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Afterwork with a CEO : Isabelle Lentz, Brasserie Nationale

Isabelle Lentz et son frère Mathias représentent la 10e génération à la tête du groupe familial qui compte notamment la Brasserie Nationale, où sont brassées la Bofferding et la Battin, ainsi que le distributeur de boissons Munhowen. C’est dans le bistrot-restaurant « D’BrauStuff », installé sur le site historique de la brasserie à Bascharage, qu’elle nous a invités à prendre un verre.

January 23, 2025

Votre frère et vous êtes les héritiers d’une entreprise familiale vieille de 260 ans. Quels sont les enjeux relatifs à la pérennisation de cet héritage ?

L’héritage est lourd à porter. Veiller à la prospérité de cette entreprise familiale au fil des générations est une sacrée responsabilité. Mais c’est aussi chouette de travailler pour ce secteur. La production et la distribution de bière, c’est avant tout convivial et réjouissant. Nous sommes la dixième génération à la tête de l’entreprise. Après nos parents, il nous appartient d’apporter notre touche à cette entreprise, à son développement, comme ils l’ont fait à la suite de leurs propres parents. Chaque génération amène à l’entreprise quelque chose qui lui est propre.

Comment résumeriez-vous l’apport de votre génération ?

Il tient notamment à la digitalisation et à l’amélioration des processus. Ce sont des sujets sur lesquels mon père, qui a aujourd’hui 75 ans, n’était pas du tout porté. Le numérique, plus particulièrement, permet un suivi plus e”cace des commandes, une analyse plus précise de l’évolution de la demande. La technologie soutient les délégués commerciaux dans leur travail. C’est aujourd’hui indispensable.

Au début de l’année, vous annonciez l’intégration de Boissons Heintz à Munhoven. Dans le monde de la distribution de boissons au Luxembourg, qu’est-ce que ce rapprochement révèle ?

Actuellement, ce rapprochement n’a pas pu être finalisé. Nous avons effectivement annoncé le rachat de Boissons Heintz, le 31 janvier. Quelques jours après, les plans ont été contrariés en raison d’une procédure menée par la Commission européenne suite à une plainte déposée par AB Inbev à l’Autorité de la Concurrence. Pour nous, cette acquisition constituait une opportunité de nous renforcer pour, justement, mieux faire face à la concurrence de géants qui inondent le marché. Au fil des années, dans le secteur de la boisson, nos marges ont tendance à s’amenuiser. Pour continuer à nous développer, il est important d’imaginer de nouvelles synergies. Boissons Heintz n’avait pas de repreneur au sein de la famille. Reprendre l’activité faisait beaucoup de sens. On peut s’étonner qu’un acteur d’envergure globale, comme AB Inbev, s’inquiète d’une transaction de si petite envergure. Dans l’attente des conclusions de la Commission, nous gérons les deux entreprises de manière séparées.

Comment le marché de la bière évolue-t-il ?

Le marché de la bière, globalement, est en diminution. De manière générale, les gens consomment moins d’alcool. Au niveau des 18-25 ans, 25% déclarent ne pas boire d’alcool. C’est une évolution majeure des dix dernières années. On constate aussi que si les gens boivent moins, ils boivent mieux, privilégiant la qualité. L’offre, d’autre part, est plus diversifiée. À côté de la bière, on trouve de nombreux champagnes, vins, apéros, cocktails. Aujourd’hui, si l’on considère l’activité brassicole, que représente la Brasserie Nationale.

Et comment se positionne la concurrence ?

Aujourd’hui, nous produisons chaque année 149.000 hectolitres. Nous sommes la première brasserie du pays. L’autre grand acteur, c’est la Brasserie du Luxembourg depuis plusieurs années propriété d’AB Inbev. Ces dernières années, on constate que le groupe a désinvesti dans les marques nationales, avec l’abandon de Mousel ainsi que la limitation de la distribution de la Diekirch. A côté, on trouve d’autres acteurs, parmi lesquels on peut citer la Brasserie Simon. Je pense qu’il est important qu’il y ait une saine concurrence à l’échelle d’un marché. Cela permet à nos équipes de ne pas s’endormir, d’entretenir une dynamique d’innovation dont profitent les clients.

Quels sont les principaux leviers de développement et de croissance ?

Considérant la situation, les possibilités de croître au niveau du marché luxembourgeois sont limitées. La consommation de bière a stagné sur les 15 dernières années, s’établissant autour de 480.000 hectolitres par an. La production locale a tendance à diminuer, les clients se tournant aussi vers des produits venant de l’étranger. Pour croître, nous devons donc chercher à mieux exporter nos produits, en développant notamment notre présence en France, vers la Lorraine et l’Alsace notamment.

Pourquoi la France ?

Du côté de la Belgique, le marché est déjà hyperconcurrentiel. En France, il y a plus de possibilités pour se positionner. Nous entretenons cette proximité avec nos voisins et développons des relations de qualité avec les différents acteurs. Nous pouvons jouer sur le caractère familial de l’entreprise et notre taille modeste pour nous positionner. Face à des grands concurrents, nos valeurs sont très appréciées.

Ces dernières années, en Belgique, mais pas seulement, on a aussi vu se multiplier la création de petites brasseries artisanales. Quel regard portez-vous sur ces acteurs ?

Au Luxembourg, nous avons aussi quelques petites brasseries qui proposent d’excellentes bières. Je trouve cela plutôt chouette. Le Luxembourgeois est avant tout un buveur de pils. Ces brasseries ont tendance à explorer de nouvelles choses, à faire découvrir d’autres saveurs au marché. Cela crée de l’émulation. Ces entrepreneurs contribuent à une image positive de la bière. À notre niveau, notre gamme s’est aussi considérablement élargie, avec désormais 9 Battin, dont une IPA, notre bière bio Funck-Bricher ou encore des bières de saison. Au-delà de cette diversification, nous avons lancé, dès 2020, notre gamme d’eaux minérales Lodyss.

Envisagez-vous la création d’une bière sans alcool ?

C’est en projet. Aujourd’hui, il y a une vraie demande pour cela. Je crois beaucoup à un tel produit. Cependant, cela implique des investissements importants, que nous réaliserons dans les mois à venir.

Comment appréhendez-vous les enjeux de développement durable ?

C’est une réelle préoccupation. Nous avons considérablement investi ces dernières années pour limiter notre impact environnemental, en installant des panneaux photovoltaïques pour réduire notre consommation d’énergie, en changeant les chaudières, en veillant à récupérer l’eau. Il y a quelques années, 4 litres d’eau étaient nécessaires pour produire 1 litre de bière. Désormais, il ne nous en faut plus que 2,5 litres. Nous avons aussi réalisé un bilan carbone pour mieux identifier les leviers d’amélioration. La thématique nous est chère et nous invite à nous remettre en question. Il en va de notre responsabilité d’entreprise. Si nous ne le faisons pas, qui le fera ?

 

AUTOUR D’UN VERRE

Que prendrez-vous à boire ?

Une bonne pils. En bonne compagnie, j’apprécie une bière de soif, composée uniquement de ces quatre ingrédients naturels que sont l’eau, le malt, le houblon et la levure.

Avec qui aimeriez-vous partager un verre ?

J’aimerais pouvoir retrouver ma grand-mère. Elle a toujours été là pour moi. Moi m’a toujours écouté quand j’avais un problème. Elle me rassurait, me disait qu’elle me comprenait, même si je pense que ce ne devait pas toujours être le cas. C’était ma confidente et j’aimerais pouvoir à nouveau rire avec elle.

Votre truc pour décompresser en fin de semaine ? 

Du sport. De la natation ou du Bikram Yoga.

Une destination pour souffler ?

En famille, nous aimons nous rendre régulièrement en Allemagne de l’Est, dans un petit village où nous avons nos habitudes, où nous retrouvons des voisins, dont les préoccupations sont bien éloignées des nôtres. Cela permet de s’extraire du quotidien, de se déconnecter.

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