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PSD2 change les règles du jeu

Depuis mardi, la loi qui transpose la directive européenne sur le paiement électronique a été adoptée par la Chambre des Députés.

July 12, 2018

Dans le secteur financier, les réglementations se succèdent et occupent considérablement l’ensemble de ses acteurs, sans cesse contraints de se mettre en conformité. Les enjeux réglementaires mobilisent des ressources non-négligeables, réduisant le plus souvent la capacité d’investissement que les banques et autres institutions financières pourraient notamment placer dans l’innovation. Cependant, parmi les régulations qui déferlent depuis quelques années, PSD2 pourrait avoir un impact plus significatif que beaucoup d’autres. « La nouvelle directive paiement va potentiellement remettre en question le fonctionnement des banques elles-mêmes. Elle les contraint à s’engager dans une perspective d’open banking en les forçant à ouvrir leur système et à partager les données bancaires de leurs clients avec des acteurs tiers », explique Marc Hemmerling, General Counsel Digital Banking, FinTech and Payments et membre du senior management de l’ABBL.

La PSD2 reconnait des nouveaux acteurs du paiement, à savoir les Account Information Service Providers (AISP) et les Payment Initiation Service Providers (PISP). Ceux-ci pourront accéder aux données de compte de paiement des clients des banques, pour peu que ceux-ci les y autorisent. « Cette réglementation est un réel game changer, précise Jacques Pütz, CEO de LUXHUB, nouveau prestataire de service qui veut faciliter la gestion par les banques de leurs obligations liées à PSD2 via une nouvelle plateforme digitale et un ensemble de services associés. Jusqu’alors, les banques géraient l’intégralité de la relation avec leurs clients. Demain, ces derniers pourront recourir à des services proposés par des tiers et qui s’appuieront directement sur les informations de la banque. »

 

Un enjeu stratégique

De nouveaux acteurs disposant d’un agrément d’AISP ou PISP auront la possibilité de désintermédier la relation existante entre la banque et son client, en proposant un service innovant, plus alléchant, plus performant, sans avoir à gérer toutes les contraintes d’une banque. On s’attend à ce que ces services tiers cherchent à capter une part des revenus des banques. C’est le modèle bancaire traditionnel qui est aujourd’hui remis en question. « Il faut avoir conscience que l’enjeu n’est pas technique, ni réglementaire. Le changement qu’initie PSD2 implique une réflexion et un repositionnement stratégiques, commente Marc Hemmerling. Les banques qui ont les meilleures chances de survivre dans ce nouveau monde sont celles qui parviendront à se transformer en plateforme, en embarquant avec elles les services les plus adaptés aux attentes de leurs clients, quels que soient les acteurs qui les opèrent. » Le membre du senior management de l’ABBL, pour illustrer son propos, fait le lien avec l’industrie automobile. « Aujourd’hui, chaque modèle de voiture, quelle que soit la marque, est constitué d’un assemblage de composants et services proposés par une large variété d’acteurs. Le constructeur se contente le plus souvent de bien les agréger pour satisfaire au mieux les attentes du client final. Le challenge, pour la banque comme pour le constructeur automobile, consistera à garder le lien avec le client final, pour mieux lui proposer un ensemble de services adaptés à ses attentes et aspirations », précise-t-il.

« L’enjeu n’est pas technique, ni réglementaire. PSD2 implique une réflexion et un repositionnement stratégiques. »

Nouveaux acteurs, nouveaux services

L’avenir de la banque universelle, qui met en œuvre et opère elle-même l’ensemble des services traditionnels, semble compromis. Les acteurs qui persisteront dans l’ancien modèle auront toutes les peines du monde à se maintenir. La concurrence, sur la qualité de service, s’annonce féroce. « Les nouveaux entrants, avec d’importants moyens techniques et financiers, comme les GAFA, vont pouvoir se positionner avec des services de paiements. Facebook pourrait très bien permettre à ses utilisateurs d’effectuer des transferts d’argent au départ de leur propre compte. Amazon pourrait, sans frais, initier le paiement d’achats depuis le compte d’un de ses clients. Les solutions de paiement qui coûtent de l’argent au consommateur, comme les cartes de crédit, se retrouvent court-circuitées », explique Jacques Pütz. En effet, l’accès aux données des comptes par la banque et l’initiation de paiements doivent être rendus possibles gratuitement.  « L’Union européenne, à travers cette directive, ouvre le jeu, favorise la concurrence. Elle libéralise considérablement le marché, avec la volonté que des services plus performants voient le jour, au profit du consommateur », assure Marc Hemmerling.

« Les GAFA, vont pouvoir se positionner plus facilement avec des services de paiements. »

Les banques, chacune de leur côté, pourront aussi accéder aux données de compte de clients dans d’autres institutions. Tout comme les nouveaux acteurs, elles ont aussi la possibilité de proposer de nouveaux services. Si PSD2 est vecteur de risque pour les acteurs traditionnels, elle peut aussi être considérée comme source d’opportunités, pour peu que l’on parvienne à bien négocier ce tournant. Il est évident que les banques actuelles vont devoir se repositionner, changer d’attitude et apprendre à mieux partager, tant la donnée que l’expertise et les revenus. « Ceux qui s’inscriront dans ce mouvement vers l’open banking seront forcément gagnants », commente Jacques Pütz.

 

Spécialisation et partage d’expertise

Quelle stratégie adopter quand on est une banque confrontée à ces nouveaux défis ? « Dans la mesure où un acteur bancaire pourra accéder aux données de compte de son client chez un de ses concurrents, il faudra redéployer des offres et services à forte valeur ajoutée pour continuer à se développer dans un environnement toujours plus transparent, précise Jean Diederich, partner chez WAVESTONE et président de l’APSI. A partir des données auxquelles chacun pourra accéder, on peut faire beaucoup : innover, développer des approches du marché plus personnalisées, etc. Les banques, aujourd’hui, ne valorisent que peu ou pas du tout ces données, elles font juste de l’archivage de transactions de paiement sans réelle valeur ajoutée. »

« C’est un nouveau monde qui s’ouvre et qui obligera les banques à créer de nouveaux services et à en abandonner d’autres. »

Pour s’assurer de dégager des marges suffisantes, les acteurs devront se spécialiser et se connecter à un ensemble de partenaires. « C’est tout l’enjeu de l’API Economy, poursuit Jean Diederich. C’est un nouveau monde qui s’ouvre. Et chacun doit mettre en œuvre les changements nécessaires pour se garantir une place de choix en son sein. La banque devra créer de nouveaux services et, pour cela, en abandonner d’autres. Il apparait évident que les acteurs de demain ne pourront plus prétendre rester des généralistes et être bons dans tous les domaines. On s’attend à un mouvement de spécialisation et à un partage d’expertise à travers des plateformes. » Si PSD2 oblige les banques à s’ouvrir, elle ne leur interdit pas de développer de nouvelles formes de relations avec des commerçants par exemple, en mettant en place avec eux des approches plus efficientes pour garantir l’octroi d’un crédit à la consommation par exemple.

 

Vers l’émergence de nouvelles plateformes

Le rôle de chacun et la manière dont il crée de la valeur vont se transformer. Il est probable que le monde bancaire de demain sera constitué de plateformes à travers lesquelles il deviendra possible d’agréger divers services. Derrière cette transformation stratégique, le défi technique n’est pas des moindres pour ouvrir les systèmes, gérer les autorisations, constituer de nouvelles plateformes.

Le monde bancaire va changer. Et le mouvement imposé par PSD2, qui concerne aussi bien les banques retail que les banques privées, à partir du moment où un compte de paiement est activé, n’est qu’un début. « La véritable inconnue, aujourd’hui, réside dans la vitesse à laquelle la transformation va s’opérer. Est-ce que dans trois ans, des centaines de third part providers, AISP ou PISP, se seront positionnés ? Ou faudra-t-il encore attendre dix ans ? », interroge Jacques Pütz. Il faudra surtout analyser précisément la manière dont le marché réagit. Si les banques ont un avantage, dans la mesure où la relation avec le client existe déjà et qu’elles disposent d’un certain niveau de confiance, il ne faut pas sous-estimer la concurrence. « Un acteur comme Amazon entretient déjà un lien commercial avec la plupart des clients des banques universelles, précise Jacques Pütz. Les jeunes générations, aujourd’hui, font autant confiance qu’à Amazon qu’à leur banquier. PSD2 libéralise littéralement le marché de la banque, et tout pourrait se transformer rapidement. »

Il reste donc à construire l’environnement bancaire de demain.

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