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Les crypto-actifs sont appelés à s’institutionnaliser
Dans l’univers des crypto-actifs, grands et petits événements nous préparent à d’importants changements dans les mois à venir. Comment les planètes s’alignent-elles ? Que nous disent les mouvements observés de ce qui nous attend à l’avenir ? Thomas Campione, Blockchain & Crypto-assets Leader, PwC Luxembourg, pointe les grandes tendances en la matière.
July 15, 2020
Cela bouge dans le monde des crypto-actifs. Apparus il y a quelques années, après avoir soulevé beaucoup de questions, les crypto-actifs ne sont aujourd’hui plus uniquement l’affaire des geeks et techno-financiers. Ils sortent de leur niche pour intégrer les plans de développement des plus grands acteurs. Ainsi, JP Morgan a ouvert les portes aux deux acteurs majeurs de la crypto que sont Coinbase et Gemini . « Elle semble désormais loin l’époque où le Bitcoin était dénigré par l’intégralité de l’industrie financière. On peut parler d’un important changement de mindset », commente Thomas Campione Blockchain & Crypto-assets Leader, PwC Luxembourg.
Mais quelles sont les dernières grandes tendances à l’œuvre au cœur de l’univers des crypto-actifs ?
Les banques centrales s’emparent du sujet
« L’une des tendances majeure observées ces derniers mois, si l’on parle de crypto-monnaies, réside dans la multiplication des travaux sur le sujet par les banques centrales. On les regroupe sous l’acronyme CBDC, pour Central bank digital currency, explique Thomas Campione. Alors qu’il n’y a pas si longtemps, elles regardaient les développements des crypto-monnaies avec une certaine distance, ces institutions prennent désormais le sujet très au sérieux. Les ambitions de Facebook et des autres partenaires du consortium Libra ont en effet créé le risque de faire émerger un acteur capable d’émettre une monnaie facilement accessible par plus de 2 milliards d’utilisateurs. Cela a clairement poussé les banques centrales à réagir et s’approprier le sujet. »
Le projet Libra a en effet suscité de nombreuses interrogations au niveau des États, à commencer par les États-Unis. La patrie de l’Oncle Sam a même craint qu’un tel projet puisse détrôner le dollar en tant que monnaie de référence. Inacceptable. Dans l’ensemble, les dirigeants et les régulateurs ont fait pression sur le consortium, l’obligeant à s’adapter pour devenir plus consensuel.
L’émergence des CBDC
« Toujours est-il que cela a été un déclencheur, poursuit Thomas Campione. Il apparait désormais essentiel, pour la Banque Centrale Européenne notamment, de pouvoir rester pertinente face à l’émergence d’acteurs tiers autour des crypto-monnaies. En comptant sur l’engagement réel des banques centrales des États membres de l’Union européenne, la volonté est de pouvoir proposer un équivalent à l’euro sous forme digitale , et de faire profiter les citoyens des avantages associés au crypto-actifs. »
Notons, en la matière, que la Chine propose déjà sa propre CBDC, le DCEP, en phase pilote dans différentes province du pays et que les États-Unis travaillent activement aussi sur le sujet.
La prise de possession du sujet par ces institutions, en revenant à une forme de gestion centralisée des crypto-monnaies, fait que l’on s’éloigne de l’utopie « purement décentralisée » sous-tendant les premières crypto-monnaies comme le Bitcoin. Ces nouveaux développements, toutefois, vont permettre de faire entrer plus rapidement les crypto-monnaies et crypto-actifs au sens large, dans le quotidien de chacun et de faire profiter un large nombre d’utilisateurs des avantages liés à l’échange de ces actifs numériques. « Avec une CBDC, la BCE pourrait établir un contact direct avec chaque citoyen, sans devoir passer par une banque commerciale, ce que les règles en vigueur interdisent actuellement, poursuit Thomas Campione. Les banques centrales pourraient dès lors profiter d’une vue claire et en temps réel sur les dynamiques à l’œuvre et mieux envisager des politiques de soutien de l’économie par exemple. »
Mouvement d’institutionnalisation
Si les banques centrales prennent possession du sujet, on peut aussi se réjouir que l’industrie financière s’en empare également afin de proposer de nouveaux produits et services. « On assiste à un mouvement d’institutionnalisation dont on peut se réjouir, poursuit Thomas Campione. On voit naître une industrie crypto qui se construit en reflet de l’industrie classique mais avec une vitesse et agilité toute autre . » Les acteurs envisagent dès lors les crypto-actifs comme un levier de diversification intéressant de leurs services ou de leurs produits. « On voit naître des plateformes de crypto-exchange, de crypto-custody ou de crypto-brokerage, contribuant, à l’instar de la Bourse classique, à faciliter l’accès aux produits « crypto » et à leur assurer une liquidité accrue. Les deux mondes, traditionnel et crypto, ont vocation à se rapprocher. »
Le rôle des régulateurs fait débat
D’autre part, on ne peut pas non plus ignorer les démarches entreprises par les régulateurs pour encadrer les projets autour de crypto-actifs, et même souvent les bloquer. Le plus emblématique des cas est certainement le procès intenté par la SEC, la commission de régulation des marchés financiers aux États-Unis, à la plateforme russe Telegram, procès qui a d’ailleurs entraîné l’abandon du projet. Telegram refusait en effet de répondre aux questions du régulateur sur l’allocation des 1,7 milliard de dollars levés par Telegram auprès des investisseurs.
« Évidemment, il y a pas mal mauvais élèves au cœur de l’écosystème, comme dans l’industrie financiére classique d’ailleurs. Cependant, la technologie sous-tendant le projet Telegram semblait intéressante. D’importants débats ont lieu autour de la qualification des tokens, qui peuvent prêter à bien des interprétations, commente Thomas Campione. Je trouve positif que les régulateurs se penchent sur ces questions. Il ne faut toutefois pas que cela cannibalise tous les développements dans le secteur. Il est difficile de ne pas fournir de clarté et dans le même temps de sanctionner des initiatives qui tente de trouver leur voie »
Des opportunités à saisir
Dans ce contexte, il serait préférable de fixer un cadre réglementaire clair autour des crypto-actifs. « La Suisse est plus avancée sur ce genre de discussion par exemple. Le Luxembourg a tout à gagner à développer une approche proactive et ouverte en la matière, notamment pour capter les nombreux projets visant à lever des fonds à et procéder à des investissements au départ de tokens, une catégorie de crypto-actifs disposant d’un sous-jacent pouvant prendre des formes diverses et variées telle que de la dette, de l’equity ou du real estate pour n’en citer que quelques-uns. Il y a beaucoup de demandes pour cela. Ces projets sont complémentaires à l’industrie des fonds luxembourgeoise et contribueraient à sa diversification, assure Thomas Campione. Le problème est que la clarté n’est pas encore faite au niveau européen. »