assister nos collaborateurs notamment, que nous explorons actuellement au départ de la plateforme Copilot. Si la digitalisation a permis de réduire la quantité de papier traité, aujourd’hui, nous échangeons encore énormément de mails, de pièces jointes. Beaucoup de courriers entrants doivent être identifiés, classifiés, dispatchés auprès des bonnes personnes afin d’être traités. L’IA doit nous aider dans cette gestion des échanges, faciliter l’extraction de l’information, soutenir les traitements les plus communs et les plus répétitifs. Il y a un potentiel d’automatisation important, que nous sommes en train d’étudier. Cependant, il faut appréhender ces évolutions avec prudence. Les solutions ne sont pas encore toujours trèsmatures. D’autre part, le déploiement de ces outils, qui ont un impact important sur le poste de travail, implique de bien accompagner le changement.

L’IA suscite des craintes, liées surtout à un manque de connaissance et de compréhension de la technologie. Il faut donc former pour rassurer et permettre ce changement.

Se transformer quand on n’a pas la force ni les moyens d’un grand groupe, comme vous l’évoquiez, ne constitue-t-il pas un défi plus grand ?

Remy Els : Pas forcément. En discutant avec mes confrères, j’ai pu me rendre compte que le fait d’appartenir à un grand groupe était effectivement source d’opportunités, mais aussi de contraintes. À l’échelle d’un acteur comme Foyer, le degré de liberté dont nous disposons constitue un énorme avantage. Au niveau de l’IT, on peut être force de proposition, amener des idées, s’emparer de sujets divers et développer des projets directement dans un contexte correspondant à nos enjeux. Il y a une dynamique entrepreneuriale que l’on ne retrouve pas toujours à l’échelle d’un grand groupe. Les succursales luxembourgeoises dépendent souvent de décisions prises ailleurs et qui sont parfois très éloignées de la réalité de notre marché.

Marc Lauer : Quand nous avons commencé notre transformation digitale, nous avions tendance à penser que « Big is beautiful » et que l’on peinerait plus que d’autres à appréhender le tournant du numérique. Il s’est avéré que, rapidement, les technologies se sont démocratisées. Nous nous sommes aussi rendu compte de l’importance de se transformer de manière agile, en restant très proches des besoins des différentes parties prenantes, qu’il s’agisse de nos clients, de nos collaborateurs ou encore de nos actionnaires. Au sein de notre Groupe, on compte au maximum cinq niveaux hiérarchiques. Cela nous confère un réel avantage. Enfin, Foyer est un Groupe à l’actionnariat familial. Si nous sommes challengés dans une démarche de création de valeur, c’est principalement dans une approche à long terme. L’enjeu, ce n’est jamais la prochaine clôture trimestrielle. Cela veut dire que nous pouvons mobiliser des moyens pour opérer une transformation de l’entreprise dans une perspective durable. Si l’on parle de technologie, ces moyens ne sont pas négligeables. Aujourd’hui, les collaborateurs dédiés aux enjeux de transformation, liés à l’utilisation de la data, à l’amélioration des parcours clients, à la gestion de l’IT sont au nombre de 250, sur un effectif global d’environ 800 équivalents temps plein. On voit que l’impact de l’IT est aujourd’hui très important. Ce n’est pas un département parmi d’autres, mais un levier transversal de création de valeur.

Foyer, depuis plusieurs années, soutient une dynamique d’innovation. En quoi est-ce important ?

Remy Els : Oui, nous avons une équipe dédiée, dont la mission est de fédérer les équipes, de fédérer les équipes autour de l’innovation et de promouvoir et de promouvoir l’intrapreneuriat. L’innovation technologique n’est qu’une dimension de cette démarche.

Notre rôle, pour accompagner cette dynamique, est de continuer à détecter, à évaluer les nouvelles technologies, pour voir ce qu’elles peuvent apporter. Auprès des équipes, nous accompagnons le développement de nouveaux projets. Nous aidons les collaborateurs à concrétiser des idées, par l’intermédiaire de la mise en œuvre de « proof of concept » par exemple, pour ensuite mieux les industrialiser à l’échelle du Groupe.

Marc Lauer : L’innovation n’est pas quelque chose qui se décrète. Ce n’est pas juste un enjeu technologique. C’est un état d’esprit qu’il faut encourager. C’est une approche culturelle qu’il faut soutenir. C’est le rôle du département que nous avons créé. C’est un enjeu collectif. L’innovation, elle émane de chacun de nos collaborateurs. C’est notamment pour cela que nous n’avons pas de Chief Innovation Officer. Nous sommes persuadés que le fait de confier la responsabilité de l’innovation à une personne constitue le meilleur moyen de la tuer. Sans cesse, à tous les niveaux, il faut plutôt chercher à la cultiver, à travers des événements, en étant ouverts aux nouvelles idées, qu’elles émanent de l’intérieur ou qu’elles viennent de l’extérieur.

Quels seront vos principaux défis pour les mois à venir ?

Marc Lauer : L’évolution technologique est source de nombreuses opportunités, mais s’accompagne aussi de nouveaux défis. La réglementation, notamment, avec DORA ou encore FIDA, est un challenge important pour nous. FIDA, qui contraint les acteurs, à s’inscrire dans une démarche « open data » soulève de nombreuses questions. Demander à un assureur de partager ses données sur des sinistres, par exemple, c’est un peu comme exiger d’un industriel qu’il révèle ses secrets de fabrication. On touche d’une certaine manière à la propriété intellectuelle. C’est un sujet qui me préoccupe profondément. Nous sommes de plus en plus confrontés à des réglementations qui, si elles partent d’une bonne intention, témoignent d’une méconnaissance de nos métiers et, in fine, ne devraient pas contribuer à générer de valeur supplémentaire substantielle pour le consommateur.

Remy Els : En tant que DSI, le principal défi reste de mettre la technologie au service du client et des métiers. Il est vrai que, en la matière, la régulation ne facilite pas forcément les choses. Si nous devons veiller à ne pas faire de la technologie pour la technologie, on a parfois l’impression que nos autorités font de la régulation pour la régulation, perdant de vue les véritables enjeux, qui sont de protéger le consommateur. Parmi les autres défis, il y a celui de parvenir à suivre le rythme de l’innovation technologique, qui s’accélère. On doit donc être très tôt sur les évolutions pour pouvoir les évaluer et pour pouvoir faire aussi rapidement des choix, afin de parvenir à les intégrer, le cas échéant, au cœur de notre architecture.

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