DIGITAL BUSINESS
« Le numérique doit avant tout veiller à soutenir le business »
Head of IT Department au sein de la Spuerkeess, Tom Goerens évoque les grands enjeux de la transformation numérique de la banque étatique. Autour des trois dimensions principales que sont l’optimisation de l’organisation, le client et la réglementation, la volonté est de renforcer la création de valeur en optimisant les coûts.
May 6, 2025

Comment s’opère la transformation numérique d’une structure comme la Spuerkeess ? Quels sont les principaux défis et ambitions en la matière ?
La transformation numérique d’une organisation comme la nôtre, comme beaucoup d’autres par ailleurs, s’articule autour de plusieurs axes stratégiques. En premier lieu, et c’est ce que l’informatique fait depuis toujours, il s’agit de soutenir les utilisateurs dans l’exécution de leurs missions bancaires, dans la prestation de leur service au client. Aujourd’hui, cela se traduit par des efforts dans le domaine de l’automatisation. Il s’agit de libérer les employés de tâches répétitives pour leur permettre de se concentrer sur des tâches plus stratégiques, à travers lesquelles ils se sentent mieux valorisés et contribuent davantage au développement de l’activité bancaire. À titre d’exemple, on peut parler de la récupération automatique d’informations sur les sociétés commerciales à partir des registres officiels, l’extraction à partir de documents fournis des valeurs clés sous forme structurée.
Quels sont les autres grands axes stratégiques de votre transformation numérique ?
La transformation numérique joue aussi un rôle clé vis-à-vis des clients. La volonté est de soutenir la relation que nous entretenons avec eux via la digitalisation des démarches et des procédures. Nous cherchons à améliorer l’expérience numérique et à l’étendre continuellement sur nos différents canaux, quel que soit le client ou son besoin. Ainsi S-Net s’est récemment enrichi de produits d’investissement et d’épargne aussi bien que de la fonctionnalité prêt hypothécaire afin de permettre au client de s’occuper de ses besoins bancaires quand et où il le veut. Avec S-Net Business, nous avons créé une nouvelle solution bancaire permettant aux PME ou associations de facilement gérer leurs finances professionnelles au quotidien. Et nous collaborons avec des acteurs publics comme la CNS par exemple pour assurer les fondements de solutions du genre « paiement immédiat direct ».
Un troisième grand axe stratégique, si l’on parle de transformation numérique, a trait à la régulation. Les exigences auxquelles nous devons répondre, en tant qu’institution financière, sont de plus en plus contraignantes. Le défi est d’adapter nos processus non seulement de manière conforme aux attentes du régulateur, mais de transformer ces contraintes réglementaires en opportunités commerciales et technologiques.
Les outils numériques, les possibilités de traitement qu’ils offrent, doivent nous permettre de répondre efficacement aux attentes du régulateur tout en augmentant l’efficience et les fonctionnalités de nos systèmes. Ainsi les données préparées pour le reporting à la Banque Centrale vont aussi servir dans divers rapports de pilotage de l’activité bancaire.
Vous n’évoquez pas la gestion des infrastructures et des ressources informatiques parmi les axes stratégiques de cette transformation…
La transformation numérique doit se construire sur des bases solides, des environnements sécurisés, redondants, afin de garantir la résilience de l’activité. Il s’agit en effet de fondements essentiels, que nous devons gérer et maîtriser. Nous devons nous assurer que les services proposés soient fiables et sécurisés, en nous appuyant à la fois sur des ressources propres ou locales, sur les possibilités que nous offre le cloud ou encore sur la sous-traitance. Mais ce n’est toutefois pas au niveau de ces couches que l’IT contribue à générer de la valeur pour le business. Il ne s’agit pas de faire de l’IT pour l’IT. Nous sommes avant tout là pour supporter, aider le business.
Comment cette transformation numérique se manifeste-t-elle concrètement ?
On peut évoquer divers exemples phares. Au niveau de S-Net, nous avons par exemple digitalisé l’ensemble des étapes en lien avec la démarche de demande d’un prêt hypothécaire. Que de telles demandes puissent être complètement introduites en ligne était inimaginable il n’y a pas si longtemps. On constate que les attentes des clients évoluent vite et que la technologie nous permet de proposer des expériences digitales plus complètes, plus fluides. Au niveau de nos services de gestion discrétionnaire, nous avons aussi apporté des améliorations pour faciliter les opérations de nos utilisateurs en lien avec leur gestion de portefeuille d’investissements.
Un autre grand projet, qui vise davantage à soutenir nos équipes internes, concerne les enjeux de conformité Know Your Customer/ Know Your Transaction. L’enjeu est de parvenir à y répondre sans nuire à la relation avec le client, en automatisant, en digitalisant, en mutualisant (à travers une structure comme iHub, par exemple), pour assurer un traitement fluide, performant et efficace. En permanence, il faut chercher les moyens de répondre aux exigences et, le cas échéant, imaginer les opportunités d’amélioration et d’innovation qui pourraient découler de la réglementation.
Des opportunités peuvent découler d’une meilleure exploitation des données bancaires, pour proposer des produits plus adaptés, anticiper les besoins des clients. Comment vous positionnez-vous vis-à-vis des opportunités qu’offre la data analytics ?
L’amélioration du traitement des données doit permettre une accélération des processus, des réponses et offres que nous pouvons apporter aux sollicitations qui nous sont faites par les clients. L’idée est d’améliorer le service. Les données doivent nous aider à mieux comprendre, soutenir notre capacité d’analyse des dossiers bancaires. On doit pouvoir combiner diverses sources de données pour, par exemple, déterminer le plus précisément possible la valeur d’un bien immobilier dans le cadre d’une demande de prêt hypothécaire. Les opportunités sont diverses. On peut à la fois conseiller le client par rapport à l’engagement qu’il veut prendre, assurer pour la banque l’adéquation de l’inscription hypothécaire ou encore mieux renseigner nos clients professionnels du secteur immobilier au regard de leurs performances et de celles du marché. C’est le conseil du banquier qui peut être renforcé grâce à la donnée. Nous n’ambitionnons cependant pas d’aller vers un modèle comme celui mis en œuvre par les grandes plateformes comme Amazon, en suggérant de manière intensive des recommandations sur la base des comportements des clients par exemple. Ce n’est pas dans l’ADN de la banque. Nous veillons à ce que l’utilisation des données, en conformité avec la réglementation, ne soit pas invasive.
Qu’est-ce qui détermine les orientations de votre transformation numérique ? Sur quels critères la banque fixe-t-elle les priorités en la matière ?
En permanence, l’enjeu est d’offrir le meilleur service tout en cherchant à réduire les coûts. Il s’agit, en considérant les trois éléments évoqués que sont le client, l’optimisation de l’organisation, et la régulation, de voir comment la digitalisation permet de renforcer la valeur de l’offre bancaire tout en contribuant à optimiser les charges.
Pour cela, nous devons nous inscrire dans une approche agile, travailler de manière itérative avec les métiers, pour comprendre les besoins, identifier les idées. Notre équipe d’innovation a ensuite pour mission de traduire ces demandes dans des projets concrets en considérant les possibilités et opportunités qu’offre le numérique et en mobilisant les expertises requises : en développement, au niveau des données ou encore de la sécurité. C’est de cette manière, avec une volonté permanente d’amélioration et d’innovation, que nous progressons quotidiennement.
En tant qu’institution luxembourgeoise, Spuerkeess apparaît comme un petit acteur face à des géants internationaux. En matière de transformation numérique, les ressources des uns et des autres ne sont pas comparables…
Non, certainement pas. Pour faire face à la concurrence, il faut être créatif, trouver les leviers pour tirer le meilleur des ressources dont on dispose. Alors, oui, on peut être parfois envieux des moyens et des politiques que mettent en œuvre certains grands groupes. Dans certains autres cas, nous constatons qu’être une plus petite structure agile, constitue toutefois un réel avantage. Nous sommes une banque nationale, qui sert une clientèle internationale, fière de ses spécificités. Et nous sommes convaincus que c’est en étant au plus proche des utilisateurs de nos solutions digitales, clients comme collaborateurs, que l’on peut innover et faire la différence.
Comment l’IA générative peut-elle s’intégrer dans le quotidien de la banque ?
Nous abordons cette technologie progressivement, avec la prudence requise. Nous avons identifié quelques cas d’utilisation intéressants en interne et travaillons sur des « proof of concept ». Il faut comprendre comment les solutions fonctionnent, les possibilités qu’elles offrent, mais aussi leurs limites. À la base et en prérequis, il faut aussi garantir une bonne gouvernance des données, pour notamment s’assurer de la pertinence des réponses fournies par l’IA générative.
Comment cette technologie peut-elle soutenir les performances des équipes ?
De nombreuses manières. Elle doit permettre d’accélérer certains traitements, faciliter la recherche de la bonne réponse dans des documentations volumineuses, extraire et structurer les informations pertinentes issues de documents variés. Dans notre domaine informatique, elle peut aider les utilisateurs à formaliser leurs besoins, à rédiger un cahier des charges, à prévoir les tests de qualité liés à des fonctionnalités déployées. Elle peut aussi aider les développeurs à davantage structurer les démarches, à être plus rapide et plus complet à travers le cycle de développement, à transcrire facilement des programmes d’un langage vers un autre, à produire aisément les documentations associées.
L’IA générative n’est cependant pas la réponse à tous nos besoins. Il faut évaluer la pertinence de la mise en œuvre de la technologie en fonction des cas d’utilisation, sans négliger les aspects réglementaires, de coûts et de sécurité. Bien que la demande des équipes soit forte, sa mise en œuvre sera progressive.
Vous évoquiez les coûts qu’induit cette technologie. L’IA générative est réputée énergivore. Or, on parle de plus en plus d’informatique verte ou responsable. Comment ces concepts sont-ils considérés au niveau de votre organisation ?
Au niveau de l’IT, les concepts d’optimisation des coûts, de réduction des impacts sont intégrés depuis longtemps. Nous cherchons à réduire les besoins énergétiques, mais aussi à privilégier le recours au renouvelable pour faire fonctionner nos centres de données. Ainsi, sur les 20 dernières années, notre consommation énergétique liée à l’infrastructure IT n’a augmenté que de 10 %. Ce qui, au regard de l’évolution des fonctionnalités déployées, du volume des opérations et de la hausse du trafic, peut être considéré comme un très bon ratio.
La question de l’informatique responsable se repose aujourd’hui au regard des nouvelles possibilités qu’offre la technologie, à l’instar de l’IA générative. L’enjeu tient plus à l’évaluation de l’opportunité de déployer une solution. Est-ce que le gain opérationnel escompté justifie les impacts induits, notamment au niveau de l’énergie consommée ? C’est à ce niveau qu’il faut être vigilant.
L’informatique responsable s’exprime aussi par une attention portée à l’utilisateur. Il est important que les projets menés répondent à un besoin, servent effectivement ceux auxquels nous livrons des solutions digitales. Il faut s’assurer d’encadrer et d’accompagner tout le monde dans cette transformation numérique.