TRANSFORMATION & ORGANISATION

Afterwork with a CEO avec Arnaud Gillin

Il y a 15 ans, Arnaud Gillin et son associé Patrick Goodman créaient Innpact. Cette structure, qui compte aujourd’hui 50 collaborateurs, est pionnière dans le domaine de la finance à impact au Luxembourg, proposant des services de structuration et de gestion de véhicules d’investissement contribuant effectivement aux objectifs de développement durable. C’est au Bugatti, un troquet juste à côté des bureaux d’Innpact, qu’Arnaud a accepté de partager un verre avec nous.

January 29, 2024

Quand, il y a quinze ans, vous créez Innpact, parle-t-on déjà de finance à impact ?

Notre activité, plus spécifiquement, vise à soutenir la mise en œuvre et la gestion de véhicules d’investissement dont l’objectif est de contribuer aux objectifs dedéveloppement durable, de générer un impact positif sur l’environnement et la société dans son ensemble. Au Luxembourg, il y a quinze ans, ADA proposait déjà des solutions de microcrédit. En 2006, Muhammad Yunus, à qui l’on doit la popularisation du concept de microcrédit, venait de recevoir le Prix Nobel de la Paix. Patrick et moi, à ce moment, étions actifs dans le monde de la finance au Luxembourg. Nous partagions les mêmes réflexions, autour du sens que nous mettionsdans notre travail, à propos de notre contribution à la société. La thématique de la « microfinance » nous intéressait. L’opportunité de développer une activité dans ce domaine nous a été offerte. C’est dans ce contexte qu’est née Innpact, à une époque où l’on ne parlait pas du tout de finance à impact.

Qui étaient vos clients à l’époque ?

Nos clients, à l’époque comme aujourd’hui, sont avant tout d’importants donneurs d’ordre, comme des ONG ou des banques de développement. Au départ, ils ont fait appel à notre expertise pour structurer et mettre en place des fonds, de microfinance à l’époque. Progressivement, ces acteurs nous ont demandé si nous pouvions aussi accompagner la mise en place d’autres véhicules d’investissement, orientés vers les énergies renouvelables par exemple, l’agriculture durable, la conservation ou encore l’éducation. De cette manière, nous avons élargi notre expertise et notre gamme de services, passant de la microfinance à la finance à impact.

 

En tant qu’acteur pionnier dans le domaine, quel regard portez- vous sur le développement de la finance durable au Luxembourg ?

Le marché s’est considérablement développé, soutenu notamment par des changements réglementaires. Aujourd’hui, les cabinets d’avocats, les sociétés de gestion ont intégré des expertises dans le domaine de la finance durable. Nous sommes cependant encore les seuls à se concentrer exclusivement sur ce segment de la finance à impact. S’il est réjouissant de voir l’activité se développer, pour nous, cette évolution du marché constitue un véritable challenge. La compétition est plus importante. Nos concurrents sont des entreprises de plus grandes envergures, avec un large portefeuille d’activités. La finance à impact ne génère pas des marges aussi importantes que d’autres activités, dans le domaine des fonds traditionnels ou du private equity par exemple. Dans cet écosystème, nous devons nous maintenir, parvenir à attirer les bonnes compétences, à fidéliser les talents.

 

Alors que l’on parle beaucoup de sens à donner à ce que l’on fait professionnellement, votre positionnement facilite-t-il l’attraction des talents ?

La démarche que nous mettons en œuvre répond à ces aspirations, en effet. Notre image de pionnier, de société à mission, de structure exclusivement dédiée à la finance à impact joue en notre faveur. Cependant, ce n’est pas simple pour autant. Il est difficile de s’aligner sur les rémunérations des grands groupes autour de nous. Il faut jouer sur d’autres aspects, la gouvernance de l’entreprise, son engagement sociétal. Les personnes qui nous rejoignent, en effet, nourrissent des attentes importantes à cet égard. Il y a beaucoup à faire. Nous ne pouvons malheureusement pas encore répondre à tous les enjeux. Nos moyens restent limités. Cela peut aussi créer de la frustration. Alors nous devons constamment innover pour développer au mieux notre mission.

 

Comment cela ?

Si la finance à impact contribue effectivement à la transition durable, pour ceux qui mettent en œuvre des solutions en la matière, cela ne va souvent pas assez vite. Les produits d’investissement à impact représentent une part marginale du marché.

Ces véhicules sont orientés vers les investisseurs institutionnels et restent difficilement accessibles pour les investisseurs individuels comme vous et moi. Les acteurs de l’écosystème, comme les banques, restent frileux vis-à-vis de ces produits. On aimerait que cela aille plus vite.

 

Comment pourrait-on accélérer les choses ?

La réglementation, dans un premier temps, contribue à plus de transparence sur la manière avec laquelle les actifs sont investis. Avec SFDR, il faut désormais apporter la preuve qu’un fonds à impact contribue effectivement aux objectifs qu’il poursuit. La seconde étape pourrait être, par exemple, de contraindre les acteurs à investir une part minimum de leurs actifs dans des projets contribuant aux objectifs de développement durable. D’autre part, la réglementation, par la mise en place d’incitants ou de contraintes, doit soutenir le développement d’activité économique vertueuse.

 

Comment convaincre les investisseurs ?

Si les investisseurs attendent des fonds à impact un retour similaire à celui d’un investissement dans une activité de l’économie extractive, c’est compliqué. L’économie actuelle, principalement, extrait de la valeur du présent, en exploitant les ressources naturelles notamment, en cherchant à maximiser les profits sans tenir compte du futur. C’est cette approche qu’il faut changer. Dans la finance à impact, nous intégrons le coût des externalités, comme la dégradation des écosystèmes et nous ajoutons la création de valeur sociétale ou environnementale au rendement financier. Il s’agit de développer des visions à long terme, en cherchant à créer des impacts positifs pour aujourd’hui et les générations futures. Cela ne veut pas dire que l’investissement ne génère pas de rendement financier.Sur les dix dernières années, le rendement moyen annuel de l’investissement dette à impact est de l’ordre de 4 à 5%.

 

Comment l’économie doit-elle se transformer à vos yeux ?

Notre rôle est de faciliter la mise en relation entre les porteurs de projets à impact avec des investisseurs partout à travers le monde, pour accélérer le mouvement. C’est passionnant de se dire qu’en tant qu’entreprise, on peut faire bouger les choses. Ce qui est vrai pour nous l’est pour toutes les entreprises. Une banque, en soi, ce n’est pas quelque chose de mauvais. Cela permet de sécuriser l’argent des épargnants et de soutenir le financement de projets. C’est le capitalisme débridé qui a détourné certaines fonctions de l’économie. L’objectif d’une entreprise ne doit pas être la maximisation du profit, mais bien d’apporter des solutions à un besoin. Il faut en revenir à une approche plus artisanale. À partir de là, toute entreprise peut avoir un impact positif. « Business as a force for good », comme le suggère le label B Corp, dont nous sommes la première société à Luxembourg. Transformer l’économie, c’est d’abord repenser le rôle de l’entreprise, ce à quoi elle contribue, ce qu’elle apporte à la société.

 

AUTOUR D’UN VERRE

Que prendrez-vous à boire ? 

En tant que Belge, je suis un amateur de bière, idéalement issue d’une brasserie artisanale locale. Pourquoi pas une Funck Bricher, une bière bio produite au Luxembourg.

Avec qui aimeriez-vous partager un verre ?

Je serais intéressé d’avoir une discussion avec une personne qui était adulte dans les années 50-60, pour essayer de comprendre comment nos sociétés ont commencé à déraper.

Votre truc pour décompresser en fin de semaine ? 

Je suis un grand amateur de VTT. Je file faire des escapades dans les bois sur mon vélo.

Une destination pour souffler ?

Je me sens bien au grand air, dans la nature. J’apprécie particulièrement les grands espaces qu’offre la montagne. Et il n’y a pas besoin d’aller loin pour être complètement dépaysé.

 

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