CEO MEETS CIO

IT et business, les deux faces d’une même pièce

Comment la technologie sert-elle l’activité d’une organisation et son développement ? Comment le métier et l’IT collaborent-ils pour générer de la valeur ? Pour comprendre comment ces enjeux sont désormais extrêmement liés, TransForNation propose des entretiens croisés entre un responsable business et le responsable informatique d’une même organisation. Pour cette édition de printemps, nous avons échangé avec Julie Becker, CEO de la Bourse de Luxembourg, et Laurent Pulinckx, le CIO de l’institution.

September 26, 2023

Comment qualifieriez-vous l’importance du numérique au regard des activités menées au niveau de la Bourse de Luxembourg ?

Julie Becker : Pour répondre à cette question, il est utile de rappeler le rôle de la Bourse. Avant toute chose, nous sommes une plateforme et un opérateur de marché, dont la mission est de mettre en relation des émetteurs de produits financiers et des investisseurs. D’une part, nous assurons la visibilité des émetteurs, et ce à travers divers canaux. Par le passé, cela se faisait sur des documents imprimés. Désormais, cela passe essentiellement par les canaux et supports numériques, notre site web, des médias en ligne, les réseaux sociaux… Demain, ce sera sans doute aussi à travers le métavers que nous serons amenés à soutenir la visibilité des émetteurs. D’autre part, nous contribuons aussi à la protection des investisseurs, en veillant à leur éducation et, surtout, en mettant à leur disposition des données, que nous collectons désormais de manière automatisée, via des outils numériques. Notre cœur de métier, c’est l’échange de la donnée, la mise en relation. Dès lors, dans la conduite de nos activités, l’utilisation du numérique est transversale et permanente. Dans une structure comme la Bourse, IT et business sont intrinsèquement liés.

 

Comment le numérique soutient-il le développement de l’activité ?

Laurent Pulinckx : La Bourse de Luxembourg a fait du numérique un outil clé de développement de son activité. A l’égard de la technologie, notre structure a adopté une position très innovante, et ce depuis plusieurs années. Le numérique est un levier de renforcement de notre agilité, de notre compétitivité, de développement d’une offre pertinente vis-à-vis de nos utilisateurs. Le numérique, la bonne intégration de la technologie au cœur de notre offre de service, nous permet de nous distinguer.

Julie Becker : Le numérique n’est plus uniquement une fonction de support. Il est intégré au niveau de la conception de nouveaux produits, au cœur de notre proposition de valeur. Par exemple, aujourd’hui, nous mesurons l’empreinte carbone liée à l’utilisation des outils numériques pour rendre compte et intégrer cela à nos enjeux de performance environnementale. Alors que les instruments financiers se digitalisent, que l’on émet des titres au départ de la blockchain, ce sont des aspects importants.

 

Quels sont les grands axes de transformation de l’activité au départ du numérique ?

Laurent Pulinckx : Comme le précisait Julie, le numérique est au cœur de l’activité, de notre plateforme où s’opèrent des échanges entre l’ensemble des parties prenantes. Au-delà, la technologie est mise en œuvre pour améliorer les processus de back office, nous permettant d’opérer plus rapidement, plus efficacement, avec des coûts optimisés.

Il s’agit aussi d’automatiser, d’accélérer les interconnexions avec les clients, de fluidifier les échanges pour faire la différence. Enfin, le numérique est vecteur d’innovation. Nous nous intéressons très fortement aux évolutions technologiques, à l’émergence du WEB3, explorant les possibilités qu’offrent la création d’environnements immersifs, comme les métavers, ou encore la blockchain.

Julie Becker : Le numérique est vecteur de simplification. Il nous permet de répondre à des enjeux de gestion des risques liés à notre activité, et ainsi d’être plus agile. Dans cette logique, IT et métier sont plus intégrés que jamais. Au point même que l’IT, au sein de notre organisation, donne la possibilité aux opérateurs du métier d’automatiser eux-mêmes certaines tâches relativement simples. On assiste à des évolutions majeures à ce niveau. Pour les personnes ayant le bon état d’esprit, faisant preuve d’une réelle ouverture, le numérique est considéré comme un levier clé de développement, offrant à chacun de nouvelles perspectives attrayantes.

 

C’est donc le rapport au numérique qui évolue…

Laurent Pulinckx : Oui. On parle ici d’approche low code, permettant aux employés de gagner en autonomie. La technologie a considérablement évolué ces dernières années, à tel point qu’elle peut plus facilement être placée dans les mains des utilisateurs, du moins dans certains cas. Cela implique de fixer un cadre, de mettre en place une bonne gouvernance des processus, de définir ce qui est automatisable et ce qui ne l’est pas. Cela permet aux opérateurs de minimiser eux-mêmes certaines contraintes dans leur travail journalier.

 

Comment, au plus haut niveau, veiller à aligner stratégie business et stratégie IT ?

Julie Becker : On travaille de concert. A l’échelle d’une entreprise comme la nôtre, IT et business sont les deux faces d’une même pièce. Pour que cela fonctionne, il faut que les acteurs du métier et de l’IT parviennent à se parler, partagent le même langage. C’est un enjeu essentiel. C’est pourquoi les informaticiens sont impliqués au niveau des réflexions stratégiques à tous les niveaux. Il faut que l’IT puisse comprendre ce que l’on fait, pourquoi on le fait, afin de pouvoir contribuer aux objectifs poursuivis en mobilisant les bonnes ressources de leur côté. Cette approche fait partie de la démarche de diversité et d’inclusion avec laquelle on gère cette entreprise. Pour bien appréhender les enjeux à venir, nous pensons que toutes les cultures, les différentes visions et expériences ont quelque chose à apporter. Laurent et moi, au sein du Comité exécutif, travaillons ensemble au quotidien. Vis-à-vis d’enjeux business, Laurent va apporter sa connaissance et sa maîtrise des outils informatiques, une vision qui peut être différente de la mienne, en vue de soutenir la démarche.

Laurent Pulinckx : Si, à l’échelle d’une entreprise, tout est numérique, la stratégie doit l’être aussi. Le seul moyen de placer le numérique au service du business, de son développement, c’est d’intégrer la dimension numérique au cœur des réflexions stratégiques, que les acteurs du numérique en soient partie prenante, au même titre que les forces commerciales ou encore les fonctions « contrôle » ou « finance ». Cela contribue à placer l’innovation technologique au service des objectifs business, à travers la conception de nouveaux produits ou services, dans l’intérêt de la société. Au niveau de la Bourse de Luxembourg, cela fonctionne très bien.

Julie Becker : Si l’on a beaucoup à apprendre l’un de l’autre, s’aligner sur les priorités reste toutefois un enjeu important. Il faut notamment veiller à ce que l’IT ne soit pas en permanence sollicité par le business sur des enjeux accessoires, qui pourraient dévier les équipes de l’objectif principal. Enfin, je dirais que lebusiness a aussi beaucoup à apprendre des méthodologies de travail mises en œuvre au niveau de l’IT, comme l’approche agile, en mettant en œuvre des schémas plus itératifs, plus évolutifs. Ces démarches m’inspirent beaucoup personnellement. En outre, elles contribuent à une meilleure compréhension des équipes entre elles ainsi qu’à une meilleure communication.

 

Si le numérique est un levier d’amélioration de l’efficacité opérationnelle, il devient aussi créateur de valeur. Comment cela s’exprime au niveau de la Bourse de Luxembourg ?

Laurent Pulinckx : Quelques projets menés permettent d’illustrer comment le numérique contribue directement à renforcer la relation client. Nous avons par exemple développé une fonctionnalité qui permet de lister une obligation à la Bourse de Luxembourg en un clic. L’idée a été de minimiser la complexité des démarches de back office, liées à la préparation des documents, l’exigence de compléter divers formulaires, d’agréger des informations, afin de permettre à nos clients d’arriver à la Bourse de Luxembourg par un processus complètement automatisé, sans intervention humaine.

Julie Becker : C’est un vrai différenciateur sur le marché. Le processus est désormais simplifié pour toute la chaine de valeur, notamment pour les cabinets d’avocats avec lesquels nous collaborons beaucoup. C’est parce qu’on leur facilite la vie que l’on attire les émetteurs plus aisément.

Laurent Pulinckx : Autour du LGX DataHub, une base de données qui permet d’accéder à une grande diversité d’informations non- financières sur des obligations émises dans le monde entier, à la Bourse de Luxembourg ou ailleurs, nous avons aussi travaillé sur une interface qui tient mieux compte des attentes et des besoins des utilisateurs. Suivant une approche UX Design, en nous demandant comment l’utilisateur veut accéder aux données, comment il souhaite les visualiser ou encore construire de l’information en partant d’elles, nous avons mis en place une interface qui permet à chacun de naviguer facilement dans cet environnement complexe, d’interagir plus efficacement avec l’information afin de mieux répondre à ses attentes.

Julie Becker : Le propos de Laurent illustre bien comment IT et business sont intégrés. Dans ce cas, il vient surtout d’évoquer des enjeux business relatifs aux réponses à apporter aux nouvelles attentes des utilisateurs. Ce qu’il n’a pas dit, c’est l’importance de la technologie pour arriver à ce résultat, pour collecter des millions de données, les structurer, les mettre au bon format, pour permettre à chacun d’accéder à de l’information de qualité. C’est un élément clé de la transformation ESG du monde financier. Sans la technologie, nous ne pourrions tout simplement pas agréger ces informations non financières, informationsindispensables pour mesurer l’impact. Manuellement, ce n’est pas envisageable.

Laurent Pulinckx : Dans cet interview, c’est Julie qui parle de technologie et moi du business (rire). Cela illustre bien la manière d’appréhender les sujets. Toujours est-il qu’à travers de tels projets, nous avons pu nous démarquer sur le marché. En nous positionnant à l’avant-garde sur des sujets bien déterminés, nous maintenons une avance sur nos concurrents et parvenons à faire la différence.

 

Justement, comment identifiez-vous les opportunités de marché ? Comment parvenez-vous à déterminer ce que le marché attend, les projets dans lesquels il faut investir ?

Laurent Pulinckx : En la matière, l’agilité joue pleinement son rôle. On crée des équipes pluridisciplinaires, mêlant des acteurs du métier, qui connaissent les clients et leurs attentes, des professionnels du numérique et d’autres experts. A partir des idées qui émanent de ces équipes, on peut rapidement proposer des prototypes, que l’on va d’ailleurs souvent directement présenter à certains clients afin de faire évoluer les solutions avec eux. A travers les diverses itérations, on progresse vers un produit fini dont on est sûr qu’il répond aux attentes.

Julie Becker : On part de l’expression des besoins du marché et l’on envisage la technologie comme un moyen d’y répondre. Parfois, la technologie elle-même est à l’origine de nouveaux produits ou de services, si l’on évoque l’émission des produits financiers sous la forme de tokens par exemple.

 

Si l’on se projette dans les 5 prochaines années, où placez-vous les priorités ?

Julie Becker : On ne peut ignorer la technologie, surtout si l’on considére la rapidité avec laquelle elle transforme les organisations, les métiers, mais aussi les processus internes. Il y a d’abord, comme évoqué, un changement d’approche de l’ensemble des collaborateurs vis-à-vis du numérique, avec un réel intérêt de chacun à gagner en autonomie pour transformer certains processus ou autonomiser certaines tâches directement, sans recourir à l’IT. Cela permet de libérer du temps aux experts, qui peuvent s’engager sur des projets qui impliquent des technologies émergentes, une complexité plus importante, sur des projets de R&D correspondant à nos ambitions et notre taille.

Laurent Pulinckx : Un autre enjeu, qui nous tient à cœur, réside dans l’impact environnemental de l’utilisation du numérique. Si la technologie est un levier incontournable quand on veut répondre aux défis qui nous occupent, à commencer par la lutte contre le réchauffement climatique, cela ne veut pas dire que tout est opportun en la matière.

Nous devons nous inscrire dans une ère d’utilisation rationnelle du numérique, en vue d’en minimer l’impact et notamment les émissions de CO2. Les leviers, en la matière, sont nombreux. Il faut travailler sur l’infrastructure. La migration vers le cloud va dans ce sens. A travers la démarche, on optimise l’utilisation des ressources et l’on peut profiter des efforts consentis par les plateformes pour réduire l’empreinte environnementale du numérique. Au-delà, il faut être vigilant sur la manière dont on code, dont on conçoit les produits. Le dernier levier, à ce niveau, concerne la sensibilisation des utilisateurs, au profit d’une minimisation des données conservées par exemple.

Julie Becker : Il est indispensable d’être cohérent à ce niveau. Si notre volonté est de réorienter les flux financiers vers des projets durables, il s’agit aussi de nous engager à tous les niveaux dans une approche plus responsable. C’est pourquoi, en matière d’utilisation des ressources numériques, nous avons commencé à travailler sur ces sujets.

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