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« Prendre le contrôle pour ne pas subir le changement »

Nasir Zubairi, CEO de la LHoFT évoque les défis de la transformation digitale de la sphère financière et les opportunités existantes pour le Grand-Duché.

April 3, 2017

nasir-zubairi-002Entre opportunités et menaces, la place financière doit faire des choix. A la tête de la Luxembourg House of Financial Technology depuis décembre dernier, Nasir Zubairi a pour mission d’emmener l’ensemble de l’écosystème financier vers le futur. Le monde change, les services financiers doivent s’adapter. Et le Luxembourg a beaucoup d’atouts dans sa poche pour y parvenir. – Par Sébastien Lambotte pour l’ITnation Mag Mars 2017

Nasir, quelle est votre première priorité en tant que CEO de la LHoFT ?

J’ai pris mes fonctions en décembre dernier. Dans un premier temps, ma priorité est d’aller à la rencontre des membres de la communauté d’acteurs qui, au Luxembourg, offrent et supportent des services financiers. Le dé de la LHoFT est bien d’encourager l’innovation au sein du secteur financier. Ce ne sera possible que si l’on prend le temps de bien comprendre les attentes et les défis de la communauté.

Qu’est-ce qui vous a poussé à briguer cette fonction ?

En tant que premier centre financier de la zone Euro, le Luxembourg a beaucoup à offrir et de nombreuses opportunités à saisir. C’est ce qui m’a motivé. Je suis installé au Luxembourg depuis le printemps dernier. Cette fonction, au sein de la LHoFT, m’offre la possibilité d’aider la place à aller de l’avant, à mieux intégrer les technologies financières. C’est un dé assez excitant. D’autant plus que la Place dispose d’une communauté d’acteurs soudée, animée par la volonté de faire gagner le Luxembourg, de construire quelque chose d’important au départ du centre financier. C’est cet esprit de communauté, cette envie d’opérer ensemble au niveau stratégique, qui sont intéressants. On ne trouve pas cela ailleurs. Je n’avais jamais connu tel engouement par le passé.

Peut-on comparer la LHOFT à d’autres organisations existantes par ailleurs, comme le LEVEL 39 à Londres par exemple ?

Le contexte est différent. Level 39 est une organisation à visée commerciale. Bien sûr, un écosystème FinTech intéressant se crée autour du concept. Mais il a été pensé avec un but lucratif au départ. Si on l’analyse de plus près, c’est un projet real estate. La LHoFT s’en distingue dans la mesure où nous ne sommes pas une organisation à but lucratif. Notre objectif, unique, est de développer ou de coordonner des solutions au service de l’écosystème financier luxembourgeois. Notre mission est beaucoup plus large que celle du Level 39 ou d’autres organisations similaires.

nasir-zubairi-004Peut-on évoquer les principaux challenges qui attendent la place financière luxembourgeoise ?

L’ensemble des acteurs qui composent le secteur financier prend conscience que Luxembourg doit changer, qu’il faut évoluer. Il n’y a pas d’autres alternatives. Ce n’est pas en restant assis, en considérant qu’il ne faut rien faire, que nous parviendrons à devenir leaders de la transformation qui s’opère. Les services financiers changent, comme le reste monde, et ce très rapidement. Ne pas bouger, c’est risquer de prendre le changement en pleine face. Et le retard accumulé pendant que l’on regardait le monde évoluer serait difficile à rattraper.

Le défi, ici, est d’emmener tout un écosystème vers plus de changements…

C’est là notre core business. Nous devons permettre à l’ensemble des acteurs de s’inscrire dans une dynamique de changement. Notre volonté est que, à terme, ils se sentent plus à l’aise avec les possibilités offertes par la technologie. Un des moyens de les rendre sensibles aux opportunités d’innover, est de partir d’éléments tangibles, en leur montrant comment la technologie peut être vecteur d’économies. Les possibilités d’améliorer les processus d’administration, notamment, sont nombreuses. Ce n’est peut-être pas le côté le plus sexy de la FinTech. Mais ces modèles d’innovation permettent aux acteurs de se familiariser avec les possibilités offertes par la technologie. Pour faire bouger cet écosystème, nous devons y aller par étapes, afin de progressivement ouvrir les esprits sur ce que permet l’innovation dans une approche plus globale.

A quoi ressemblera le monde des services financiers à un horizon de 5 à 10 ans ?

Si je pouvais le définir précisément, je pense que je serais un homme riche à l’heure qu’il est. Ce qui est certain, c’est qu’il sera différent. Le monde dans son ensemble sera différent. Et les services financiers ne feront rien d’autre que de s’adapter aux évolutions à l’œuvre dans nos sociétés. D’ici dix ans, nous n’aurons peut-être plus besoin de conduire nos voitures. L’impression 3D va transformer la production. On sait que, aujourd’hui, il est possible d’imprimer des immeubles en 3D ou encore de la nourriture. Des organes pourront être imprimés en 3D. L’intelligence artificielle va tout changer. Demain, considérant que l’intelligence artifcielle pose des diagnostics plus précis et plus cohérent que les humains, votre docteur pourrait bien devenir un robot. Toutes ces choses arrivent. Pourquoi les services financiers resteraient les mêmes dans un monde qui change ?

Quelle attitude doivent adopter les acteurs de la finance ?

Il y a un changement de mentalité à opérer. Le premier dé est de parvenir à surmonter la peur du changement. Ensuite, il faut parvenir à mieux appréhender le processus d’innovation au départ de la technologie. Généralement, quand des acteurs d’envergure envisagent les opportunités portées par la technologie, ils veulent des certitudes quant à ce que cela va leur apporter.
Ce n’est pas la bonne attitude. Il faut parvenir à envisager la technologie comme un catalyseur de changement, sans forcément avoir une idée précise des possibilités qu’elle va générer. Bien sûr, cela fait peur. Et c’est souvent le principal frein. Les gens s’accrochent à ce qu’ils connaissent, plutôt que d’envisager un changement nécessaire pour assurer leur futur.

Doit-on selon vous concentrer nos efforts sur des technologies en particulier : robot advisor, Blockchain… ?

Je pense que les grands domaines dans lesquels le Luxembourg doit investir sont les RegTechs, la cybersécurité et la Blockchain. On pourra envisager le phénomène du robot advising dans un second temps. La dimension RegTech couvre de nombreuses opportunités, avec des solutions à apporter en matière de compliance, de reporting ou de KYC.

On considère souvent le Luxembourg comme un place d’administration, notamment en ce qui concerne les fonds… La blockchain pourrait notamment court-circuiter toute cette activité clé. Comment évaluez-vous cette menace ?

Bien sûr, il y a un risque. Mais la clé, c’est d’investir dans la technologie pour soutenir le changement. Avoir un business model basé sur le principe que rien ne changera, très sincèrement, c’est insensé. Il nous appartient de protéger nos business, en adaptant les modèles qui le soutiennent. Comment, ce que je fais aujourd’hui, sera encore opportun demain, comment dois-je m’adapter ? Voilà la seule et vraie question à se poser.

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