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« L’investissement privé doit nourrir le développement des start-up »

Les start-up constituent d’importants leviers d’innovation, notamment pour des entreprises bien installées. Pour Brice Lecoustey, Partner, Consulting et Christian Schlesser, Partner, Tax au sein d’EY Luxembourg, l’investissement privé a un rôle clé à jouer pour accélérer le développement de partenariats fructueux entre ces deux écosystèmes complémentaires, et ce au bénéfice de l’ensemble de l’économie luxembourgeoise.

February 2, 2022

Pourquoi les start-up doivent-elles aujourd’hui être considérées comme des alliées incontournables pour une entreprise souhaitant innover ?

BRICE LECOUSTEY : Le contexte dans lequel évoluent ces entreprises a changé au cours des dernières années. L’innovation est devenue indispensable. Mais pour innover, les sociétés ont désormais besoin d’autre chose que de qualités techniques. Elles doivent aussi trouver les bonnes idées et les bons talents, notamment des personnes capables de se projeter pour identifier quels seront les besoins de consommation dans plusieurs années. Toutes ces qualités, couplées à un leadership fort, peuvent parfois être trouvées dans les start-up.

CHRISTIAN SCHLESSER : Au sein des entreprises, l’innovation a souvent été synonyme d’optimisation des processus. Or, la réelle innovation reviendrait plutôt à changer de processus, à les « casser ». Mais pour amener ce genre d’idées en entreprise, il faut pouvoir compter sur l’avis de personnes qui réfléchissent différemment, qui ont un autre background, une autre vision. C’est là que les start-up peuvent être très utiles.

Fortes de ce constat, les entreprises, au Luxembourg, ont-elles réellement commencé à développer des collaborations avec les start-up ?

B.L. : Certaines l’ont fait, mais il est vrai que le mouvement reste encore limité, pour l’instant. Cela s’explique par la persistance de certains freins : le grand nombre d’intermédiaires entre les start-up et les entreprises, le manque d’intérêt de certaines sociétés par rapport à l’écosystème start-up, etc.

C.S. : Il ne faut pas non plus perdre de vue la question des coûts que supporte une entreprise et qui l’incitent souvent à tout faire pour ne pas interrompre les processus qui ont fait leurs preuves. Dans ce contexte, se lancer dans une démarche d’innovation est souvent mal perçu : cela revient à interrompre le travail, à se mettre en danger financièrement, à faire preuve d’audace. L’innovation comporte donc un risque d’échec, qui est culturellement très mal accepté au Luxembourg. A mon sens, il faudrait donc pouvoir soutenir ceux qui se lancent dans une démarche d’innovation, notamment avec des moyens humains, financiers, fiscaux, etc.

Les sociétés luxembourgeoises bénéficient pourtant d’un soutien important en matière d’innovation, à travers de nombreux dispositifs publics. N’est-ce pas suffisant ?

B.L. : Le premier problème à régler est celui du manque d’intérêts de certains dirigeants pour les start-up. Ensuite, il est vrai que la question du financement se pose également. Ce qui est assez incroyable, c’est qu’il y a de l’argent au Luxembourg. Mais la plupart des investisseurs préfèrent placer leurs capitaux dans l’immobilier, par exemple, qui est un secteur qu’ils connaissent généralement mieux. Il serait donc intéressant de développer des lois, en matière fiscale, qui incitent les investisseurs à agir pour le développement des start-up et le renforcement de leurs liens avec les entreprises. La formule du livret A, qui a permis de financer la construction de logements sociaux en France, est un modèle qui pourrait être intéressant à reproduire.

« Il faudrait pouvoir soutenir ceux qui se lancent dans une démarche d’innovation, notamment avec des moyens humains, financiers, fiscaux, etc. »

C.S. : De tels dispositifs ont été expérimentés avec un certain succès au Luxembourg. En 1993, par exemple les certificats d’investissement en capital-risque ont été lancés avec l’objectif de réduire le risque de l’investisseur par le biais d’un retour garanti sur des investissements à grand risque dans des entreprises introduisant des fabrications ou technologies nouvelles. Le certificat d’investissement permettait d’obtenir un crédit d’impôt équivalent à 30 % de sa valeur nominale. Mais, pour développer l’investissement dans l’innovation au Luxembourg, je crois que le facteur psychologique doit également être pris en compte. L’aversion au risque des résidents luxembourgeois est relativement importante, surtout quand il s’agit d’investir dans une technologie qu’ils ne connaissent ou ne comprennent pas, ou qui leur fait encore trop peur.

Il est toutefois plus facile de régler un problème de financement que de dispenser une thérapie collective permettant de dépasser cette peur de l’échec… Comment procéder ?

C.S. : Je pense qu’il faut d’abord faire comprendre aux gens – les entrepreneurs en tête – qu’ils n’ont pas forcément besoin de tout comprendre de la technologie dans laquelle ils investissent. En effet, s’ils connaissaient la réponse à toutes les questions, ils n’auraient pas besoin de ces start-up. Ensuite, chacun doit réaliser que l’échec n’est pas un problème en soi. Peu de personnes évoquent les échecs d’Elon Musk ou Jeff Bezos… Revenons sur la question du financement.

Pourquoi les investissements publics ne suffisent-il pas à booster l’innovation au Luxembourg ?

B.L. : Les subventions publiques couvrent une partie des coûts liés au développement d’une start-up. Mais il reste une fraction importante à assumer. C’est la raison pour laquelle l’investissement privé est nécessaire. En outre, l’implication du privé dans le financement des start-up permettrait aux investisseurs d’être plus concernés par l’innovation au sein de leur propre pays, de s’approprier cette thématique.
Selon moi, il faudrait toutefois offrir certaines garanties – fournies par le public – à ces investisseurs. On pourrait notamment imaginer de créer un fonds souverain, ou bénéficiant à tout le moins de garanties étatiques, dédié à l’innovation et au financement des start-up.

C.S. : Au niveau fiscal, il faut signaler que le régime luxembourgeois est plutôt bien conçu pour les investisseurs résidents qui souhaitent soutenir les start-up. Les plus-values réalisées sur ces investissements ne dépassant pas 10 % sont en effet défiscalisés au bout de six mois. On peut donc dire que, du côté public, des mécanismes pertinents existent pour soutenir l’innovation. Mais on peut toujours aller plus loin. Concrètement, quelle forme pourrait prendre ce fonds de soutien à l’innovation ?

B.L. : On pourrait imaginer un modèle proche de celui de l’assurance-vie, qui permet aux investisseurs d’obtenir des déductions fiscales sur leurs investissements. Cette donnée fiscale est une vraie sécurité, qui permettra de rendre plus acceptable l’inévitable risque pris en investissant dans une start-up. Ce qui est clair, c’est que tous les ingrédients sont présents, au Luxembourg, pour investir massivement dans l’innovation. Tout ce qu’il manque, c’est une plus grande participation du capital privé dans les investissements consentis. Et on ne pourra s’en passer si on veut atteindre le niveau d’innovation qu’impose l’évolution de nos sociétés

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