DIGITAL BUSINESS

Blockchain : repenser l’organisation des chaînes de valeur

A l’échelle d’une industrie ou d’une chaîne de valeur rassemblant de nombreux participants, l’adoption de la blockchain permet de générer d’importants gains d’efficacité...

September 15, 2022

A l’échelle d’une industrie ou d’une chaîne de valeur rassemblant de nombreux participants, l’adoption de la blockchain permet de générer d’importants gains d’efficacité, nous explique Thomas Campione, Blockchain & Crypto-assets Leader au sein de PwC Luxembourg. Le principal enjeu, toutefois, est de parvenir à convaincre l’ensemble des parties prenantes de l’intérêt d’y recourir.

Comment, au-delà des crypto-monnaies, le recours à la blockchain répond-il aux enjeux d’autres industries ?

Si le déploiement de cette technologie est intrinsèquement lié aux crypto-monnaies, on s’est rendu compte suite à l’émergence du Bitcoin que la blockchain pouvait servir de nombreux autres cas d’usage. Les concepts qu’elle introduit – la source unique de donnée fiable et l’absence de point de défaillance – répondent en effet à des enjeux rencontrés dans de nombreuses industries. Il y a un intérêt dès qu’un nombre conséquent de contreparties sont impliquées au niveau d’un même processus. Or, dans beaucoup de secteurs, on a aujourd’hui des chaînes de valeur à rallonge, qui se déploient horizontalement comme verticalement. Nos manières de travailler sont très séquencées, avec les exigences de réconciliation et les risques d’erreur que cela induit. Avec la blockchain, on peut envisager l’organisation du travail autrement. On passe d’un fonctionnement séquencé à des échanges coordonnés de manière simultanée et continue.

« Le bénéfice pour l’ensemble de l’industrie est supérieur à l’intérêt des éléments qui la constituent »

Concrètement, comme cela se traduit ?

Pour donner une caricature simple, c’est comparable au fait de passer au fichier Word (que l’on édite, que l’on enregistre et que l’on transmet à un autre et qui, à son tour va l’éditer…) à l’utilisation de Google Sheet, qui permet de travailler ensemble de manière coordonnée. Si ce n’est que la Blockchain va beaucoup plus loin encore. La difficulté, c’est que cela implique qu’un ensemble d’acteurs se coordonnent pour travailler ensemble. Si les bénéfices liés à l’usage de la blockchain sont évidents, il faut que l’ensemble des acteurs prenant part à une même chaîne de valeur décident de l’adopter ensemble si on veut réellement profiter des gains d’efficience promis.

Quels défis représente cette adoption à l’échelle de tout un écosystème ?

Des questions se posent en termes de gouvernance, avec des règles à établir sur le niveau d’autorisation et d’accès à l’information. La blockchain apporte une grande transparence entre les participants à un même réseau. Or, dans beaucoup de cas, on n’a pas envie que tout le monde puisse tout voir. C’est pour cela, notamment, que les premières applications recourant à la technologie ont été établies sur des blockchains permissionnées, avec des règles relatives aux accès et aux autorisations des participants.

Si l’adoption de la technologie n’a rien d’évident, les bénéfices à en tirer le sont-ils ?

Oui. Si on prend l’industrie financière, on consacre énormément de temps et d’argent à réaliser tout un tas d’actions de vérification et de réconciliation, qui ne servent qu’à s’assurer que l’on n’a pas fait d’erreur. Cela mobilise des ressources, engendre des coûts réels ainsi que des coûts d’opportunité. Le temps passé à cela ne peut pas être consacré à faire autre chose. Il y a dès lors gains d’efficacité évidents à réaliser en adoptant un autre modèle.

Si on prend un autre secteur, comme l’industrie alimentaire, qui a récemment connu diverses crises, la blockchain permet d’apporter une plus grande transparence entre acteurs, de garantir une traçabilité totale et de comprendre ce qui se passe tout au long de la chaîne de valeur. Cela permet de réagir plus vite, d’être en mesure d’apporter des réponses adaptées. Cela répond aussi à des exigences de confiance exprimées par le consommateur et s’inscrit dans une démarche de santé publique. Cette technologie, théoriquement, le permet. Encore faut-il que l’ensemble des acteurs concernés aient la volonté d’aller dans cette direction.

Cela implique un changement d’état d’esprit conséquent et, au regard de la complexité des chaînes de valeur, de convaincre tous les acteurs…

Il faut encore que l’ensemble des acteurs jouent le jeu. Si l’information introduite en amont est mauvaise, le résultat obtenu est forcément erroné. Si l’on se contente de mettre en œuvre la blockchain uniquement sur les trois premiers maillons de la chaîne de valeur, cela ne permet pas d’atteindre les objectifs escomptés. Pour moi, soit on l’implémente sur l’ensemble d’une chaîne de valeur soit pas du tout car c’est comme cela qu’on en retirera l’ensemble des bénéfices et qu’on transformera effectivement la façon d’opérer, soit on continue à fonctionner comme on le fait aujourd’hui. Il n’y a pas d’entre deux. C’est pour cette raison que cela prend du temps. Par ailleurs, la blockchain est encore victime de nombreuses idées reçues, liées notamment aux cryptos, qu’il faut pouvoir dépasser.

Si l’on considère l’industrie financière, en outre, certains acteurs en place, dont les revenus sont directement générés par cette activité de vérification ou de réconciliation, pourraient ne pas avoir d’incitation à encourager cette adoption, qui représente intrinsèquement une menace à première vue. On ne peut pas nier que l’idée de devoir en partie scier la branche sur laquelle ont est assis est peu enviable, même si cela relève d’une vision erronée et courtermiste. Dans d’autres secteurs, par contre, je ne vois que des bénéfices liés à cette adoption.

Comment convaincre ?

De manière générale, il faut parvenir à mieux expliquer les nombreux cas d’usage possibles. Je pense notamment aux garanties que la technologie peut apporter autour de l’intégrité d’un document, de la certification ou de la provenance d’un produit. Face à la prolifération des fausses informations, dans le monde des médias, on s’intéresse aussi à la technologie pour garantir l’origine d’une nouvelle. Pour la gestion des signataires, la blockchain permet, grâce à l’usage de clés cryptographiques, de garantir qu’une transaction a bien été effectuée par une personne autorisée et de retracer l’ensemble des transactions réalisées. En interne, on appelle cette technologie la « trust machine ». Et on évoque aussi le « trust paradox » dont elle souffre. Alors que le concept est fait pour renforcer la confiance, c’est un manque de confiance dans la technologie qui freine son déploiement.

N’est-ce pas lié à un problème de compréhension de la technologie ?

Certainement. Mais peut-être aussi à un manque de volonté de comprendre. On ne peut pas négliger certaines considérations d’agenda. Il faut voir quelles sont les personnes qui décident car on parle ici d’un sujet stratégique. Dans l’industrie financière, c’est au travers de la tokenisation des actifs et de son effet sur l’ensemble de la chaîne de valeur que l’adoption s’effectuera, ce qui rend la chose relativement compliquée car cela implique que la tokenisation soit un sujet maîtrisé par les acteurs. Nous n’en sommes en moyenne pas encore là même si les choses avancent rapidement. En effet, l’intérêt est moindre si l’on continue à jouer sur les deux tableaux, en maintenant des transactions avec des actifs traditionnels, qui impliquent toujours ces opérations de vérification ou de réconciliation.

Est-ce que les choses bougent tout de même ?

Oui. On voit des consortiums d’acteurs qui arrivent à travailler ensemble et que cela fonctionne. Il y a une prise de conscience que le bénéfice pour l’ensemble de l’industrie est supérieur à l’intérêt des éléments qui la constituent. On a passé un cap psychologique et il n’y aura pas de retour en arrière.

Watch video

In the same category