TRANSFORMATION & ORGANISATION

« Prendre aujourd’hui la mesure des tendances qui font la société de demain »

« C’est dans les temps incertains que se révèlent les vrais leaders », nous dit Laurent Moscetti, Partner, Consulting Leader à EY Luxembourg.. Faire face à la volatilité exige d’être capable de répondre aux défis du présent tout en préparant l’entreprise pour demain. Pour cela, il faut adapter la vision, les modèles et mobiliser les bonnes ressources, humaines et technologiques.

May 4, 2023

Nous vivons des temps particulièrement incertains. Qu’est-ce que cela représente comme défi lorsque l’on est dirigeant d’entreprise ?

Aucun acteur n’échappe au haut niveau d’incertitude actuel, associé à une volatilité accrue des coûts. Que l’on soit un grand groupe métallurgique ou un petit entrepreneur, tout le monde est impacté. Dans ce genre de contexte, la qualité du leadership et de l’exécutif est essentielle. Naviguer lorsque l’on connaît le sens du courant, ce n’est pas difficile. C’est dans la tempête que l’on reconnaît les bons capitaines. La mission du leadership, c’est de parvenir à trouver une voie qui permet de faire face à la situation actuelle, aussi complexe soit-elle, tout en transformant l’entreprise dans une approche à moyen et long terme.

Comment envisager un horizon à cinq ans quand chaque crise semble bousculer en profondeur les fondamentaux ?

Le futur d’une entreprise doit s’envisager en tenant compte de grandes tendances, qui ne sont pas remises en cause par les crises successives. A ce niveau, il faut considérer les attentes de la société, les enjeux de durabilité, et la gouvernance d’entreprise. Ce sont des piliers fondamentaux qui organisent  le changement. Les acteurs qui ont intégré ces enjeux sont souvent moins menacés, leurs modèles sont beaucoup plus résilients. Les directions d’entreprises , doivent donc continuer à prendre la mesure de ces transformations sociétales  et des évolutions économiques attendues, afin de les intégrer au cœur de leurs approches de développement.

Les crises successives, comme la crise énergétique, l’inflation, la pression sur les chaînes d’approvisionnement, n’ont-elles pas tendance à remettre en question les priorités ?

Elles n’affectent pas le fondement des tendances évoquées. Tout au plus, elles agissent en éléments perturbateurs. Elles peuvent retarder, à certains égards, la mise en œuvre des projets, la réalisation des objectifs établis. Elles exigeront de différer certains investissements. La destination demeure. Les chemins à prendre pour l’atteindre peuvent cependant différer, en raison des obstacles qui se dressent ponctuellement sur la voie choisie. Aujourd’hui, personne ne remet en cause l’exigence d’évoluer vers des modèles durables et responsables. La réglementation, en outre, pousse dans ce sens. Chaque dirigeant doit dès lors faire évoluer son organisation pour répondre à ces enjeux. Le contexte d’inflation fait que l’accès au capital pour financer les projets nécessaires sera plus difficile. Cependant, si l’on veut que l’activité perdure, si on veut continuer à attirer, convaincre des clients, maintenir son accès au marché, l’entreprise n’a pas d’autre choix que d’évoluer.

Sur quels leviers peut-on agir concrètement pour transformer son entreprise ?

Au-delà des considérations immédiates, il faut selon moi travailler sur cinq axes.

Le premier concerne la redéfinition de sa stratégie de croissance . Il s’agit, au regard de la situation de son entreprise  et des potentielles défaillances des acteurs de la concurrence, de saisir les opportunités présentes dans le marché. Il convient de revoir les  objectifs à moyen terme et d’engager une réflexion sur le modèle d’affaires. Veut-on continuer à évoluer de la même manière à l’avenir ou croître par le biais d’acquisitions  ? Le cas échéant, quelles cibles faut-il désormais envisager ?

Le deuxième enjeu majeur a trait à la gestion financière, principalement dans un contexte d’inflation et de pression importante sur la chaîne d’approvisionnement, qui affecte directement la rentabilité. Il est donc primordial de travailler avec ses équipes Finance pour établir différents scénarios de rentabilité et poursuivre des optimisations de la structure de coûts, en ligne avec  la poursuite de nouveaux objectifs.

Le troisième axe de travail est bien évidemment  la proposition de valeur. Dans un monde bousculé , les attentes des clients évoluent rapidement . Ils souhaitent qu’on leur propose de nouveaux produits et services. L’entreprise doit donc gagner en agilité et améliorer sa capacité à mettre sur le marché de nouvelles prestations pour tenir compte de ces évolutions.

Quels sont les deux autres axes de travail ?

Les crises successives ont révélé l’importance d’un modèle opérationnel robuste. La flambée des matières premières, ou de composants nécessaires à la production, a révélé dans de nombreux cas des segments d’activité trop  exposés à ces risques devenus fréquents . Quel modèle adopter pour garantir sa souveraineté ?

Enfin, naviguer dans des temps incertains implique d’avoir le bon équipage. Si l’on demande à ses collaborateurs de faire face à de nouvelles situations tout en répondant aux attentes des clients finaux, il faut veiller à garantir la satisfaction des équipes. Pour évoluer de manière pérenne, il faut maintenir la confiance de tous envers l’entreprise. C’est ensemble qu’il faut construire le futur de l’activité, en veillant à donner les moyens à chacun d’y parvenir.

Comment parvenir à aligner tous ces enjeux ?

Il n’existe pas de solution ou d’approche unique. Les dirigeants ont la charge de travailler sur ces composantes, et parvenir à bien séquencer les transformations à mener dans le respect d’une vision à poursuivre, de la raison d’être de l’entreprise. Il faut pouvoir établir une feuille de route et naviguer de manière agile, en considérant les risques et en s’ouvrant aux opportunités. Ce n’est possible que si l’on est préparé, que si l’on a pris la mesure des grandes tendances et que l’on a fixé le cap du développement futur de son activité. Dans un monde qui évolue, au-delà du danger, il y a des opportunités.

Quels sont les outils à la disposition du dirigeant pour naviguer plus efficacement dans cet environnement et concrétiser sa vision ?

D’abord, je pense qu’il est important de bien s’entourer, de s’appuyer sur les personnes et les compétences qui l’aideront à trouver les réponses adaptées aux enjeux et à les mettre en œuvre. L’un des défis est de s’assurer que tous partagent la vision et y contribuent. Au-delà, de nombreux outils peuvent être mobilisés. La technologie, notamment, est un levier de transformation incontournable de l’organisation et de son fonctionnement. L’analyse des données et l’automatisation des processus doivent permettre d’avancer plus efficacement. Cependant, la technologie n’aide pas suffisamment si l’on ne dispose pas des bonnes ressources humaines, si l’on ne s’appuie pas sur l’intelligence des équipes. Dans ce contexte, c’est dans les ressources humaines qu’il faut investir, à travers la formation notamment. Au-delà, il y a un travail essentiel à faire sur la culture, pour favoriser l’innovation. Il faut favoriser l’expérimentation, s’autoriser à faire des erreurs, échouer autant que réussir afin d’avancer dans la bonne direction.

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