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« Pour pouvoir définir notre modèle de société, il nous faut maîtriser la technologie »

Gilles Moyse, fondateur de reciTAL, société française spécialisée dans les solutions d’intelligence artificielle dans le domaine du traitement automatique du langage, interviendra dans le cadre de la conférence WOOP sur les enjeux de souveraineté technologique.

March 21, 2019

Gilles Moyse, fondateur de reciTAL

Acteur de l’intelligence artificielle en France, reciTAL s’affirme en tant que défenseur de la vie privée et de la souveraineté numérique européenne. Pourquoi ce positionnement ?

A travers notre activité, nous mettons en œuvre des solutions d’intelligence artificielle de traitement automatique du langage. Cette technologie trouve aujourd’hui de nombreuses applications dans notre quotidien. Elle nous permet, en analysant le contenu de textes contenus dans des e-mails, des documents, des mémos…, d’en extraire l’information, de la retrouver simplement, de la classer automatiquement, d’émettre des recommandations, de détecter les fuites de données, etc. Ce sont des solutions aujourd’hui omniprésentes. Ce qui doit nous pousser à nous interroger à propos des implications qu’elles peuvent avoir sur nos vies. En effet, celui qui détient le savoir-faire technologique lié à ces applications dispose potentiellement d’une influence considérable. Or, ceux qui maîtrisent ces solutions aujourd’hui sont essentiellement des entreprises privées américaines ou des organisations privées ou étatiques chinoises. Notre ambition, au sein de reciTAL, est de nous positionner durablement comme un acteur européen de référence dans ce domaine, de grandir en développant ces solutions au départ de l’Europe, en gardant la maîtrise sur la technologie comme sur notre développement.

La conférence WOOP, à laquelle vous allez participer le 28 mars prochain, a pour thème central « la liberté à l’heure du numérique ». De votre point de vue, quels sont les enjeux en la matière ?

La souveraineté technologique est un enjeu clé si nous souhaitons, en Europe, pouvoir mieux définir le modèle de société dans lequel nous souhaitons évoluer. Des technologies comme l’intelligence artificielle auront aussi un impact conséquent sur l’emploi, même s’il est aujourd’hui difficile de prédire précisément son ampleur. On sait cependant que la technologie actuelle ne permet pas de remplacer l’humain. Elle le soulage dans la réalisation de tâches administratives, répétitives, fastidieuses. La technologie va aussi créer de nouvelles tâches. Des anthropologues ont pu démontrer, à travers l’apparition de l’écriture par exemple, comment une invention humaine permettait par la suite de réinventer l’homme. L’écriture nous a ainsi permis d’explorer les mathématiques, la cartographie, l’astronomie ou encore la philosophie. Or, on considère que l’informatique est une invention d’ampleur comparable à celle de l’écriture et que ce qu’elle nous apportera sera au moins de la même ampleur.

Se pose alors la question de l’attitude à adopter dans la mise en œuvre de la technologie…

Le débat éthique, parce qu’il s’agit de cela, est en effet complexe. L’enjeu est de parvenir à rester dans la course technologique actuelle, en s’assurant de rester en accord avec nos valeurs. De mon point de vue, le débat éthique doit aujourd’hui se concentrer sur des enjeux essentiels comme la protection des données et de la vie privée, la problématique de désinformation, avec la propagation des fake news. Cette désinformation est une réelle menace pour nos démocraties. Un autre grand débat éthique crucial est lié à l’usage militaire de l’IA, à la possibilité de recourir aux Lethal Autonomous Weapons Systems.

Les questions éthiques, justement, ne risquent-elles pas d’être confisquées par les géants du numérique ? On voit aujourd’hui ces acteurs extrêmement puissants développer des projets transhumanistes et emmagasiner des masses astronomiques de données personnelles…

Ces projets transhumanistes, je n’y crois pas du tout. C’est peut-être d’ailleurs plus un leurre qu’autre chose. L’idée d’un Terminator n’est pas réaliste dans l’immédiat. Par contre, la concentration de la donnée par ces acteurs doit nous inquiéter davantage, dans la mesure où elle rend possible une surveillance et une manipulation de masse. Il en va là aussi de notre liberté et de notre souveraineté.

D’où la question de la géopolitique numérique, au cœur de votre intervention dans le cadre de WOOP…

Aujourd’hui, si pour une raison ou une autre, la Maison Blanche veut s’opposer à l’Europe, elle n’a pas besoin d’envoyer des soldats. Il lui suffit de couper quelques services numériques proposés par les géants du web pour paralyser tout le continent. Cela constituerait une crise majeure. On comprend dès lors combien cet enjeu de souveraineté est important et qu’il faut qu’on investisse davantage dans la technologie, pour en garantir la maîtrise. Avoir la maîtrise de la technologie est aussi essentiel si l’on souhaite mettre en œuvre le modèle de société voulue.

Or, actuellement, l’Union européenne, pourtant première puissance commerciale au monde, n’est-elle pas totalement larguée ?

Je ne pense que nous soyons largués. Nous avons les connaissances et les moyens. Il nous manque encore les usines. Mais nous avons la capacité de les mettre en œuvre. Il y a lieu de réactiver nos ambitions en la matière.

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