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La transformation digitale a besoin de souplesse réglementaire

Faciliter la transformation digitale du secteur bancaire ou attirer des jeunes acteurs FinTech nécessite au régulateur de faire preuve de souplesse. Dans ce contexte, les acteurs IT, PSF de support, doivent évoluer et monter dans la chaîne de valeur. Portrait croisé : CSSF-ABBL...

April 18, 2016

CSSF-ABBLFaciliter la transformation digitale du secteur bancaire ou attirer des jeunes acteurs FinTech nécessite au régulateur de faire preuve de souplesse. C’est inéluctable. Il en va du développement compétitif du marché. Aujourd’hui déjà, l’exigence de la localisation des données sur le territoire luxembourgeois appartient au passé. Dans ce contexte, les acteurs IT, PSF de support, doivent évoluer et monter dans la chaîne de valeur. Portrait croisé : CSSF-ABBL…

Par Sébastien Lambotte pour l’édition ITnation Mag Avril 2016

La question réglementaire apparait en filigrane dans la plupart des conversations qui ont trait à la transformation digitale des acteurs financiers ou encore l’émergence d’un hub FinTech à l’échelle luxembourgeoise. Tantôt considérée comme un frein, tantôt comme un levier à activer, la régulation ne laisse pas indifférent.

L’assouplir, en matière de localisation des données par exemple, c’est risquer de voir une large activité ICT quitter le Luxembourg… Vraiment ? La maintenir, c’est nuire à la compétitivité des banques et, in fine, risquer de les voir disparaître à leur tour. Sûr ? ITnation a souhaité évoquer ces questions avec Marc Hemmerling, membre du comité de direction de l’ABBL, et David Hagen, CIO and Head of IT supervision and Support PFS à la CSSF.

« L’intérêt du hype actuel autour du FinTech, c’est qu’il pousse les banques à se poser des questions. »

« Dans FinTech, il y a Tech mais il y aussi Fin »

« Depuis un peu plus d’un an, avec le buzz créé autour du concept de FinTech, les acteurs bancaires prennent conscience d’un risque ou de la nécessité d’évoluer dans un environnement de plus en plus digital », commente Marc Hemmerling. De nouveaux entrants ou de jeunes pousses porteuses de technologies nouvelles sont perçus, souvent à tort, parfois à raison, comme des menaces. L’ubérisation du modèle bancaire constitue-t-elle une menace réelle ? « Quelque chose s’accélère. Les acteurs bancaires, dans leur majorité, sont cependant encore dans une phase où ils essaient de comprendre le phénomène et son ampleur. Vient ensuite le questionnement, sur les risques ou les opportunités. Ils s’interrogent : qu’est-ce que cela peut apporter à mon business ? », poursuit Marc Hemmerling.

Dans un contexte où la régulation pèse sur les marges, la technologie peut être considérée comme salvatrice, dans la mesure où elle permet des réaliser des économies ou de générer de nouveaux revenus. « À l’issue de ce questionnement, il faut encore pouvoir définir une stratégie claire puis la mettre en œuvre », ajoute le représentant de l’ABBL. Si de grands acteurs internationaux se sont inscrits dans un mouvement de transformation, on est encore loin du tsunami parfois évoqué. « Pour nous qui voyons le concret des choses, à travers les projets qui nous sont soumis, difficile de parler de disruption, précise David Hagen. On voit, actuellement, deux grandes catégories de projets émerger.

D’une part, il y a les projets de transformation, visant à répondre à une clientèle qui veut profiter de services 24h/24, peu importe l’endroit où elle se trouve. En la matière, de nombreux projets digitaux sont mis en place au niveau front.

D’autre part, l’autre grand sujet, c’est le Big Data, avec des projets mettant en œuvre des technologies nouvelles visant à mieux comprendre le clients, pour lui proposer des offres toujours plus adaptées. En la matière, la question qui se pose est relative à la manière d’utiliser les données. »

En l’occurrence, sous ces aspects, la technologie ne révolutionne rien, mais s’inscrit en support d’un modèle existant, le renforce, lui permet de créer de la valeur autrement. « Dans le terme FinTech, il y a Tech, mais il y a aussi Fin. Il existe bien des start-ups innovantes, qui portent des technologies nouvelles. Il faudra, cependant, à un moment, qu’elles les valorisent. Autrement dit, qu’elles les mettent au service de la finance, en se rapprochant des acteurs traditionnels, ou qu’elles développent elles-mêmes des services financiers en obtenant une licence d’institution financière », précise Marc Hemmerling. Cette réalité permet de relativiser la menace. De nouveaux entrants, dont certains ont choisi d’obtenir une licence d’institution financière, ont fait le pas. On peut par exemple citer PayPal, Rakuten, Amazon. Ce sont eux qui, en priorité, font bouger les lignes. « L’intérêt du hype actuel autour du FinTech, c’est qu’il pousse les banques à se poser des questions. Si PayPal opère aujourd’hui sous licence bancaire, il n’y a pas si longtemps que cela, ce n’était qu’une start- up.

Aujourd’hui, considérant le marché, si les assets de ces jeunes acteurs opérant sous licence sont minimes, qu’en sera-t-il dans 10 ans ? Un acteur traditionnel doit pouvoir se positionner par rapport à ces questions », indique David Hagen. La banque traditionnelle ne peut en tout cas pas regarder passer le train.

Des nouveaux entrants accueillis favorablement

Ces nouveaux entrants, pour opérer, doivent cependant s’inscrire dans un cadre réglementaire strict. Tout innovant qu’ils sont, toute jeune pousse qu’ils prétendent être, c’est à eux de s’adapter à la réglementation, et non l’inverse. C’est dans la manière d’appliquer la réglementation européenne, cela dit, que l’on peut faire preuve d’ouverture. « Par rapport à d’autres juridictions européennes, nous privilégions une approche ouverte à l’égard de ces acteurs innovants. C’est la raison pour laquelle nous accueillons et analysons de nombreux dossiers visant l’obtention d’une licence européenne qui, une fois acquise, à la valeur de passeport européen pour la distribution d’un service », précise David Hagen.

Ainsi, la CSSF a été le premier régulateur européen à accorder une licence d’institution de paiement à un acteur bitcoin. « D’autres demandes ont été introduites et suivent une procédure d’analyse. Certaines concernent des acteurs bitcoin. D’autres sont relatives à des services de crowdfunding, poursuit le représentant de la CSSF, qui rappelle la mission du régulateur dans ce contexte. Nous visons la protection de l’investisseur et, à ce titre, devons obtenir toutes les garanties utiles de la part de l’institution qui opère sous licence. Pour des modèles disruptifs, cela exige d’opérer une analyse de l’activité qui puisse correspondre à un agrément, tout en parvenant à une classification des risques.

Pour le crowdfunding, par exemple, selon le modèle présenté, la qualification d’agrément peut ne pas être triviale. L’institution est-elle courtier, organisme de paiement, conseiller en investissement ou simple plateforme technique … ? »

« Par rapport à d’autres juridictions européennes, nous privilégions une approche ouverte à l’égard des acteurs innovants. »

De par l’ouverture de son régulateur, le Luxembourg parvient à attirer de nouveaux acteurs, mais positionne aussi la Place financière à l’avant-garde. « Ceux qui viennent nous voir veulent être régulés, précise David Hagen. Au-delà, l’ouverture exercée à leur égard nous offre un avantage par rapport à d’autres juridictions. Nous sommes les premiers à avoir une vue sur leurs modèles, les risques qu’ils comportent, sur les garanties apportées. On peut déceler, plus tôt que d’autres, comment les choses évoluent, mais aussi mieux définir comment assurer une sécurité, un contrôle et une maîtrise des risques dans ce contexte.

Face à ces acteurs, nous nous appliquons à poser les bonnes questions, pour nous assurer de la conformité de leur modèle à la réglementation. »

Ces nouveaux acteurs financiers, comme PayPal, sous licence bancaire, ou Amazon, avec un agrément d’établissement de monnaie électronique, s’assument comme institution financière à part entière. À un point tel qu’ils n’ont pas hésité à rejoindre l’ABBL. « Prenant part à nos discussions, ils contribuent à élargir l’horizon d’autres acteurs présents au Luxembourg », précise Marc Hemmerling.

Défendre une innovation possible

La régulation actuelle, cela dit, est-elle de nature à faciliter ou à freiner l’innovation ou la transformation digitale des acteurs bancaires bien établis ? Longtemps, les banques luxembourgeoises, cachées derrière une réglementation solide, se sont apparentées à des forteresses inviolables. Le monde a évolué, le modèle bancaire luxembourgeois plus encore.

« Aujourd’hui, nous sommes favorables à une réglementation attachée au service proposé plus qu’à la forme de l’institution, assure Marc Hemmerling. Pour un service proposé, la règle doit être identique pour tout le monde. L’enjeu actuel est de définir la régulation appropriée selon les services proposés. »

« L’enjeu actuel est de définir la régulation appropriée selon les services proposés. »

La position du régulateur luxembourgeois n’est pas contradictoire. « Nous voulons défendre une innovation possible, au service de l’ensemble des acteurs. Si nous voulons rendre cela possible, il est de notre devoir de permettre l’innovation et de le faire sérieusement. De nous positionner comme une place qui exporte des services, avec un niveau de protection élevé pour chaque consommateur », précise David Hagen, pour qui un des enjeux est de convaincre les autres organismes de régulation européens d’aller dans ce sens.

Des brèches dans la forteresse

Si la réglementation européenne est perfectible, le Luxembourg dispose aussi d’un cadre restrictif, en matière de localisation des données notamment, peu favorable à la transformation digitale des acteurs locaux. Une ouverture s’opère aussi en la matière.

« Des discussions sont en cours avec l’association des PSF de support », précise David Hagen. Le représentant de la CSSF précise d’ailleurs que l’obligation de localiser les données à l’échelle nationale n’est déjà plus, aujourd’hui, la règle. « Nous n’avons pas obligé les FinTechs désireuses d’obtenir la licence d’établissement de paiement, en vue de profiter du passeporting, à rapatrier
tous leurs systèmes au Luxembourg, en particulier les systèmes “front” capables d’absorber de très nombreuses connexions simultanées. Si ça avait été une condition nécessaire, certaines ne seraient tout simplement jamais venues.

D’autre part, sous réserve de consentement du client, les données bancaires peuvent être hébergées en dehors du Luxembourg, pour peu qu’elles restent dans le groupe. » Cette ouverture permet aux banques de profiter d’un plus grand levier de mutualisation des systèmes IT mais aussi de nouvelles possibilités dans leurs démarches de transformation digitale. « Encore une fois, nous ne sommes pas fermés à l’innovation. Chaque possibilité avancée peut être envisagée. Ce qui nous importe est d’obtenir toutes les garanties nécessaires relatives au respect de la réglementation et à la protection des investisseurs et du consommateur. Notre rôle est de nous assurer que les risques sont maîtrisés.

Il y a dix ans, la virtualisation et le Cloud n’étaient pas aussi matures. Aujourd’hui, ayant plus de visibilité sur les possibilités, les exigences de sécurité à mettre en œuvre pour une externalisation dans le Cloud, cette possibilité peut-être plus facilement envisagée », précise David Hagen. Autrement dit, l’hébergement des données vers un endroit où les garanties de maîtrise des risques sont apportées, PSF ou non, pourrait être envisagée.

En réalité, sur l’idée d’offrir plus de souplesse aux acteurs bancaires en la matière, la CSSF n’a pas beaucoup de choix. « Dans le contexte actuel, dans un contexte européen régulé, on ne peut pas se placer en tant que frein au développement compétitif du marché, sachant que d’autres régulateurs européens progressent dans ce domaine », précise David Hagen.

Les PSF doivent se repositionner

Les PSF de support, dans ce contexte, vont sans doute devoir se repositionner, pour créer de la valeur. Le marché des PSF de support est né et s’est entretenu au départ de la régulation. Se contentant dans la plupart des cas d’offrir un contexte d’externalisation compliant, les prestataires PSF ont rarement cherché à développer des services à haute valeur ajoutée. « La plupart opèrent aujourd’hui dans l’infrastructure et ont rarement déployé une couche de service au-dessus. Dans un contexte d’ouverture, avec la disparition du secret fiscal et la tendance des clients à consentir à la délocalisation de leurs données, leur marché n’est plus aussi protégé. Pour se développer dans ce contexte, ils n’auront pas d’autre choix que de développer du service à valeur ajoutée au-delà de l’infrastructure. On voit certains acteurs se positionner dans ce sens, sur la très haute sécurité par exemple. Il y a d’autres possibilités. Ces acteurs doivent trouver les moyens de se repositionner, sans tarder », précise David Hagen.

« Dans un contexte d’ouverture, le marché des PSF n’est plus aussi protégé. »

Si les banques peuvent plus facilement localiser leurs données en dehors du Luxembourg, il y a des opportunités à les aider à répondre à d’autres exigences ou besoins. Les PSF de support pourraient s’engager dans la gestion de process (BPO), d’autre part. « Avec la disparition du secret fiscal, certains acteurs se sont dits, l’IT au Luxembourg, c’est terminé. Ils ont tenté de faire remonter les processus opérationnels au niveau de la maison mère. Ces expériences ont souvent démontré que la spécificité de l’activité luxembourgeoise et la réglementation qui y est associée sont telles que les solutions d’un groupe, implémentées sans réflexion préalable, sont souvent contreproductives. L’économie d’échelle n’est pas toujours au rendez- vous », commente Marc Hemmerling.

« Les acteurs luxembourgeois de type PSF auraient peut-être intérêt à se pencher sur ces enjeux et à envisager la mise en place de solutions BPO qui puissent répondre à des besoins spécifiques, locaux ou plus larges. Le BPO ne doit pas forcément avoir trait au “core banking”, mais à d’autres briques de l’environnement IT, pour opérer l’AML, la gestion documentaire, l’analyse du risque financier, du reporting spécifique par exemple », précise David Hagen.

Tant pour les banques, qui doivent envisager concrètement cette transformation digitale, que les PSF de support, qui doivent se repositionner dans un contexte d’ouverture de la régulation, les défis sont conséquents, mais les opportunités sont aussi très nombreuses.

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