DIGITAL BUSINESS
Afterwork with a CEO avec J. Muller
Jean Muller, les Moulins de Kleinbettingen, revient sur l’histoire singulière d’une société familiale luxembourgeoise, qui multiplie les projets innovants avec la volonté d’avoir un impact local et durable.
November 23, 2022
À la tête des Moulins de Kleinbettingen depuis 7 ans, Jean Muller revient sur l’histoire singulière d’une société familiale luxembourgeoise, qui multiplie les projets innovants avec la volonté d’avoir un impact local et durable.
Autour d’un verre
Qu’est-ce que vous prenez à boire ?
Tout dépend de l’intensité du stress accumulé durant la semaine… Je peux me laisser tenter par un gin tonic, mais d’habitude ce sera plutôt une bière locale comme la Clausel produite par la Lëtzebuerger Stad Brauerei ou un verre de vin blanc du Luxembourg, un Riesling ou un Pinot gris.
Avec qui aimeriez-vous partager un verre ?
Barack Obama. Son témoignage m’a marqué, par sa façon de voir la politique et le monde. On y découvre son entrée en politique, les échelons qu’il gravit petit à petit, avec cette question centrale : comment changer les choses sans vendre son âme. Le monde n’est pas blanc ou noir comme on essaie de nous le faire croire parfois et il insiste beaucoup sur la nécessité d’être dans le compromis.
Votre truc pour décompresser en fin de semaine ?
J’aime le sport et notamment la course à pied. Mais décompresser, c’est aussi passer du temps avec en famille avec nos deux jeunes fils. C’est idéal pour penser à autre chose à la sortie du bureau.
Une destination pour souffler ?
La montagne. Les Alpes, notamment, où nous nous rendons plusieurs fois par an pour nous oxygéner, là encore en famille.
Quand a commencé cette aventure familiale autour des Moulins de Kleinbettingen ?
Ici, à Kleinbettingen, tout a commencé en 1921 avec le rachat par mon arrière-grand-père et ses frères des Moulins de Kleinbettingen aux familles Fribourg et Wagner. Mais l’histoire familiale démarre dès 1704 avec la première génération de meuniers. Nous en sommes à la 11e aujourd’hui…
Vous venez d’un métier artisanal aux pratiques ancestrales. Comment l’innovation s’est-elle immiscée dans votre famille pour devenir aujourd’hui une véritable marque de fabrique ?
C’est là encore une longue histoire. Je pense que l’innovation fait partie de l’ADN de nombreuses entreprises luxembourgeoises ambitieuses. Nous exportons 80 % de notre production vers l’étranger, essentiellement dans les pays limitrophes. Il est donc important pour nous de nous démarquer de la concurrence. On peut innover à différents niveaux et c’est ce que nous avons fait. Tout a commencé avec la matière première. Pendant longtemps, le blé que nous transformions venait de l’étranger, d’Allemagne et même des Etats-Unis. Nous avons donc lancé voici 30 ans un programme « produits du terroir » avec la volonté d’être des pionniers et de développer une filière de production de blé de qualité élevée, de façon locale et durable. Aujourd’hui, le programme permet de couvrir 50 % de nos besoins. Nous sommes reconnus pour cette expertise au sein de la Grande Région, et nous contribuons à mettre en place des programmes similaires dans les pays voisins. La deuxième étape a été d’améliorer le traitement du blé avec l’investissement dans un nouveau moulin en 2007, le plus moderne d’Europe à l’époque. Cela nous a notamment permis d’améliorer le processus d’extraction et d’obtenir un produit plus pur afin d’accéder à des marchés aux exigences sanitaires plus élevées.
En 2020, vous surprenez tout le monde en dévoilant une gamme de pâtes 100 % luxembourgeoise…
Nous avons mis 5 ans pour créer une nouvelle filière de culture du blé dur, nécessaire pour la production de semoule et de pâtes. Jusque-là, personne ne produisait du blé dur au Luxembourg. Nous avons aussi voulu marquer les esprits lors du lancement de ces nouveaux produits en distribuant des paquets de pâtes dans tous les foyers du pays. Avec le recul, s’appuyer sur une production locale constitue un avantage compétitif intéressant. Cela donne aussi beaucoup de sens à notre action, tant d’un point de vue écologique qu’économique.
Dernière innovation en date, les Moulins de Kleinbettingen se lancent dans la production de « viande » à base de protéines végétales. Pour le coup, on sort du métier originel autour du blé ?
Notre mission est d’être un transformateur de plantes dans des produits à valeur ajoutée pour la consommation humaine. Nous avons donc décidé d’ouvrir le champ en nous intéressant à d’autres plantes et à leurs propriétés. L’idée est de produire localement, grâce à un processus physique 100 % naturel qui s’appelle l’extrusion, des protéines végétales, à partir de tournesol, d’orge, de pois, etc. Grâce à la chaleur et la pression, la molécule est transformée en masse fibreuse qui ressemble à la texture de la viande. C’est évidemment un nouveau métier, qui s’accompagne de nombreux challenges, mais nous sommes convaincus que c’est une solution d’avenir pour nourrir la planète. Les protéines animales ne pourront pas répondre à tous les besoins. Nous avons investi 20 millions dans un nouveau hall de production, ici à Kleinbettingen. Nous allons développer cette activité progressivement, en servant d’abord une clientèle professionnelle. Selon une étude de Bloomberg Intelligence, le marché des aliments d’origine végétale va atteindre 162 milliards de dollars en 2030, contre 29,4 milliards en 2020. Nous verrons où cela nous mène.
Qu’est-ce qui vous motive au quotidien dans votre métier ?
J’ai la chance d’avoir un très beau métier, en travaillant des produits d’alimentation de base de qualité. Je suis convaincu que nous avons un rôle à jouer dans cette transition vers un monde plus durable. Nous sommes un maillon important de la chaîne. Mieux encore, nous faisons partie de la solution. Et c’est vrai pour de nombreuses entreprises luxembourgeoises. Mon rêve est que, d’ici 20 ans, grâce aux initiatives prises aujourd’hui dans le domaine agroalimentaire, le Luxembourg s’affiche à l’étranger comme un pôle d’excellence, innovant et durable.
Quels sont selon vous les principaux défis qui se présentent aujourd’hui dans votre secteur ?
Au-delà des problèmes d’approvisionnement et de transport, le plus gros challenge actuel est lié au coût de l’énergie. Personne dans cette entreprise n’a jamais été confronté à un défi d’une telle ampleur. Le risque principal serait que le prix de l’énergie soit plus élevé au Luxembourg que dans les pays voisins. Cela nuirait de façon catastrophique à la compétitivité des entreprises luxembourgeoises. La concurrence existe entre l’Europe et d’autres continents, mais elle existe aussi entre pays européens. Si de trop grandes distorsions apparaissent au sein du marché intérieur, il faut s’attendre à des fermetures voire à des délocalisations. Le Luxembourg n’en sortirait pas gagnant. À court terme, il faut donc trouver des solutions à ce problème. L’autre défi qui nous occupe à plus long terme est de trouver du personnel qualifié.