TRANSFORMATION & ORGANISATION

« L’innovation, essentielle pour parvenir à une économie durable et compétitive »

Le Luxembourg a fait de l’innovation un pilier essentiel de son développement économique. A travers son agence pour l’innovation, le pays veille à fédérer et coordonner les initiatives en la matière et accompagner les entreprises dans leur démarche de transformation. Au coeur des enjeux, comme l’évoque avec nous Sasha Baillie, CEO de Luxinnovation, le numérique, le développement durable, une meilleure collaboration, sans oublier l’humain.

February 16, 2022

Pouvez-vous nous expliquer la place, le rôle, que tient l’innovation dans la stratégie de diversification et de renforcement économique du pays ?

SASHA BAILLIE : Elle tient un rôle essentiel ! Et encore plus en cette période de crise sanitaire et économique. Il y a différentes études qui ont clairement montré que l’innovation est l’une des clés pour libérer le potentiel de croissance post-crise. S’il est évidemment difficile de quantifier précisément l’impact économique de l’innovation, l’expérience du passé a bien montré que les entreprises qui ont le plus investi dans l’innovation en période de crise – et ce fut notamment le cas lors de la crise financière de 2009 – sont, au final, plus performantes après la crise par rapport à celles qui n’ont pas investi dans l’innovation. C’est parce qu’elles ont su être agiles, avant-gardistes et, pour certaines, précurseures.

C’est pourquoi, en dehors des aspects purement financiers en matière de RDI, les gouvernements travaillent sur la mise en place de dispositifs permettant de faciliter les transferts de technologies de la recherche vers le privé et vers les entreprises ; de soutenir les start-up ou encore de co-financer des projets d’innovation des entreprises. C’est ce que nous faisons au Luxembourg.

Aujourd’hui, l’innovation recouvre de nombreuses réalités et s’exprime sous bien des formes. Quelle définition en donneriez-vous ?

S.B. : L’innovation n’est pas une fin en soi. C’est un moyen de garantir que notre économie et nos entreprises se développent de manière durable et compétitive. C’est par l’innovation que les entreprises conçoivent de nouveaux produits et services qui répondent à l’évolution des besoins et des attentes du marché. Grâce à l’innovation, elles peuvent améliorer leurs processus et prospérer dans un environnement de plus en plus complexe où elles sont exposées à des changements constants, porteurs de risques et d’opportunités. L’innovation est essentielle pour parvenir à une économie durable et compétitive.

Pourquoi une entreprise, quelle que soit son activité ou sa taille, serait-elle bien avisée de s’inscrire dans une démarche d’innovation ?

S.B. : L’innovation apparaît clairement comme un levier essentiel permettant d’envisager une sortie de crise durable et solidaire. Dans le contexte que nous connaissons aujourd’hui, elle est primordiale pour faire face à la fois aux effets de la pandémie sur notre santé et sur la société dans son ensemble, mais aussi pour trouver des moyens d’éradiquer le virus. Il faut aussi que les entreprises aient conscience que l’innovation, au sens large, n’est pas uniquement synonyme de technologie. On peut être innovant dans la mise en place de nouveaux modes d’organisation ou de processus en vue de devenir plus efficace et performant. Être innovant peut aussi être le fruit d’interactions, de dialogues, d’échanges et de partages d’expériences, que ce soit des bonnes ou des mauvaises.

Pouvez-vous nous expliquer le rôle de Luxinnovation au service des démarches d’innovation des entreprises ?

S.B. : Nous contribuons à aider les entreprises à repenser de nombreuses façons de faire les choses. En tant qu’agence pour l’innovation, nous avons comme mission de fournir aux entreprises les bons outils afin qu’elles puissent saisir pleinement les nouvelles opportunités d’affaires que tous les changements du moment apportent. La crise a mis en avant la vulnérabilité de nos chaînes d’approvisionnement, en même temps que des attentes toujours plus grandes, de la part des consommateurs et des citoyens, pour des services et des produits plus durables. Les entreprises doivent en tenir compte dans leur approche business et la nature de leurs relations avec leurs fournisseurs et prestataires.

Nous sommes persuadés que les technologies digitales offrent des solutions qui répondent à ces attentes. Nous sommes aux côtés des entreprises qui veulent adopter ces technologies digitales, voire adapter leur business model existant, ou bien développer elles-mêmes des nouvelles solutions digitales. Et nous sommes persuadés que cela pourra les aider à se retrouver en première ligne dans l’économie durable de demain, qui sera axée sur le digital et les données. Tout cela se fait sans oublier une dimension essentielle qu’il faut intégrer dans nos réflexions et nos actions : l’humain !

« L’innovation , au sens large, n’est pas uniquement synonyme de technologie . On peut être innovant dans la mise en place de nouveaux mode s d’organisation ou de processus »

Car le rôle de l’humain est plus que jamais primordial dans un monde qui devient de plus en plus numérisé et automatisé, afin de libérer tout le potentiel de l’innovation et assurer un avenir durable. Nos collaborateurs sont ainsi en contacts directs et réguliers avec les responsables dans les entreprises. Ils les connaissent, les écoutent et ils les comprennent. L’empathie est une valeur-clé dans ces relations avec les entreprises.

Comment se structure votre offre à l’égard des entreprises ?

S.B. : D’une manière générale, nos efforts de promotion de l’innovation s’articulent autour du double objectif d’une transformation digitale et d’une économie durable compétitive. Nous plaçons les entreprises au coeur même de ces efforts. Pour cette raison, nous venons de regrouper au sein d’une nouvelle direction dédiée à la transformation digitale, toute notre expertise interne relative aux technologies digitales et aux initiatives de digitalisation. Ce nouveau département regroupe le Digital Innovation Hub et les initiatives nationales et internationales de transformation digitale que nous menons ou que nous soutenons auprès de partenaires externes (Centre de compétences HPC, Gaia-X, plateforme nationale d’échange de données, MeluXina…). Mais il propose aussi une expertise interne dans le domaine du digital et des données pour soutenir tous les autres départements de Luxinnovation en relation directe avec des entreprises pour lesquels un tel savoir-faire digital est indispensable.

Par ailleurs, toutes les activités de nos clusters relatives à l’utilisation et à la transformation durables des ressources dans les nombreux secteurs de notre économie (matériaux et production industrielle, bois, automobile et mobilité, technologies propres et industries créatives) sont désormais regroupées au sein de notre Sustainable Innovation Hub. Nous garantissons ainsi une meilleure vue d’ensemble de toutes nos compétences et des possibilités offertes par l’écosystème en matière de durabilité à destination des entreprises qui recherchent des conseils et un soutien dans le but de devenir plus durables grâce à l’innovation. Bien sûr, l’effort de transformation digitale et durable se décline aussi toujours au travers de nos différents départements, que ce soit l’accompagnement des entreprises pour leurs projets de financements nationaux ou européens, le soutien aux start-up ou bien encore la mise en oeuvre de nos différents programmes de performance « Fit 4 ».

« Nos efforts de promotion de l’innovation s’articulent autour du double objectif d’une transformation digitale et d’une économie durable compétitive »

Luxinnovation anime plusieurs clusters. Pouvez-vous nous expliquer comment ces pôles contribuent à l’innovation ?

S.B. : La Cluster initiative, lancée dans le courant des années 2000, a pour objectif de renforcer les liens entre les entreprises, la recherche et le secteur public, dans le but de stimuler l’innovation et d’agir en véritable ‘ciment’ permettant de rassembler toutes les parties prenantes afin de rassembler leur compétences respectives pour trouver des solutions innovantes à des problèmes de l’écosystème qu’on peut seulement résoudre en commun. Avec, en filigrane, toujours la même finalité : trouver, en commun, des solutions aux problématiques rencontrées. Nous animons, au sein de Luxinnovation, six clusters dédiés aux secteurs AutoMobility, CleanTech, Creative Industries, HealthTech, Materials & Manufacturing et Wood. Les managers de ces clusters sectoriels ont une double fonction. D’une part, celle de soutien individuel aux entreprises, en gérant les relations avec les sociétés d’un secteur, en évaluant leurs besoins et en facilitant l’innovation en leur sein. D’autre part, les clusters managers stimulent le développement sectoriel grâce au processus d’idéation qu’ils animent. Il s’agit de favoriser la collaboration entre les entreprises et/ou les acteurs de la recherche en initiant des problématiques transversales qui pourront être abordés au sein des groupes consultatifs propres à chaque cluster et qui réunissent des experts du secteur privé, des organisations de recherche et des autorités publiques.

D’autres pays font de l’innovation ou encore du numérique leur fer de lance. Comment le Luxembourg entend-il se positionner ? Comment parvient-il à se positionner à l’échelle internationale ?

S.B. : Je suis convaincue que si le pays peut rendre les données provenant de sources multiples accessibles et utilisables, tout en garantissant leur protection et celle de la vie privée, nous pouvons offrir aux entreprises d’ici une réelle opportunité de générer de la valeur et de construire une nouvelle colonne vertébrale pour notre économie. Le Luxembourg peut être le terrain d’essai, le laboratoire des défis que l’Europe doit relever dans son ensemble pour assurer le flux de données au sein d’une infrastructure européenne de données sécurisée, fiable et ouverte. Nous avons réussi par le passé à construire un centre financier au Luxembourg en suivant de près les tendances mondiales, en comprenant les enjeux et les opportunités, et en développant des solutions de manière agile qui répondent à un besoin réel. Nous pouvons faire de même avec les données. Le Luxembourg pourrait ainsi devenir le lieu où les solutions en matière de données sont développées et testées dans un environnement européen sûr et sécurisé, avec un accès à la technologie de classe mondiale qu’offrent notre université et nos institutions de recherche.

Aujourd’hui, au regard des ambitions du ministère de l’Économie, vers le numérique et le développement durable, quelle direction donner à l’innovation ?

S.B. : Il s’agit avant tout de donner aux entreprises les moyens d’innover aujourd’hui afin qu’elles soient prêtes pour demain ; d’identifier les opportunités d’innovation et de promouvoir les projets d’innovation collaborative qui stimulent le développement d’une économie compétitive, digitale et durable. Cette stratégie est ancrée sur celle du ministère de l’Économie, et s’inscrit également dans le cadre bien plus vaste de différentes stratégies édictées à l’échelle européenne. Je citerai pêle-mêle la Stratégie numérique pour l’Europe, la Stratégie européenne pour les données, la Stratégie industrielle pour l’Europe et la Stratégie axée sur les PME pour une Europe durable et numérique. Nos actions sont aussi guidées par les Objectifs de Développement Durable figurant dans l’Agenda 2030 de l’Organisation des Nations Unies pour le développement durable, ainsi que par le Pacte vert pour l’Europe publié par la Commission européenne en 2019 pour aider nos entreprises et notre économie à fonctionner et à se développer de manière plus durable, mais aussi à passer à un modèle de croissance économique circulaire, à faible émission de carbone, grâce à l’innovation et à la digitalisation. Nous nous appuyons également sur la Stratégie d’Intelligence Artificielle et la Stratégie d’Économie Circulaire du gouvernement, qui sont toutes deux alignées sur les objectifs stratégiques respectifs de l’UE dans ces domaines.

« Le Luxembourg pourrait ainsi devenir le lieu où les solutions en matière de données sont développées et testées dans un environnement européen sûr et sécurisé »

C’est en nous alignant avec ces stratégies que nous pouvons donner à nos actions un poids conséquent et, ainsi, contribuer efficacement à la fois aux objectifs stratégiques de l’UE, du gouvernement luxembourgeois et de leurs principales parties prenantes. Sans oublier que nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires historiques que sont la Chambre de Commerce, la Chambre des Métiers et la FEDIL – Fédération des Industriels. Depuis plusieurs années, le Luxembourg a investi dans le développement d’un vaste écosystème innovant, aujourd’hui fortement cristallisé autour de Belval. Quel regard portez-vous sur cet environnement ?

S.B. : Il est formidablement dynamique et porteur d’une réelle valeur ajoutée. Cette proximité de tous les acteurs de la recherche, que ce soit l’Université, les différents centres publics – le Luxembourg Institute of Science and Technology, le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research ou encore le Luxembourg Centre for Systems Biomedicine –, mais aussi l’incubateur Technoport et nous-mêmes, qui jouons le rôle de pont entre les univers de la recherche et de l’industrie, permettant ainsi une collaboration optimisée. Du reste, ces synergies servent de socle à l’initiative Research Luxembourg qui a montré toute son efficacité dans le cadre de la task force Covid-19 mise en place dans les premières semaines de la pandémie en 2020. Nous avons pu y contribuer, en incitant notamment les entreprises à soumettre des idées et des propositions aux groupes de travail scientifiques, pour collecter et consolider les différentes propositions, et pour les canaliser vers les autres groupes. Là encore, nous avons joué pleinement notre rôle de lien entre la recherche publique et le secteur privé.

Le succès de l’appel conjoint lancé au printemps dernier dans le domaine des technologies de la santé est un autre exemple de synergies réussies entre secteurs public et privé. La plateforme mise en place qui a été développée comme un facilitateur de partenariats public-privé PPP dans le domaine des dispositifs médicaux digitaux pour les acteurs nationaux. Une vingtaine de propositions de projets de recherche a été soumise, impliquant des entreprises luxembourgeoises, des organismes publics de recherche et des centres de soins de santé. Une centaine d’échanges bilatéraux dans l’écosystème national ont été initiés autour de ce PPP.

Comment s’assurer que tous ces efforts en faveur de l’innovation portent leurs fruits et profitent au pays ?

S.B. : La meilleure manière qui soit tient dans la mise en relation et la sensibilisation. Il est essentiel de bien comprendre qui sont les entreprises, quelle est leur expertise, quels sont les défis auxquels elles sont confrontées et, partant de là, quels sont les acteurs de la recherche qui sont en mesure de les aider à affronter ces défis. C’est en assurant un lien permanent et interactif entre la recherche et le secteur privé que nous pourrons nous assurer de la réussite de la démarche. Il existe des études internationales qui démontrent que des investissements consentis dans des infrastructures de recherche et des compétences scientifiques sont susceptibles de générer des activités économiques annexes et dynamiques bénéficiant à l’ensemble de l’économie au sens large. Beaucoup de villes ou de régions se sont transformées grâce au développement d’activités de recherche, mais aussi de beaucoup d’activités connexes favorisant l’échange et le partage de compétences et de savoir-faire.

C’est stimulant pour un écosystème, mais la qualité des activités de recherche prise individuellement ne suffit pas. Le succès passe aussi par l’alignement d’autres facteurs tels que la densité et la diversité des activités dans une région, la qualité des institutions locales, l’agilité des processus administratifs ou encore l’accessibilité des décideurs. Le tout porté par une réelle culture d’échanges et de stimulation des connaissances.

On a aussi beaucoup parlé des start-up, comme vecteur d’innovation. En quoi ces acteurs contribuent-ils à l’innovation ? Et comment poursuivre le développement de cet écosystème ?

S.B. : Par essence même, les start-up sont plus agiles. Clairement, la crise que nous vivons a constitué, pour elles, une formidable source d’opportunités. Nous voyons notamment que les développements presque exponentiels des technologies naissantes dans les domaines de l’intelligence artificielle ou du big data, par exemple, offrent aux start-up l’occasion de révéler leurs talents et d’apporter des solutions innovantes. Avec l’avantage, au Luxembourg, de pouvoir très rapidement passer de la théorie à la pratique et de tester ou d’utiliser de nouvelles solutions ou applications en temps réel. Le gouvernement luxembourgeois croit fortement au formidable potentiel que représentent ces start-up. Ce n’est pas un hasard si le régime d’aides pour les entreprises innovantes avait été revu l’année dernière : le ministère de l’Économie avait ainsi décidé d’augmenter le taux maximum de cofinancement appliqué de 50% à au moins 70 % pour toute aide de type ‘Jeunes entreprises innovantes’ octroyée. Cette mesure de soutien temporaire est prévue de rester en application au moins jusqu’au 31 décembre 2021. Il s’agit d’un pas important fait par le ministère de l’Économie. Il reste maintenant au secteur privé à prendre le relais.

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