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ULO, les yeux dans les yeux
Avec ULO, cette petite chouette qui cache une caméra connectée, Mu Design a développé un concept nouveau baptisé « emotive technology ». « La volonté est d’ajouter une couche d’émotion sur la technologie », explique Vivien Muller, son CEO. Il suffit d’ailleurs de croiser le regard d’un ULO pour comprendre le potentiel de l’idée. Singulière, Mu Design l’est par son approche tant du marché que de la technologie. Un cas d’espèce (et pas uniquement nocturne) rare au Luxembourg.
May 1, 2019
Dans les locaux de cette start-up, il y a plus de chouettes que d’employés. Haut de quelques centimètres, elles nous observent, nous suivent du regard. Alors que l’une ou l’autre semble s’assoupir, certaines vous lancent un regard frondeur. Derrière les yeux pétillants, animés et colorés de ces petits animaux composés de plastique sont logées de petites caméras. L’objet connecté répond au petit nom d’ULO. Connectées, ces caméras vous permettent de surveiller votre habitation ou tout autre local à distance. Leur concepteur, Vivien Muller, évolue au milieu de ces volatiles sans plume au sein de la société Mu Design, aujourd’hui logée au Technoport. Il nous accueille chaleureusement, nous présentant Michel, Guillaume et Elodie, les trois membres de l’équipe, sans oublier Maki, la mascotte canine de l’entreprise.
Au départ, la sculpture d’une chouette
Les start-up qui conçoivent de nouveaux produits, réels objets du quotidien, alliant technologies et design sont suffisamment rares au Luxembourg pour que l’on s’y attarde. L’histoire d’ULO et de Mu Design, en outre, est singulière. Se promenant dans la ville de Dijon, un beau jour, Vivien Muller découvre une sculpture d’une petite chouette. C’est la révélation. « En découvrant cette forme, j’ai tout de suite imaginé placer deux écrans intégrant des capteurs d’image à la place des yeux pour créer une caméra connectée », explique-t-il. Vivien n’en était pas à son coup d’essai. Quelques mois plus tôt, le jeune designer avait conçu un petit pingouin en plastique destiné à devenir un support pour l’Apple Watch. « L’écran de la montre prenait la place de son visage, explique-t-il. Seulement, ce produit a été imaginé à une époque où trop peu de personnes disposaient d’une montre connectée. J’étais un peu trop en avance sur mon époque. » Ce pingouin, sans doute, allait préfigurer ULO.
Un financement participatif de 1,6 million d’euros
Après cette révélation dijonnaise, Vivien se met au travail. Il réinterprète la sculpture et lance, en fin d’année 2015, une campagne de financement participatif sur Kickstarter. À travers la plateforme, les amateurs peuvent préacquérir l’objet. L’argent levé permettra de financer son développement et sa production. « Si l’objectif d’une telle démarche est de lever des fonds, c’est aussi un bon moyen de tester une idée, d’évaluer un marché potentiel. À l’époque, je n’avais pas d’idée précise de l’électronique que devrait intégrer ULO. J’ai considéré, en analysant les autres caméras commercialisées sur le marché, que le prix que les gens seraient prêts à mettre pour un tel objet ne devait pas dépasser 200 euros », explique-t-il. Il faudra attendre quelques jours de campagne avant de voir le compteur de Kickstarter s’emballer. Après deux mois, l’objectif de 200.000 euros est largement dépassé. Ce sont quelques 10.000 ULO qui ont été précommandés et 1,6 million d’euros qui a été levé. « En tant qu’architecte d’intérieur indépendant, résident à Metz, je n’ai pas la structure ni le compte en banque pour accueillir une telle somme d’argent », se souvient Vivien Muller. Le dirigeant de start-up en devenir décide de se faire conseiller.
L’euphorie laisse place à la pression
C’est vers le Luxembourg qu’on l’oriente pour lui permettre de créer le plus rapidement possible une société, Mu Design, qui verra le jour en décembre 2015. Quelques mois plus tard, c’est au Technoport qu’il trouvera un cadre idéal pour poursuivre son développement. « Dans les premiers moments, après la campagne, c’est l’euphorie qui domine. Ces gens prêts à dépenser 200 euros alors qu’ils doivent encore attendre un an avant de recevoir ce pour quoi ils ont payé ne représentent en effet qu’une petite partie du marché potentiel. La réussite de cette campagne est une belle validation de l’idée », assure Vivien Muller. Mais à côté de l’euphorie, une pression s’installe avec le lancement du compte à rebours. Le designer avait un an pour développer concrètement la chouette-caméra connectée et la livrer à ses premiers ambassadeurs. « C’est là que commencent les vraies difficultés. D’abord, j’ai cherché un sous-traitant capable de prendre en charge le hardware et le software qui permettront de faire fonctionner ULO, explique Vivien Muller, qui reconnait s’être fourvoyé dans le choix du prestataire choisi. D’une part, des premiers retards ont été constatés. D’autre part, le coût des composants choisis entrainait une hausse intenable des prix de production. Finalement, j’ai pris la décision de gérer tous ces aspects en interne. »
Tirer des leçons des échecs passés
L’autre enjeu, au-delà de du développement, est de pouvoir produire la coque de la chouette et garantir son assemblage. À ce niveau, Vivien Muller a aussi tenu compte des leçons du passé et principalement d’un premier échec cuisant et mal vécu quelques années auparavant. Car le garçon n’en est pas à son coup d’essai – à l’occasion, il vous présentera aussi son concept de radiateur de salon uniquement composé de coudes de tuyaux. En 2008, un peu après sa formation de designer, le jeune homme conçoit avec l’une de ses connaissances un Bonzaï photovoltaïque. Le petit arbre, aux extrémités duquel pendent des petits capteurs solaires, s’intègre parfaitement dans un intérieur moderne et offre l’opportunité de recharger son Smartphone ou tout autre terminal mobile grâce à l’énergie puisée à la lumière du jour. « Nous avons confié la production de cet objet à une usine en Chine, à Shenzhen, et avons été confrontés à d’importants problèmes de qualité », se souvient Vivien Muller. Il lui d’ailleurs fallu du temps pour se remettre de cette défaite : le Bonzaï n’a jamais fonctionné et n’a pas pu être commercialisé. « Pour ULO, j’ai cherché qui pourrait le confectionner à un coût raisonnable en commençant par l’Europe et en étendant progressivement la zone d’exploration. C’est finalement à New Delhi que j’ai trouvé un partenaire, explique Vivien Muller. Par rapport à la Chine, les producteurs en Inde partagent une même exigence de qualité, peuvent vous aider sur une partie du développement hardware et, de plus, parlent anglais. » En s’appuyant sur ce partenaire, ULO verra effectivement le jour avec un an de retard sur le délai prévu, pour le plus grand bonheur de ses premiers acquéreurs impatients de le découvrir.
Une couche d’émotion sur la technologie
Vivien Muller a inscrit ULO dans un concept plus global qu’il a baptisé « emotive technology ». « L’idée est d’ajouter une couche d’émotion sur la technologie existante. À travers le regard de notre chouette, on peut en effet créer de l’interactivité, générer une forme d’empathie dans le chef de l’objet ou encore un côté humoristique », commente son créateur. Aujourd’hui, ULO est capable de s’animer d’une quarantaine de manières différentes. Son regard peut suivre les mouvements dans la pièce. Ses paupières se font lourdes au moment où la batterie a tendance à s’épuiser. Il peut se réveiller en sursaut s’il détecte un mouvement. « Les animations ne sont pas encore toutes accessibles. Elles seront déployées au fur et à mesure des mises à jour et de l’intégration de nouvelles options, comme la reconnaissance faciale ou encore les interactions possibles avec la voix », explique Vivien Muller. Un tel exploit ne s’est évidemment pas fait sans mal. « Il y a beaucoup de travail autour de la technologie qu’il y a derrière ULO, dans le domaine du tracking et de l’analyse des images captées par les caméras, mais aussi au niveau des animations. À l’intérieur de la chouette, on a un Operating System Android, autrement dit l’équivalent du système qui fait tourner un smartphone », poursuit le dirigeant.
Malgré tout, lever des fonds reste un défi
Le potentiel de développement autour d’ULO est encore conséquent. C’est notamment pour continuer à améliorer cette sympathique chouette que Mu Design chercher à lever des fonds. La start-up souhaite pousser plus loin ce concept d’emotive technology et éventuellement l’étendre à d’autres objets du quotidien. Pour les idées, on peut faire confiance à son designer en chef. Mais encore faut-il trouver les financements. « En parvenant à commercialiser ULO, on a fait le plus dur. On a un produit commercialisé et pour lequel il y a un réel engouement. Malheureusement, au Luxembourg, on constate qu’il est encore très difficile de lever des fonds ou de trouver des soutiens financiers », regrette Vivien Muller. L’enjeu, aujourd’hui, est aussi d’étendre cette commercialisation, en mettant des moyens marketing et en développant des partenariats avec des distributeurs. Aujourd’hui, ULO ne demande en effet qu’à se retrouver partout à travers la planète. « Dans cette optique, nous étions présents au CES à Las Vegas, emmenés par Luxfactory. Nous avons pu y établir de très bons contacts. Notre chouette séduit par son design, ce qui est heureux pour l’obsessionnel que je suis en la matière », explique le dirigeant de Mu Design. La production et la distribution, au-delà des 12.500 premiers ULO déjà fabriqués et presque tous livrés, devraient s’organiser dans les semaines à venir. En attendant, si vous souhaitez soutenir Mu Design ou acquérir ULO, le plus simple est de se rendre sur le site mu-design.lu.