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GRAND ENTRETIEN EYnovation : Le Luxembourg a une part de “Start-up” dans son ADN

GRAND ENTRETIEN - ITNATION MAGAZINE EDITION AUTOMNE 2018

October 16, 2018

Hélène Delamara-Gutton, Manager & Olivier Lemaire, Associé – EY Luxembourg

Olivier Lemaire et Hélène Delamare-Gutton, respectivement Associé et Manager chez EY Luxembourg, coordonnent le programme EYnovation, qui soutient l’accélération du développement de start-up au départ du Luxembourg. Nous avons évoqué avec eux l’importance de l’écosystème entrepreneurial luxembourgeois dans la transformation de l’économie, ainsi que les principaux enjeux auxquels sont aujourd’hui confrontés les jeunes acteurs innovants.   

A vos yeux, comment l’écosystème entrepreneurial luxembourgeois a-t-il évolué ces dernières années ?

Olivier Lemaire : Si l’on se replace dans le contexte entrepreneurial d’il y a dix ans, trop peu d’initiatives innovantes et fédératrices voyaient le jour. Le mouvement s’est toutefois fortement amplifié depuis environ cinq ans, avec la multiplication d’initiatives comme, entre autres, Nyuko ou le Lux Future Lab. Cela illustre parfaitement l’une des forces du Luxembourg, que l’on pourrait qualifier dorénavant de pays « start-up ». Quand on compare une start-up à une société corporate, de plus grande envergure, plusieurs atouts propres à la start-up se singularisent et notamment une flexibilité et une capacité de réaction et d’adaptation rapide pour mieux répondre aux attentes du marché. De la même manière, je ne pense pas qu’il soit présomptueux de qualifier le Luxembourg de pays dynamique, agile et flexible, beaucoup plus que ne le sont certains grands pays. De par sa superficie, le Luxembourg ne souffre pas de l’inertie d’autres grandes nations. Les décisions sont prises rapidement et les risques sont gérés de manière dynamique. Par ailleurs, il est plus aisé de réorienter une politique pour saisir de nouvelles opportunités. Le développement du secteur Fintech l’illustre parfaitement, avec la transposition rapide de la première directive paiement. En outre, si l’on prend comme exemple l’avancée remarquable dans le secteur spatial, on comprend tout-à-fait la capacité du Luxembourg à innover et à mobiliser des ressources pour explorer de nouveaux horizons. Le pays tout entier et les start-up s’inscrivent dans une mouvance et une réactivité communes. Je dirais que le Luxembourg a en quelque sorte une « part » de start-up dans son ADN.

 

En quoi, aujourd’hui, soutenir cet écosystème entrepreneurial est devenu essentiel, voire crucial ?  

Hélène Delamare-Gutton :La plupart des Etats sont aujourd’hui convaincus de l’importance des start-up pour leur prospérité. Ces acteurs entrepreneuriaux contribuent fortement au développement économique et social d’un pays. Ils innovent, alors que les corporate souffrent parfois trop souvent d’une certaine inertie. Ces jeunes pousses avancent plus rapidement et sont susceptibles d’entrainer avec elles tout l’environnement qui les entoure. A ce titre, les start-up sont facteur de progrès.

Olivier Lemaire :Il faut avancer avec les start-up au même titre que le Luxembourg doit les accompagner, pour créer de la valeur dans les domaines clés de son économie comme la Fintech ou encore la Regtech. Un autre exemple est celui du domaine spatial ; à travers l’initiative spaceressources.lu, on perçoit bien la capacité du Luxembourg à développer une vision d’avenir, à prendre des risques pour innover. Depuis ce lancement plusieurs start-up à potentiel se sont positionnées dans le domaine spatial au Luxembourg. C’est l’émergence d’un nouveau marché.

 

EY accompagne des start-up luxembourgeoises à travers son programme EYnovation. Au sein de votre réseau, dans divers pays, d’autres formes d’accompagnement de structures innovantes existent. Comment se positionne l’écosystème start-up luxembourgeois par rapport à d’autres pays ?

 Hélène Delamare-Gutton :On retrouve EYnovation en Belgique et aux Pays-Bas. Dans d’autres pays, comme la France, l’Allemagne et l’Angleterre, d’autres programmes d’accélération ont vu le jour à travers EY. Afin que chaque programme puisse mieux profiter d’un effet réseau, ces initiatives sont coordonnées à l’échelle européenne. En échangeant avec nos homologues, on peut dès lors mieux apprécier les qualités de l’écosystème luxembourgeois et les défis qu’il doit relever. Il y a de nombreux atouts au Grand-Duché. Si d’autres pays ont beaucoup d’avance, le Luxembourg bouge vite et la dynamique s’accélère. Il suffit de constater la multiplication des incubateurs ces dernières années. Pour un Etat d’un demi-million d’habitants, la dynamique qui a été mise en place est remarquable.

« Il n’y a qu’au Luxembourg que des acteurs diversifiés parviennent à travailler ensemble à la poursuite d’objectifs communs »

Olivier Lemaire : En particulier, les partenariats public-privé mis en place au Luxembourg, à travers Tomorrow Street par exemple, sont perçus avec intérêt et très souvent jalousés à l’étranger. Il n’y a qu’au Luxembourg que des acteurs diversifiés, incubateurs, Venture Capitalists (ou VC), « corporate », centres de recherche et acteurs publics, parviennent à travailler ensemble à la poursuite d’objectifs communs.

 

Est-ce que le Luxembourg voit naître suffisamment de start-up ? Comment l’écosystème pourrait-il mieux fonctionner ?

Olivier Lemaire : Au regard de la taille du pays, le Luxembourg n’a pas vocation à voir émerger ou à attirer des milliers de start-up. Il est néanmoins primordial de travailler sur des domaines clés qui sont ciblés, pour permettre ainsi à des acteurs innovants de qualité d’émerger, ou pour en attirer d’autres qui pourront servir le développement de l’économie. En outre, si l’écosystème local est perfectible, je trouve que ce qui a été mis en œuvre jusqu’à présent va dans la bonne direction. Autour de l’Université, il y a sans doute encore des choses à faire. Nous pourrions nous inspirer de ce qui se passe à Louvain-la-Neuve en Belgique, où un « business parc » extrêmement dynamique s’est constitué autour de l’Université, avec des spin-off développées sur base d’idées et d’applications issues de la recherche. L’Université de Luxembourg est encore jeune et déjà on voit apparaître les premières spin offs.

Quelles ambitions le Luxembourg doit-il poursuivre à travers le renforcement de son écosystème start-up ? Le pays peut-il se rêver en Silicon Valley de l’Union européenne ? Ou l’enjeu est-il ailleurs ?

Olivier Lemaire : Je ne pense pas que cela soit l’enjeu, non. Il faut construire un écosystème innovant sur base de fondations solides. Le Luxembourg a bâti son succès sur des niches. La Fintech, par exemple, est certainement un secteur porteur. Et l’on peut se réjouir que des start-up luxembourgeoises comme Governance.com ou Tetrao se classent aujourd’hui parmi les meilleures Fintech d’Europe.

Hélène Delamare-Gutton : L’innovation portée par les start-up doit servir l’économie existante. Ces start-up doivent notamment nous permettre d’appréhender la manière dont la technologie peut faire avancer des business models établis. L’écosystème de start-up peut en fait constituer un réel accélérateur du changement. C’est cette dynamique qui doit également servir les enjeux de diversification de notre économie, comme c’est le cas avec le secteur spatial, les sciences de la santé, la logistique. En parallèle, cela ne doit bien évidemment pas constituer un frein à l’émergence de start-up plus généralistes.

 

Quand on parle des besoins de l’écosystème start-up, le défi du financement est souvent évoqué. Comment mieux soutenir le développement des start-up et les attirer ici ?

Olivier Lemaire : Il est vrai qu’il est difficile de trouver les bons financements pour une start-up au-delà des premiers stades de développement. Il faut pouvoir attirer le regard des VC sur le Luxembourg. Si la compétition est rude face à d’autres pays et qu’il y a encore des chantiers à mettre en œuvre en termes de levée de fonds, j’ai cependant toute confiance dans le Luxembourg qui offre un environnement stable et dont la réputation en matière de créativité n’est plus à prouver. Cependant, il est clair que pour pouvoir attirer des fonds, il faut de bons projets.

« Un des enjeux est de parvenir à mieux faire rayonner le Luxembourg et ses start-up à l’échelle internationale. »

Hélène Delamare-Gutton : Un autre enjeu est de parvenir à mieux faire rayonner le Luxembourg et ses start-up à l’échelle internationale. C’est un des objectifs poursuivis au- travers du programme EYnovation. Notre volonté est de faire profiter les acteurs innovants que nous accompagnons de notre réseau international. Plus les start-up présentes au Luxembourg seront visibles, plus l’intérêt des investisseurs pour ce qui se passe au Grand-Duché devrait grandir.

 

Est-ce que l’innovation passe forcément par les start-up ? 

Olivier Lemaire : C’est un vecteur que les « corporate » considèrent avec un intérêt grandissant. Leur regard sur les acteurs innovants a changé en quelques années. S’ils pouvaient les percevoir comme une menace potentielle au départ, désormais ils multiplient les interactions. Les sociétés d’envergure peinent à innover seules, en raison de leur taille, de l’inertie que cela implique. On a donc assisté à la mise en place d’incubateurs par de grands groupes afin de profiter de l’agilité de start-up ou encore pour tester l’innovation. Je ne dis pas que les incubateurs vont remplacer des programmes de R&D interne. Toutefois, de nombreux grands groupes aujourd’hui se dotent de leur propre incubateur, leur permettant de s’inscrire dans une démarche d’open-innovation et de répondre à une série de problématiques.

 

A travers le programme EYnovation, comment stimulez-vous ces démarches d’innovation ?

Hélène Delamare-Gutton : Le concept est singulier dans la mesure où nous offrons aux jeunes acteurs innovants et prometteurs un accès à des ressources, et par là même l’occasion de collaborer au quotidien avec des grands groupes. Pour être accompagnées, les start-up doivent répondre à certains critères de sélection. Nous  assistons des sociétés qui disposent déjà d’un concept mature et qui envisagent une accélération de leur développement à l’international. Selon leurs besoins, nous les aidons à se structurer, à mettre en place des plans de financement ou encore à s’étendre sur de nouveaux marchés. Si une start-up nous semble intéressante pour répondre à une problématique rencontrée par un client, nous n’hésitons pas à la recommander à ce client. Notre positionnement nous permet de créer le lien entre jeune pousse et corporate, afin qu’ils puissent se servir mutuellement, et là encore notre réseau est un bel atout.

« Corporates et jeunes pousses ont en effet beaucoup à gagner à travailler ensemble. »

Olivier Lemaire : Corporates et jeunes pousses ont en effet beaucoup à gagner à travailler ensemble. Par ailleurs, nous considérons que nous avons un rôle sociétal, une responsabilité vis-à-vis de ces acteurs à fort potentiel, qui jouent un rôle primordial pour l’avenir de notre économie. Les start-up constituent aujourd’hui un élément important du tissu économique. L’innovation passe notamment par les start-up et le futur de l’économie dépend en partie d’elles. Si on ne prend pas soin de ces acteurs, on tue l’innovation dans l’œuf. Il est donc de notre devoir de les accompagner. Nous recourons d’ailleurs nous-mêmes à des start-up pour notre propre innovation, faisant appel à leurs compétences tout en collaborant et échangeant étroitement.

 

Comment évalue-t-on le potentiel d’une start-up 

Olivier Lemaire : C’est toujours un défi, car il y a un aspect rationnel mais aussi émotionnel. Nous commençons par évaluer le potentiel d’une start-up en nous mettant dans la position du consommateur. Ensuite, vient l’analyse du produit et du service et la capacité de monétiser le produit. Du côté émotionnel, l’alchimie avec l’équipe dirigeante reste fondamentale ainsi que l’attrait du produit de la start-up.

Hélène Delamare-Gutton : Une start-up doit nous faire rêver, se révéler à nous au-travers d’une histoire à laquelle on a envie de prendre part. Ensuite, nous évaluons des éléments techniques, comme le business plan, le business model, sa maîtrise de la technologie. Bien sûr, nous nous appuyons sur des experts au sein d’EY pour « challenger » la start-up. L’équipe est fondamentale, et ce pour chaque partie prenante, y compris au sein même de la start-up.

 

Quels sont généralement les besoins d’une start-up ?

Hélène Delamare-Gutton :Cela peut varier fortement d’un acteur à l’autre. Certains auront besoin d’un réseau, d’autres de fonds ou encore d’établir la bonne stratégie de « pricing » pour grandir à une échelle plus large. On peut aussi accompagner des sociétés innovantes dans leur structuration ou dans le cadre de problématiques fiscales ou comptables. Dans l’ensemble, cependant, les start-up cherchent avant tout à se construire rapidement une réputation. Par conséquent, la mise en relation avec nos clients corporates ou tout autre acteur important du tissu économique constitue un élément clé de notre programme.

 

Au final, n’est-ce pas d’esprit entrepreneurial, au sens le plus large, dont il faudrait parler ? Comment promouvoir la prise de risque et d’initiative, même au cœur de l’entreprise ?

Olivier Lemaire : Il y a une dynamique entrepreneuriale à promouvoir, afin que des start-up plus nombreuses voient le jour, qu’elles soient mieux soutenues, mais aussi pour encourager la prise d’initiative au niveau des « corporate ». Il faut permettre la prise de risque. Notre équipe de coaches au sein du programme EYnovation est avant tout constituée de professionnels passionnés. Ils travaillent la journée pour nos clients, ont une réelle expertise dans leur domaine, mais sont aussi animés par une réelle envie de s’investir autrement en coachant des start-up. Notre politique est de répondre à leurs aspirations, de leur permettre d’entreprendre au sein de l’entreprise.  Chez EY, l’entreprenariat a toujours fait partie de notre ADN, notamment à travers notre programme « Entrepreneur of the Year » et nous voulons perpétuer cette culture.

 

La technologie est au cœur des enjeux d’innovation. Or, en la matière, on voit certaines nations investir dans des programmes conséquents de plusieurs dizaines et même de plusieurs centaines de millions dans les domaines de l’IA par exemple… Luxembourg peut-il vraiment se positionner considérant les moyens d’autres pays ?

Olivier Lemaire : Je pense que le Luxembourg a une carte à jouer dans ce domaine. Et là, il n’est pas question que de problématique financière. Je ne pense pas que le pays doit avoir l’ambition d’investir dans le développement technologique, mais bien dans les usages qui peuvent découler des nouvelles technologies. L’investissement dans la recherche est bien sûr nécessaire. Et pour ce faire, il faut disposer d’une masse critique de chercheurs dans des domaines en phase avec les orientations stratégiques du pays. Je pense que le Luxembourg sur ce point n’a d’ailleurs pas à en rougir. Nos centres de recherche publics, comme le SnT ou le LIST, prouvent leur efficacité. L’attrait des talents demeure néanmoins un défi. D’ailleurs, d’autres grandes nations, même avec des moyens conséquents, doivent faire preuve d’agilité pour les attirer ou tout simplement les retenir.

« La question que doit se poser le Luxembourg a trait à tout ce que l’on peut faire de la technologie »

Hélène Delamare-Gutton : Luxembourg a de beaux atouts pour servir ses ambitions. Si certaines technologies continuent d’être développées en Chine ou aux Etats-Unis par exemple, la question que doit se poser le Luxembourg a trait à tout ce que l’on peut faire de cette technologie. Comment, en mettant en place les bons écosystèmes, entre entrepreneuriat, recherche, développement de nouvelles niches, fiscalité adaptée, infrastructures de pointe, peut-on mieux attirer des acteurs innovants, créer de la valeur ?

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