Le marché des télécommunications au Luxembourg – Chronique d’une libéralisation plus que difficile.

Retour sur une chronique d’une libéralisation plus que difficile dans […]

September 26, 2011

Retour sur une chronique d’une libéralisation plus que difficile dans le marché des télécommunications au Luxembourg. La CLC, La Confédération Luxembourgeoise du Commerce, vient de publier ce point de vue. Par Claude Bizjak, conseiller ICT à la CLC.

Fin des années 80, les services de télécommunication sont encore, dans la majorité des pays européens, offerts et gérés par des administrations publiques. A cette époque, les réseaux de télécommunication sont donc financés par et revendus aux contribuables. La concurrence est impossible, le domaine de la télécommunication est un monopole étatique. C’est en 1989, sous la présidence française du Conseil de l’Union européenne, que la décision d’une ouverture progressive à la concurrence de ce secteur a été prise.

Début des années 90, les administrations postales deviennent des entreprises publiques et en 1993, la Commission européenne décide que les marchés européens des télécommunications devraient être totalement ouverts à la concurrence au 1er janvier 1998.

Au Luxembourg, le grand-public remarque ce revirement politique avant tout dans le domaine de la téléphonie mobile. Le lancement du premier réseau mobile alternatif révolutionne le marché luxembourgeois : le « Handy », réservé jusqu’à présent aux avocats et chefs d’entreprises, devient alors abordable pour toute la population.

C’est le début de la démocratisation des services de télécommunication au Luxembourg.

L’évolution des réseaux mobiles montre les bienfaits d’un marché ouvert: bientôt un deuxième opérateur alternatif apportera un choix additionnel aux clients finaux.

Le degré de concurrence dans le secteur mobile est énorme. Afin d’acquérir ou de garder les clients, les opérateurs doivent investir régulièrement dans leurs réseaux pour offrir de nouveaux services: UMTS, HSDPA, MMS, appels vidéos, internet mobile, VPN, email, mobile banking, soit, tous les services possibles sont offerts au Luxembourg. Au niveau commercial la bataille n’est pas moins féroce: téléphones, SMS et minutes gratuites, formules avec abonnement, sans abonnement, forfaits roaming, flat rates mensuelles, journalières etc… Le client peut choisir entre une multitude d’options tarifaires, il y en a pour tous les goûts et tous les budgets. La concurrence bat son plein et la pénétration dépasse 140% ! Les frontaliers y contribuent certainement, mais tout résident a dorénavant, au moins un téléphone mobile. Le niveau des prix des communications mobiles est l’un des plus bas en Europe. Ainsi, le Luxembourg devient un leader mondial en termes de services, prix et technologie dans le secteur mobile.
Cependant, le domaine de la téléphonie fixe, notamment de l’accès large-bande résidentiel, semble plus calme, voir même un peu ennuyeux : les offres se ressemblent, les prix stagnent, les innovations sont rares. Depuis 5 ans, nous connaissons plus au moins les mêmes offres ADSL et ceci au même prix. Il s’agit cependant des mêmes acteurs qui se « disputent » le marché mobile. La disparité technologique et commerciale entre le secteur mobile et fixe, cependant étroitement liés, est très étonnante.

L’explication est cependant assez basique: dans le secteur mobile chaque acteur est maître de son propre réseau et peut agir indépendamment des autres; le réseau fixe est détenu par un seul acteur et le reste du marché dépend de ce dernier. On parle d’un « monopole naturel ».

Les opérateurs alternatifs doivent donc acheter de la « capacité » chez le propriétaire du réseau fixe afin d’offrir des services dans ce domaine.

Le degré de concurrence dans le domaine fixe s’avère donc affecté par le fait qu’un seul opérateur détient ce réseau. La solution semble évidente : construire son propre réseau. Ceci n’est cependant pas réalisable. La duplication d’un tel réseau n’est, contrairement au réseau mobile, économiquement pas viable. Pour recréer une telle infrastructure, il faudrait connecter physiquement tous les ménages et bâtiments au Luxembourg. Au non-sens économique s’ajoute que chaque opérateur devrait « tirer ses propres câbles » à travers le pays et vers tous les ménages ou bâtiments. Les chantiers de voirie paralyseraient totalement notre pays.

Au début du projet de la libéralisation des marchés des télécommunications, la commission européenne en charge du dossier et conscientes du problème du « réseau unique » ont prévu l’instauration d’un organisme de contrôle, le régulateur. Ce dernier reçoit les outils législatifs nécessaires afin de réguler l’accès au réseau fixe existant. Sa mission est de promouvoir la concurrence au profit du client final. En 1997, l’Institut Luxembourgeois des Télécommunications, l’ILT, est créé et surveille dorénavant le marché des télécommunications au Luxembourg.

L’Entreprise des Postes et Télécommunications (EPT), détenteur du réseau fixe, devra donc ouvrir son réseau aux opérateurs alternatifs. Les conditions d’accès doivent garantir une concurrence saine, ce qui sera validé et approuvé par l’ILT. L’idée est que tout opérateur alternatif puisse accéder dans les mêmes conditions au réseau fixe. Les opérateurs alternatifs peuvent enfin offrir des services de téléphonie fixe.

Le régulateur ne pourra cependant qu’intervenir sur des services clairement définis. Ainsi, le cadre législatif européen doit être adapté régulièrement pour prendre en compte les évolutions technologiques.

La technologie avance cependant plus rapidement que le cadre légal. Ainsi, en 2001 surgissent des services comme l’ADSL. Bien que ce service soit basé sur le même réseau de téléphonie fixe, il ne tombe, à ce stade, pas dans le domaine de compétences de l’ILR (1). Ce dernier se retrouve donc dans une impasse : à ce moment le cadre légal ne lui permet pas de réguler ce nouveau service.

Faute d’une législation non adaptée aux besoins du marché, les avancements au niveau de la régulation du réseau fixe sont donc infimes dans les premières années.

La loi du 30 mai 2005 redonne enfin une partie des outils nécessaires (2) à l’ILR pour réguler efficacement les « nouveaux services », lancés depuis plusieurs années.

Ainsi, l’ILR procède à plusieurs analyses de marché et confirme que le réseau de l’EPT n’est économiquement pas reproductible. L’EPT est déclaré être en position puissante et dominante sur presque tous les marchés définis par l’union européenne. Suite aux résultats de cette analyse l’ILR peut maintenant réguler l’accès sur certains nouveaux services. Entretemps le marché a bien évolué, le « dial-up » fait place au DSL et la pénétration de ce service augmente d’année en année.

Dans l’attente de la régulation des nouveaux services et afin de satisfaire la demande du marché, les opérateurs alternatifs sont contraints de signer des contrats commerciaux peu attractifs avec l’EPT. Ainsi, il est impossible pour les opérateurs de se différencier au niveau du service avec les contrats proposés. Ils doivent revendre exactement le même produit que l’EPT. Le prix d’achat élevé, empêche toute possibilité de différenciation commerciale. Contrairement au marché mobile, l’EPT pourra continuer à dicter les vitesses et le prix pour l’ADSL au Luxembourg.
Les besoins des clients en services large-bande ne cessent de progresser et ainsi la pénétration de l’ADSL augmente d’année en année, tandis l’innovation technique et commerciale reste quasi inexistante dans ce domaine. Le client final n’a de toute façon pas le choix…

L’EPT refuse toujours d’accorder une offre de revente qui permettrait aux opérateurs alternatifs de se distinguer sur le marché. Le client gardera un choix de services très limité. Ainsi, le Luxembourg est un des rares pays à ne pas utiliser la technologie VoIP pour acheminer le trafic voix.

Le cadre régulateur propose une autre option aux opérateurs alternatifs leur permettant d’offrir un accès large-bande au client : le dégroupage. Les opérateurs alternatifs louent à EPT les derniers kilomètres du câble qui relie le client final au réseau téléphonique. Ils connectent ainsi le client final directement à leur réseau. Ceci nécessite des investissements conséquents mais permets au moins un minimum de concurrence. Certains opérateurs se spécialisent dans ce domaine et deviennent « opérateur pour les opérateurs alternatifs». Les conditions tarifaires d’EPT pour le dégroupage sont cependant parmi les plus élevées dans toute l’union européenne. Les opérateurs alternatifs arrivent tout de même à offrir dans les « zones » desservies par le dégroupage des services à un meilleur prix que l’EPT… Les conditions tarifaires d’EPT pour le dégroupage ne permettent cependant pas de développer ce principe dans l’ensemble du pays. Ainsi ces offres restent géographiquement limitées, tout comme la concurrence.

Les opérateurs alternatifs sont toujours dans l’attente des offres régulées pour enfin pouvoir offrir des services large bande compétitifs. Trois ans après les analyses de marché effectuées par l’ILR, il n’existe toujours pas d’offre régulée. En effet, les négociations n’avancent que difficilement : la première proposition d’EPT pour une offre régulée ne contient pas de prix! La deuxième proposition est plus onéreuse que l’offre commerciale actuelle d’EPT.

Les demandes des opérateurs sont refusées par EPT: ainsi les opérateurs demandent un accès DSL sans frais abonnement fixe (3) pour leurs clients – refusé. Les opérateurs demandent une offre qui leur permet de librement définir le niveau de service et de qualité pour le service DSL – refusé.

L’ILR de son côté, estime que ces demandes ne font pas partie du cadre régulateur. Les limites de la régulation sont une nouvelle fois à l’ordre du jour et les opérateurs alternatifs restent sur leur faim.

La stratégie d’EPT semble fonctionner, début 2011, la simple revente de l’ADSL n’est toujours pas régulée. Les conditions proposées par EPT ne permettent pas à l’ILR d’approuver les offres.

Entretemps tout le monde parle de fibre optique et de vitesses 5 à 50 supérieures à celles possible avec la technologie DSL… au Luxembourg ont est toujours en train de réguler l’ADSL…

Le gouvernement semble avoir compris qu’il faut redynamiser le secteur « large-bande » au Luxembourg. Ainsi début 2010 il annonce une stratégie nationale pour les réseaux à « ultra-haut » débit – ‘l’ultra-haut débit pour tous’

Cette initiative arrivera t-elle à combler les déficits de ce marché ?

Le détail de la stratégie et l’analyse sera présentée dans la prochaine édition du clc connect, le magazine de la CLC.

(1) Fin 2000, les compétences de l’ILT sont étendues vers d’autres secteurs économiques comme le gaz. N’étant plus dédié qu’au secteur des télécommunications, l’ILT devient l’lLR, l’Institut Luxembourgeois de Régulation.
(2) Les multiples marchés sont définis par l’EU: téléphonie fixe résidentielle, téléphonie fixe B2B, accès internet, etc. La régulation se fait en plusieurs étapes: 1. Analyse des marchés 2. Détermination si un opérateur est dominant et puissant 3. Si l’ILR identifie un opérateur puissant, il pourra intervenir sur ce marché, donc le “réguler”. L’ILR ne peut seulement intervenir que dans le cadre de la définition des marchés.
(3) Beaucoup de clients n’utilisent plus le téléphone fixe mais ils veulent un accès ADSL. Pourquoi payer un abonnement (18,4€ par mois) pour un service qu’on n’utilise pas ?

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