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“Nous sommes en meilleure position pour aborder les défis futurs”
C’est à Olivier Ramlot qu’a été décerné le prix de CIO of The Year 2024 à l’occasion du Gala Golden-i, le 16 mai, au siège de PwC Luxembourg. Depuis décembre 2021, en tant que Chief Data Officer puis CIO, il a accompagné le projet de migration du Core Banking System de la banque, réalisée en octobre dernier. Cette transformation majeure, nous confie-t-il, doit permettre à la banque de mieux appréhender ses développements futurs et de répondre plus efficacement aux attentes des clients. Il revient avec nous sur ces enjeux. Il évoque aussi la manière avec laquelle le CIO, aujourd’hui, doit contribuer aux enjeux stratégiques des organisations et sans cesse veiller à entretenir l’engagement de ses équipes.
July 16, 2024
Qu’est-ce que ce prix de CIO of The Year représente à vos yeux ?
Comme je l’ai dit au moment de la remise du prix, c’est avec beaucoup d’humilité que je reçois cet honneur. Ce titre de CIO of The Year récompense avant tout la BIL et les équipes IT pour tout le travail qui a été accompli ces dernières années afin que la banque se dote de nouvelles capacités de se transformer. Le projet de migration vers un nouveau Core Banking System a exigé une implication considérable de l’ensemble des équipes, au niveau de l’IT, c’est vrai, mais aussi à travers toute la banque. Le Core Banking System est le cœur opérationnel d’une banque. La plupart des opérations, transactions, produits et services d’une banque reposent sur cet outil. Dans la carrière d’un CIO, pouvoir accompagner un tel projet constitue une expérience exceptionnelle. Aujourd’hui, nous sommes en meilleure position pour aborder les défis futurs qui se présentent à nous. Au- delà de cette migration, pour gagner en efficacité nous avons aligné l’organisation de l’IT sur la nouvelle organisation de la banque. C’est là-dessus que nous allons capitaliser dans les mois à venir, pour mieux servir nos clients. Ce prix, dès lors, vient renforcer la motivation de nos équipes, nous inviter à continuer à avancer.
Ce projet d’ampleur, en effet, a fait transpirer vos équipes…
Je dirais même plus. Cette migration a généré une pression croissante au fur et à mesure que l’on s’approchait du Go-Live. Nous sommes à ce jour la seule banque universelle au monde à avoir opéré une migration en mode Big Bang vers le Core Banking System de Temenos sur un périmètre aussi large. Cette réalisation nous a aussi valu d’être honoré du prix « Core Transformation Award » décerné par l’éditeur lors du Temenos Community Forum 2024 qui s’est récemment tenu à Dublin. Il est important de souligner que ce projet ne s’est pas limité à l’adoption d’un nouveau core banking system. Il incluait aussi la mise en place d’un nouveau CRM et le déploiement de nouveaux modèles de risque. Si cette migration s’est opérée en un week-end, elle a exigé des années de préparation. Cette transformation a été aussi une importante expérience humaine. Ce projet a mobilisé l’ensemble des collaborateurs de la banque autour d’un objectif commun. Cela a rapproché les équipes et favorisé une meilleure compréhension des rôles et contraintes de chacun, IT et métiers, et, de manière plus générale, du fonctionnement de la banque.
Ce projet n’était en effet pas sans risque. Qu’est-ce qui justifiait d’opérer un tel changement ?
Ce projet était important pour la banque dans la mesure où l’on arrivait à la limite du système précédent, que celui-ci devenait bloquant pour la poursuite de nouveaux objectifs stratégiques, l’acceptation de nouveaux clients. Nous devions aussi migrer sur des technologies plus récentes. Ce changement renforce notre capacité à nous adapter plus efficacement aux attentes du marché. Au niveau technique, nos efforts seront désormais moins concentrés sur la gestion du Core Banking System et davantage sur l’amélioration de la proposition de valeur. Le nouvel environnement doit nous permettre d’absorber davantage de flux, de pouvoir opérer plus de transactions et, de ce fait, nous permettre de continuer à grandir.
Privilégier un package bancaire évolutif plutôt qu’une solution propriétaire est un changement important. Qu’est-ce que cela implique ?
Cela doit nous permettre de profiter de développements effectués par notre partenaire, répondant aux besoins de plusieurs banques, plutôt que de devoir tout développer nous-mêmes. Ce choix devrait contribuer à réduire les coûts liés aux adaptations qu’il nous faut sans cesse effectuer pour répondre à une pression réglementaire croissante. Avec cette approche, il faut toutefois accepter certaines contraintes, notamment de nous adapter à la solution plutôt que d’avoir une solution sur-mesure. Il a donc été nécessaire de repenser un grand nombre de nos processus. La démarche, in fine, doit nous conférer une plus grande agilité et nous permettre de répondre plus rapidement à des évolutions de marché. Ce que l’on a perdu en souplesse et personnalisation, on l’a gagné en rapidité de déploiement. Il est intéressant de noter qu’avec cette transformation, nous avons rapproché l’ensemble des acteurs luxembourgeois utilisateurs de la solution de notre partenaire, en l’occurrence Temenos, dans l’optique d’opérer un partage d’expérience et contribuer à pouvoir faire évoluer la solution au départ des besoins communs identifiés.
Cette transformation s’est opérée à l’automne dernier. Qu’est- ce que cela a changé ?
Nous sommes encore actuellement dans une phase de stabilisation suite à cette migration d’envergure. L’enjeu, désormais, est de nous concentrer davantage sur l’amélioration de l’expérience client et sur des développements stratégiques pour la banque. C’est dans cette optique que nous avons aussi décidé d’intégrer un nouveau CRM avec Salesforce. La volonté, au travers de ces déploiements stratégiques, est aussi de renforcer notre approche « customer centric », de renforcer la compréhension des besoins de nos clients, la relation que l’on entretient avec chacun, pour leur proposer les produits et services en phase avec leurs besoins et attentes. Sur cette nouvelle base, de nombreux autres projets sont aujourd’hui envisagés et vont pouvoir être mis en œuvre. Il est aussi plus aisé d’intégrer de nouvelles solutions ou fonctionnalités. Nous souhaitons aussi capitaliser sur des solutions de « Low Code/No Code » comme OutSystems pour faciliter et accélérer certains développements au niveau des métiers.
Comment qualifieriez-vous le rôle du CIO au sein de votre organisation ? Comment voyez-vous évoluer la fonction ?
À l’échelle de l’entreprise, je considère le rôle du CIO comme étant un facilitateur. Garant de la vision technologique de l’entreprise, il doit soutenir la réalisation de ses objectifs stratégiques, et aussi permettre à chaque collaborateur de réaliser plus facilement les tâches qui lui incombent. Le CIO est aussi un facilitateur du développement commercial, en contribuant à l’amélioration des interactions entre la banque et ses clients, en simplifiant la compréhension et l’accès aux divers produits et services proposés, cela en facilitant l’adoption des dernières technologies. D’autre part, le CIO assume des responsabilités importantes au niveau du « run », autrement dit du fonctionnement opérationnel de la banque. En effet, les opérations s’appuient essentiellement sur les systèmes d’information, sur l’infrastructure IT. Mes équipes doivent donc veiller à la robustesse de cette infrastructure, à la disponibilité des systèmes, en considérant l’ensemble des enjeux liés à la cybersécurité.
Auprès de ses équipes, mais aussi à travers l’ensemble de la banque, le rôle du CIO est aussi de mobiliser et de motiver chacun vis-à-vis de son travail. Cela implique de donner du sens, de pouvoir montrer ce à quoi chacun contribue, l’impact qu’il génère à travers son travail. Il s’agit, d’une part, de montrer comment la technologie contribue au développement de la banque, à la satisfaction de l’ensemble des utilisateurs, et, d’autre part, de permettre à chacun de travailler avec les métiers, de pouvoir approfondir ses compétences et de les exploiter dans son travail au quotidien. Dans cette logique, le CIO est aussi un partenaire des autres dirigeants de l’organisation. Il n’est plus cantonné aux aspects strictement technologiques et IT. Il est partie prenante de l’ensemble des projets qui sont menés à l’échelle de l’institution, contribue à une approche collective et transversale du développement de l’activité.
” Je considère le rôle du CIO comme étant un facilitateur “
Au-delà de cette migration, quels sont vos principaux challenges pour les années à venir ?
L’un des principaux est de permettre à la banque d’appréhender et d’intégrer les technologies émergentes afin de permettre aux utilisateurs d’accéder aux outils qui les soutiendront dans la réalisation de leurs missions. Au travers de la gestion de l’ensemble de l’environnement informatique et technologique, nous devons parvenir à proposer à chacun de nos utilisateurs la meilleure expérience et de pouvoir la faire évoluer aisément dans le temps. Un deuxième défi important réside dans l’humain. On ne peut pas atteindre les objectifs que l’on se fixe si l’on ne dispose pas des compétences nécessaires au sein de nos équipes. L’une de mes préoccupations majeures est de m’assurer que nous disposons des bonnes personnes et qu’elles s’épanouissent dans leur travail. Il est aussi nécessaire de s’entourer de fournisseurs de qualité.
Enfin, et il s’agit de défis permanents, nous devons garantir la sécurité de l’information et des systèmes, protéger l’ensemble de nos parties prenantes vis-à-vis des cybermenaces, mais aussi répondre aux enjeux de conformité réglementaires, avec la mise en œuvre de nouvelles mesures autour de la résilience (DORA), l’ouverture (OpenBanking), des paiements (Instant Payment) ou encore du développement durable…
Si l’intelligence artificielle est appelée à prendre une place croissante au sein de nos organisations, comment voyez-vous évoluer la place de l’humain ?
Les possibilités offertes par l’IA sont importantes. C’est déjà une réalité tangible au sein de notre banque. Nous y avons recours depuis plusieurs années, par exemple pour nos modèles de risques avec des approches prédictives. L’intelligence artificielle nous permet aussi d’automatiser et de valider certaines opérations comme des dépassements sur les cartes de crédit. C’est un vecteur d’amélioration de nos performances.
Pour nos collaborateurs, une technologie comme l’IA, et plus particulièrement l’IA générative, doit avant tout être considérée comme un outil qui permet à chacun d’être plus performant, d’exécuter un ensemble de tâches, comme la recherche d’information, la transcription ou le résumé d’un contenu, plus rapidement. L’automatisation élevée que permet la technologie offre la possibilité de libérer l’humain d’une série de tâches répétitives, chronophages, administratives, pour lui permettre de mettre ses capacités au service d’enjeux à plus haute valeur ajoutée pour le client.
La mise en œuvre de la technologie à l’échelle de la banque doit toujours servir l’humain, aider nos clients à bénéficier d’un meilleur service, soutenir nos collaborateurs dans leurs missions. Notre approche, que nous appelons « phygital » vise à cet égard à toujours chercher le meilleur équilibre entre « physique » et « digital ». Au cœur de la relation commerciale, par exemple, se côtoient transactions et opérations bancaires du quotidien, qui peuvent être réalisées directement par les clients via notre plateforme de banque en ligne, et l’accompagnement et le conseil prodigués par nos chargés de clientèle, indispensables pour les projets de vie ou d’investissements professionnels.
L’évolution technologique, l’intégration de l’IA, a un impact fort sur les besoins en compétences. Comment y répondre ?
La transformation numérique des organisations et l’automatisation de certains processus ou tâches font que certaines fonctions disparaissent. Par contre, d’autres se créent. Il faut accompagner cette transformation, permettre à chacun d’évoluer, en acquérant une maîtrise de la technologie et des outils mis à disposition. Le principal levier, à cet égard, est la formation. La gestion du changement est aussi un élément clé de l’évolution des organisations. Nous l’avons notamment vu lors de notre projet de changement de Core Banking System. L’ampleur du projet, ses répercussions sur l’organisation et les processus ont impliqué la mise en place d’équipes dont la mission était d’accompagner le changement et de soutenir les équipes afin de leur permettre de se familiariser avec nos nouveaux outils. La formation, la communication, la collaboration sont évidemment des dimensions importantes à l’accompagnement du changement.
” L’humain reste et restera le principal levier de création de valeur au coeur des organisations “
La technologie, par ailleurs, peut aider à faciliter les échanges et à soutenir l’acquisition de nouvelles compétences.
La seule certitude que l’on a aujourd’hui, c’est que tout change en permanence, et de plus en plus vite. Lorsque l’on a conscience de cela, l’enjeu est de soutenir une dynamique de transformation, en mobilisant les équipes vis-à-vis des défis stratégiques, pour les inviter à s’adapter, mais aussi à soutenir le changement afin de faire prospérer l’entreprise.
Comment repositionner l’humain au cœur de ce processus de création de valeur ?
La motivation et l’implication des collaborateurs sont plus importantes que jamais, et pour cela chacun doit pouvoir donner du sens à ce qu’il fait. L’humain reste et restera le principal levier de création de valeur au cœur des organisations. Pour tirer avantage des possibilités aujourd’hui offertes par l’automatisation, pour créer de la valeur au départ de l’humain, il est important que chacun comprenne comment il contribue, à son niveau, au projet stratégique de l’entreprise.
Pour bien positionner, ou repositionner, les collaborateurs comme levier de création de valeur, il faut avoir une vision stratégique claire. Chacun doit comprendre comment, par son travail et celui de son équipe, il contribue à sa réalisation. Dans un monde qui évolue en permanence, il faut un projet collectif fort, mobilisateur, dans lequel chacun peut s’engager. Mobiliser autour de la poursuite d’objectifs communs, de l’accompagnement des clients, de la sécurité des opérations ou encore de la responsabilité sociétale de l’organisation, reste un défi permanent. La banque de demain se construira avec des collaborateurs motivés, créatifs, dotés d’un esprit critique et analytique, des qualités dont la technologie ne peut se prévaloir. C’est dans l’échange, le rapprochement des fonctions, des expertises que l’on peut plus efficacement créer, grandir, évoluer. C’est aussi pour cette raison que, depuis plusieurs années, nous travaillons au déploiement d’approches agiles, rapprochant notamment business et IT, à divers niveaux de la banque.
A la tête d’une équipe de 220 personnes (plus de 400 si l’on compte les externes), Olivier Ramlot supervise un vaste ensemble de fonctions : infrastructure, architecture, data, business plateformes, innovation, IT products & services, CyberSecurity, IT risk. L’actuel CIO de la BIL évolue depuis une vingtaine d’années dans le secteur bancaire au Luxembourg, occupant des responsabilités variées en lien avec l’IT et la transformation numérique. Après avoir mené à bien ce projet majeur de migration, qui a nécessité de mobiliser l’ensemble des collaborateurs de la banque, Olivier Ramlot et ses équipes s’attachent à mettre la technologie, et notamment les possibilités offertes par ce nouvel environnement, au service des ambitions de la banque.