TRANSFORMATION & ORGANISATION
« L ’accès aux ressources pourrait limiter les développements numériques »
À terme, la croissance des usages numériques pourrait être limitée par des défis liés à l’accessibilité des ressources requises. En prenant conscience de ces enjeux, nous devons nous poser dès à présent les bonnes questions, explique Cyrille Chopelet, référent numérique responsable au sein de CGI au Luxembourg.
November 21, 2023
Aujourd’hui, comment l’impact environnemental du numérique est-il perçu ?
On assiste à une réelle prise de conscience, bien qu’elle demeure encore timide. Le numérique a un poids environnemental non négligeable, direct et indirect. La fabrication du matériel informatique, qu’il s’agisse de nos terminaux ou des serveurs, nécessite des besoins importants en eau et en matières premières. L’extraction des minerais pour répondre aux besoins de la transition numérique, génère énormément de CO2. D’autre part, pour fonctionner, tous ces appareils ont besoin d’énergie. Or, dans un monde où les ressources risquent de manquer, il y a lieu d’intégrer ces enjeux au cœur des réflexions relatives à nos usages du numérique.
Risque-t-on de se heurter à des limites ? Quelles pourraient être les conséquences d’un usage peu responsable du numérique dans le contexte évoqué ?
Si, aujourd’hui, il est normal d’accéder sans se poser de questions à des services numériques, ce ne sera peut-être plus le cas pour la génération suivante. Face à l’épuisement des ressources, le numérique pourrait devenir un luxe. L’enjeu n’a rien d’anodin. Aujourd’hui, la technologie est omniprésente, indispensable à bien des fonctions de notre quotidien. Dans le domaine de la santé par exemple, on accède facilement à des examens avancés grâce au numérique, comme un IRM. Demain, ce ne sera peut-être plus le cas, simplement parce qu’on ne s’est pas posé les bonnes questions aujourd’hui. On constate déjà une fracture dans l’accès aux services numériques (prix, maîtrise, autonomie…). Que se passera-t-il lorsque ce type d’usage deviendra en outre limité par le manque de ressources ? Moins on anticipera ces enjeux, ces échéances, plus le choc risque d’être violent.
Quelles sont les questions que nous devrions nous poser dans ce contexte ?
Il est important de prendre du recul, de prendre le temps de se demander quelle est la meilleure réponse à apporter vis-à-vis de tout problème qui se pose. Aujourd’hui, on a tendance à se tourner vers le numérique de manière systématique, sans forcément se demander quel est l’impact environnemental d’une solution technologique. Nous aurions tort, en outre, de limiter la réflexion aux impacts environnementaux. La numérisation a aussi des conséquences d’ordre social. Certains utilisateurs ne sont pas à l’aise vis-à-vis des outils numériques. La technologie constitue un moyen et non une fin en soi. C’est un levier dont nous devons nous servir à bon escient pour répondre aux enjeux importants qui nous concernent. Elle n’a pas vocation à se substituer à l’homme.
Comment faire la part des choses ?
Lors de chaque révolution économique, liée à un progrès technologique, on a accédé à des gains d’efficacité substantiels. Cependant, il ne faut pas négliger l’effet rebond associé à chacune d’elle. Du fait que l’on soit plus efficace, on a tendance à faire plus, au point parfois de démultiplier les effets négatifs associés à ce changement. C’est le paradoxe de Jevons, mis en évidence dès le XIXe siècle. Si bien que, in fine, le bilan d’une révolution peut s’avérer globalement négatif. Il faut donc pouvoir mieux évaluer les impacts des projets numériques mis en œuvre, d’un point de vue économique d’une part, mais aussi au niveau environnemental et sociétal, d’autre part. Il y a lieu d’intégrer ces critères à tous les niveaux. C’est d’ailleurs l’orientation prise par les nouvelles réglementations en la matière.
CGI est un acteur de la transformation numérique. Comment ces enjeux sont appréhendés à l’échelle de votre organisation ?
S’il est vrai que nous soutenons, par notre expertise et notre savoir-faire, la transformation numérique des acteurs, nous intégrons aussi ces enjeux. Notre entreprise a par exemple obtenu le label Numérique Responsable. Au sein de nos équipes, de plus en plus de personnes y sont sensibilisées, et ont passé des certifications. Nous renforçons aussi nos compétences, pour intégrer ces aspects, notamment afin d’établir des diagnostics intégrant, par exemple, l’impact carbone d’une solution. In fine, notre rôle est de sensibiliser les organisations à ces enjeux, pour mettre en œuvre des solutions les plus responsables possibles. Le premier défi, c’est de sensibiliser et former. C’est un sujet en lequel nous croyons et investissons.
Comment accompagnez-vous la mise en œuvre de solutions ou de projets de transformation responsable ?
Au-delà de la sensibilisation, il s’agit aussi d’intégrer ces dimensions sociales et environnementales au cœur des projets, en permettant, par la même occasion, aux acteurs de se préparer aux nouvelles contraintes qui s’imposeront à eux. En France, on légifère sur ce sujet, pour augmenter la prise de conscience des acteurs sur ces enjeux. La loi REEN, qui vise à réduire l’empreinte environnementale du numérique, s’adresse à tous les acteurs de la chaîne de valeur du numérique : professionnels du secteur, acteurs publics et consommateurs. Elle vise, par exemple, à faire prendre conscience de l’impact environnemental du numérique. Elle introduit les notions d’écoconception ou encore de numérique responsable au sein des écoles et des établissements d’enseignement, dans les filières de formation en ingénierie. Elle prévoit un observatoire des impacts du numérique visant à améliorer la connaissance sur la mesure des impacts directs et indirects du numérique sur l’environnement. Elle veut aussi contribuer à limiter le renouvellement des appareils numériques. D’autres réglementations, au niveau européen, sont annoncées. Prendre conscience de ces enjeux dès aujourd’hui permettra aux acteurs de mieux appréhender les défis de demain en la matière.