TRANSFORMATION & ORGANISATION

“Grâce au numérique, l’état veut devenir plus proactif”

Nouvelle ministre en charge de la Digitalisation d’une part, de la Recherche et de l’Enseignement supérieur d’autre part, Stéphanie Obertin évoque avec nous les ambitions et défis du gouvernement relatifs à la transformation numérique de l’État.

April 30, 2024

Quel rapport entretenez-vous avec le numérique ?

Dans ma carrière professionnelle de médecin, avant que l’on me propose les fonctions ministérielles que j’occupe actuellement, j’étais déjà confrontée aux enjeux de transformation numérique. Depuis plusieurs années, nous avons vu de nombreuses démarches se digitaliser, autour du Dossier de Soins Partagé notamment, aussi bien du côté des patients qu’au niveau des professionnels de la santé. J’ai pu apprécier les avantages qu’apporte le numérique, mais aussi les questionnements de certains patients en matière d’adoption de ces nouvelles solutions. Comment fonctionne le Dossier de Soins Partagé ? Où trouver son carnet de vaccination en ligne ? Quelles sont les démarches pour bénéficier du paiement immédiat direct (PID) ? Autour de ces questions, j’ai pu prendre la mesure des enjeux liés à la transformation numérique des démarches administratives.   

Le précédent gouvernement, sur deux législatures, avait fait du numérique un enjeu transversal, pris en charge à un niveau interministériel. Comment ce nouveau gouvernement appréhende-t-il ces enjeux ? 

Les enjeux de transformation numérique constituent une priorité pour ce gouvernement. D’ailleurs ces ambitions se traduisent clairement au niveau de l’enveloppe budgétaire accordée aux projets numériques. Dans un contexte où la plupart des administrations sont appelées à faire des économies, les investissements relatifs à la transformation numérique ont pour leur part été maintenus car la transformation numérique est un enjeu clé, un levier de modernisation de la Fonction publique.

En quoi est-ce que la transformation numérique est essentielle ?

La volonté, en maintenant ces investissements, est de contribuer à un État innovant, moderne. Il faut pour cela évoluer avec la technologie et bien accompagner ces évolutions. Le pays, si l’on souhaite qu’il reste compétitif, attractif, doit évoluer avec ces développements, anticiper les changements, se préparer pour en tirer le meilleur parti. 

Quel est le rôle du secteur public pour accompagner cette transformation numérique de la société ? Quelle ambition le gouvernement s’est-il fixée ?

Une des missions du ministère de la Digitalisation est de soutenir et d’accompagner la transformation du secteur public. L’une de mes premières initiatives a été de contacter chaque ministère pour identifier leurs priorités en matière de digitalisation et de leur présenter les outils et solutions que le ministère de la Digitalisation peut mettre à leur disposition. Ainsi, nous leur proposons par exemple un “conseil à la digitalisation” qui commence par une analyse de leur maturité en termes de transformation digitale. Ensuite, nous leur proposons une feuille de route pour moderniser et digitaliser leurs processus et leurs démarches. Par ailleurs, nous offrons également un “conseil à la simplification”, chaque administration devant désormais prendre des engagements en la matière. 

Considérant les besoins et ambitions de chacun, l’un des premiers défis est d’établir des priorités permettant d’engager concrètement la transformation à mener. Au service des objectifs de chacun, le numérique joue un rôle de facilitateur.

Votre rôle, dès lors, est-il de coordonner cette transformation ?

Dans ce contexte, notre rôle est de conseiller et d’accompagner. Nous devons aider chaque ministère et chaque administration à identifier comment le numérique peut les aider, à envisager ce qui est faisable, mais aussi accompagner les projets en veillant à une cohérence d’ensemble. Il s’agit par exemple de s’assurer que les critères d’interopérabilité sont bien respectés ou bien que l’inclusion numérique est garantie. Ainsi, nous veillons à ce que les projets menés s’inscrivent dans un cadre bien déterminé et servent les objectifs fixés par le gouvernement. 

Au regard des enjeux de transformation, il appartient donc à chaque ministère de fixer ses propres objectifs ?

Chaque ministère a ses propres attributions et veille à mettre en œuvre les projets qui sont de son ressort. Mais chacun est invité à entrer en contact avec nos équipes, au sein du ministère de la Digitalisation, afin de pouvoir évaluer son niveau de maturité en matière de transformation numérique, définir où il en est, quels sont ses projets et ses priorités. À partir de là, on peut mieux les accompagner. 

Si chaque ministère doit engager sa transformation numérique, le gouvernement, dans une approche transversale, s’est-il fixé des priorités en la matière ? 

Par l’accord de coalition, le gouvernement a fixé ses objectifs et ses priorités dans chaque domaine. La transformation numérique doit avant tout servir ces grands enjeux et contribuer à relever les défis qui se présentent. 

Le programme de coalition fixe-t-il directement des priorités en matière de digitalisation ?

Oui, plusieurs projets très concrets sont énoncés dans le programme. Par exemple, on y retrouve la mise en œuvre du e-wallet national qui est en ce moment dans la procédure législative. À ce niveau, le Luxembourg entend prendre les devants, anticipant l’instauration d’un e-wallet européen. Nous participons d’ailleurs activement au consortium POTENTIAL, au niveau de la Commission européenne pour le portefeuille européen afin d’assurer le suivi parallèle de ces deux projets. 

Que doit permettre cet e-wallet ?

À travers lui, il s’agit de dématérialiser un ensemble de documents officiels, comme la carte d’identité, dans un premier temps, dans l’optique de faciliter les démarches des citoyens régulièrement amenés à la présenter ou à y avoir recours dans le cadre des démarches administratives qu’ils doivent effectuer. Ce projet est directement porté par le ministère de la Digitalisation, agissant en tant que facilitateur de la transformation numérique de l’État. 

Sur quels autres enjeux le ministère de la Digitalisation travaille-t-il directement ?

Nous sommes aussi particulièrement engagés au service de la mise en œuvre d’un « data driven public sector ». En la matière, nous sommes occupés à préparer la base législative relative au principe du once only. À ce niveau, l’ambition est de faciliter la vie des citoyens, rendant le gouvernement et les administrations beaucoup plus proactifs. Une fois ce cadre légal défini, le citoyen ne devra plus fournir maintes et maintes fois les mêmes données dont l’Etat dispose déjà.

Cette étape est cruciale pour un Etat moderne et à l’écoute de ses administrés. Je suis convaincue que l’Administration doit devenir plus pro-active et proposer les démarches aux citoyens sans attendre de celui-ci qu’il l’initie. On peut imaginer, par exemple, que la reconnaissance d’un enfant né permette d’activer automatiquement le droit à des allocations sans avoir à multiplier les démarches. Il s’agit d’un chantier important, impliquant de pouvoir échanger plus efficacement les données entre administrations, de mettre en place des procédures claires en la matière.  Ce principe du once only, une fois mis en œuvre de manière transversale, constituera un grand pas en avant. 

Ce principe, en outre, répond aussi à des enjeux d’inclusion ?

Plus on digitalise, plus le risque d’engendrer une fracture numérique de la société est important. C’est évident. Si l’adoption du numérique peut susciter des craintes en la matière auprès de la population, le défi que l’Etat doit relever est avant tout de prendre les mesures qui permettent de continuer d’avancer sur le chemin de la digitalisation en veillant à inclure tout le monde. C’est dans cette optique que le ministère, dès 2021, a mis en place un plan d’action national de l’inclusion numérique. Dès cette année, nous allons réévaluer les mesures du plan d’action, avec des interlocuteurs issus de divers horizons, pour fixer de nouveaux objectifs qui tiennent notamment compte de l’évolution de la technologie. 

Quelles sont les grandes problématiques rencontrées sur le terrain en matière d’inclusion ? 

Elles sont de diverses natures. On peut évoquer l’accès à des outils permettant à chacun d’effectuer un ensemble de démarches qui, aujourd’hui, sont principalement digitalisées, ou bien le développement des compétences numériques nécessaires pour effectuer ces démarches. Le renforcement de la confiance dans le numérique des personnes les plus réticentes à l’adoption des technologies, est un autre enjeu. L’intelligence artificielle, avec l’émergence de ChatGPT, soulève notamment de nombreuses questions.

On parle de sécurité informatique, d’intelligence artificielle. Ces derniers mois, on a par exemple vu se multiplier les “deep fakes”, des contenus trompeurs usurpant l’identité de personnalités par exemple. Les risques liés à ces démarches sont importants et doivent conduire à renforcer l’esprit critique des utilisateurs. Ces enjeux relèvent-ils aussi du ministère de la Digitalisation ? 

Nous sommes confrontés à des technologies qui évoluent rapidement. L’enjeu est, en permanence, de pouvoir identifier les défis, les risques, les opportunités, pour accompagner les utilisateurs dans le cadre de cette transformation. Le plan national d’action actuel comporte également des initiatives qui adressent ces enjeux, dans une grande variété de domaines. Il s’agit de pouvoir adapter régulièrement le plan d’action au regard de l’évolution technologie et de ses impacts.

L’émergence de l’intelligence artificielle est annonciatrice de nombreux bouleversements. Quel regard portez-vous sur cette technologie ? 

L’intelligence artificielle a un potentiel de transformation important, porteur de nombreuses opportunités auxquelles il ne faut pas se fermer. Le gouvernement travaille à une stratégie nationale pour l’IA car cette technologie peut nous apporter beaucoup au quotidien, si on la considère comme un outil placé à notre service. Le défi sera de bien accompagner son adoption, de réguler son utilisation, afin de pouvoir en tirer le meilleur. 

Le fait de vous avoir confié le ministère de la Digitalisation ainsi que celui de la Recherche et de l’Enseignement supérieur répond-il à une logique particulière, notamment en ce qui concerne la formation des compétences numériques dont l’économie aura besoin à l’avenir ?

Les deux ministères sont complémentaires à plus d’un titre. La stratégie nationale de la recherche et de l’innovation et de la recherche, par exemple, définit quatre domaines de recherches transdisciplinaires prioritaires, à savoir la transformation de l’industrie, la médecine personnalisée, l’éducation du 21e siècle ou encore le développement durable. Les projets dans ces domaines impliquent de recourir au traitement de données, via l’intelligence artificielle ou encore la technologie quantique.

Le numérique a un rôle clé à jouer dans la réalisation de nos ambitions en la matière. Dans le cadre de la mise en place de la plateforme nationale d’échange des données (Pned), dont l’objectif est de permettre à l’écosystème national de la recherche et de l’innovation public et privé d’exploiter pleinement le potentiel des données par leur ré-utilisation, mes deux ministères travaillent ensemble, tout en coopérant avec d’autres ministères, ainsi qu’avec les centres de recherche publics et l’Université. 

La transformation numérique a aussi des impacts importants sur l’emploi… 

La technologie permet à l’humain de se concentrer sur des tâches pour lesquelles il peut mettre à profit toutes ses capacités, le libérant de tâches répétitives et fastidieuses. Si certaines fonctions deviennent obsolètes, de nouveaux besoins vont se créer. Il s’agit d’accompagner cette transition, de soutenir le développement des compétences dont nous aurons besoin demain, autour par exemple de la technologie, de la gouvernance et de la bonne gestion des données. En la matière, l’enseignement supérieur a évidemment un rôle important à jouer, au même titre que la formation continue dans un contexte d’upskilling ou de reskilling. Le Luxembourg, sur base d’un ensemble d’analyses, notamment un rapport de l’OCDE, s’est doté d’une stratégie claire en la matière. L’un des défis est aussi d’amener davantage de jeunes vers les filières numériques et scientifiques, et plus particulièrement les filles, qui y sont encore trop peu représentées. Différents projets et initiatives ont d’ailleurs déjà été lancés à différents niveaux afin de remédier à cette situation.

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