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Travailler sur les imaginaires pour envisager le futur au pluriel
La science-fiction nous révèle-t-elle vraiment l’avenir ? La conférence WOOP, le 28 mars, dont la volonté est d’interroger les futurs possibles à l’ère du numérique, posera cette question à plusieurs de ses invités. Laura Le Du, cofondatrice du réseau Plurality University, invite les organisations à questionner l’imaginaire afin d’envisager d’autres voies pour l’avenir.
March 21, 2019
Madame Le Du, pourquoi est-il intéressant d’explorer l’imaginaire si l’on veut mieux envisager l’avenir ?
Aujourd’hui, la plupart des organisations, dans leur manière d’envisager le futur, et donc de concevoir des produits et des services, s’inscrivent dans des schémas dominants. Leur démarche répond à un imaginaire collectif, une vision d’avenir largement partagée. Dans leurs pratiques, les organisations s’attachent davantage à observer le contenu de ces imaginaires, plus que d’essayer de comprendre comment elles pourraient dépasser leurs effets fixant. Or, il nous apparait intéressant, si l’on veut envisager d’autres voies d’avenir, de mieux comprendre la manière dont s’est construit un imaginaire, comment les éléments qui le composent s’articulent entre eux. L’idée est donc de se doter de la capacité d’explorer le futur à travers d’autres imaginaires, pour mieux envisager d’autres manières de l’aborder.
L’imaginaire, ou la science-fiction, serait donc révélatrice de notre futur ?
Oui et non. Un imaginaire, si on s’y attache, va effectivement déterminer notre vision du futur et, de ce fait, peut préfigurer un certain avenir. On va alors s’inscrire dans le schéma proposé et influencer la conception de nos objets, nos usages et nos relations. Toutefois, personne ne nous oblige à nous enfoncer dans un imaginaire donné. La science-fiction nous offre des univers décalés, stimulants, parfois inspirants pour projeter plus aisément des visions de l’avenir. Cependant, se nourrir de contenus fictionnels ne suffit pas à développer nos capacités imaginatives. Comprendre les mécanismes qui sous-tendent la création de ces fictions permet non pas d’adhérer ou de rejeter les valeurs qu’elles mobilisent, mais davantage de s’en saisir comme des clés pour concevoir de façon créative.
L’enjeu serait donc de sortir de ces imaginaires dominants ?
Plutôt de ne pas s’y enfermer, de pouvoir en envisager d’autres. L’idée est de recourir à l’art, à la fiction, au design, à ces éléments constitutifs forts d’un imaginaire, pour mieux envisager une pluralité et une plus grande diversité de futurs. Un tel exercice implique d’abord de s’autoriser à repenser les codes qui nous conditionnent, les imaginaires les plus présents dans nos sociétés. C’est un exercice cognitif qui est loin d’être évident, qui exige un effort assez intense. Plus que d’une méthode, il est préférable de parler d’un apprentissage, d’une démarche qui requiert un entrainement permanent.
En quoi un exercice de cette nature est-il essentiel pour des acteurs qui doivent mettre en œuvre la technologie, de nouveaux outils digitaux ?
La technologie est omniprésente dans nos vies. Et la manière dont est conçu un objet impacte fortement nos modes de pensées, et nous conditionne ou nous renforce dans un schéma défini. Par exemple, la manière dont va être organisée une interface numérique, le design des icônes que l’on y trouve… vont influencer nos logiques de penser. Ainsi, les nouvelles technologies sont un levier formidable pour favoriser la création chez les utilisateurs, si tant est qu’elle ait été conçue dans cette perspective. Au-delà de l’objet, envisager d’autres imaginaires doit permettre de voir les choses autrement, de considérer d’autres possibilités de construire la société numérique ainsi que les éléments qui le constituent.
L’exploration des imaginaires pourrait donc constituer un moyen d’innover ?
Il y a beaucoup de potentiel derrière cette démarche. L’idée est d’envisager les innovations possibles à un plus large niveau. La démarche ne se limite pas à un exercice créatif, qui le plus souvent s’inscrit au cœur d’un imaginaire donné, d’un cadre qui nous conditionne. L’exploration proposée, dans notre démarche, va au-delà. Elle peut s’appliquer à divers niveaux. Il est difficile d’envisager la construction d’un imaginaire dans sa globalité, pour en faire un terreau fertile chez les utilisateurs. L’idée n’est pas de chercher les moyens d’imposer de nouvelles idéologiques, mais davantage d’inviter à sortir des schémas classiques. Dans cette optique, il est possible d’envisager le design d’un service ou d’un produit, d’une plateforme, comme des espaces génératifs permettant la fertilisation des imaginaires et leurs expressions. Et de cette manière, envisager d’autres voies pour construire l’avenir. Ceci est aussi une manière de redécouvrir un lien constructif et social avec l’objet technologique.