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L’adoption de la Blockchain se fera naturellement

Fabrice Croiseaux, CEO d’InTech, investi dans de nombreux projets liés à la mise en œuvre de cette technologie, évoque ces enjeux avec nous.

July 5, 2022

En quoi la blockchain introduit-elle une rupture vis-à-vis des modèles traditionnels ? Quels avantages génère-t-elle ? Comment faciliter son adoption ? Fabrice Croiseaux, CEO d’InTech, investi dans de nombreux projets liés à la mise en œuvre de cette technologie, évoque ces enjeux avec nous.

On parle de plus en plus de la révolution en lien avec l’émergence de la technologie blockchain. Où se situe la rupture avec ce que l’on connaît aujourd’hui ?

Aujourd’hui, on évoque le plus souvent la blockchain à travers les cryptomonnaies et plus particulièrement le Bitcoin. Les deux termes sont associés. Or, en regardant les choses un peu plus en profondeur, si la crypto est indissociable de la blockchain, cette technologie ne se résume pas aux actifs numériques. Elle permet de faire beaucoup plus de choses. Le fait est que, jusqu’à présent, ce sont surtout des instruments financiers qui ont été développés avec cette technologie.

En outre, les technologies sous-jacentes à la blockchain ne sont pas nouvelles. Elles étaient déjà existantes dans les années 80. C’est dans la manière de les assembler que la blockchain introduit une nouveauté. La véritable rupture réside essentiellement dans le mode de gouvernance, la décentralisation que permet la technologie.

En quoi cela constitue-t-il une réponse aux enjeux actuels ?

Quand on regarde l’évolution récente du monde numérique, elle se traduit par l’émergence des plateformes. Celles-ci présentent un intérêt d’autant plus important, qu’elles permettent d’apporter des services à un nombre considérable d’utilisateurs. Plus ils sont nombreux, plus les coûts techniques sont mutualisés, plus les interactions sont faciles et naturelles, et plus le service est attractif. Le revers de la médaille réside dans le pouvoir dont dispose l’opérateur de la plateforme qui agrège le plus de services et d’utilisateurs. Aujourd’hui, beaucoup dépendent de plateformes d’envergure mondiale, gérées de manière centralisée.

En quoi la gouvernance introduite au niveau d’une plateforme blockchain est-elle différente ?

Si la blockchain est une plateforme qui permet aussi d’agréger un grand nombre d’utilisateurs autour de services communs, elle leur permet d’en profiter sans qu’il n’y ait de concentration du pouvoir sur une seule entité. Les règles de gouvernance sont fixées au départ, inscrites par défaut dans de la blockchain. La plateforme et son fonctionnement sont ensuite soutenus par un ensemble d’utilisateurs partageant un intérêt commun. Dans les modèles traditionnels, notamment dans le domaine de la finance, les activités sont encadrées par la réglementation, qui implique de superviser les acteurs par exemple. On peut imaginer que les exigences réglementaires soient établies au niveau de la blockchain, avec la garantie que toute transaction ou fonction opérée au départ de celle-ci soit exécutée de manière conforme. Plus besoin de supervision de la compliance. Celle-ci s’opère « by design ».

Quels sont les avantages, pour les acteurs d’un écosystème, à adopter la blockchain ?

Ils sont nombreux. Aujourd’hui, dans le domaine financier, réaliser une transaction implique de faire intervenir de très nombreux acteurs, qui ont recours à une grande diversité de systèmes. L’écosystème est fragmenté. Chaque transaction prend du temps et les données sont copiées et transférées au travers de dizaines de systèmes hétérogènes. Le risque d’erreur, associé à l’intervention de chaque opérateur, demeure important. Avec la blockchain, on peut fédérer l’ensemble des acteurs autour d’une plateforme unique, qui garantit une traçabilité complète de l’ensemble du cycle de vie d’un actif, d’un service ou d’une opération. Un Euro numérique, s’appuyant sur la blockchain, constituerait une vraie révolution, puisque les échanges pourraient s’organiser et être suivis par l’ensemble des acteurs au départ d’une plateforme unique et ne dépendraient pas d’une multitude d’opérateurs.

Aujourd’hui, quels sont les freins à l’adoption de cette technologie ?

Il y en a plusieurs. L’un des freins rencontrés par les acteurs vis-à-vis de l’utilisation de la blockchain publique réside dans le fait qu’il n’y ait pas de garantie du niveau de service (SLA). C’est délicat car l’entière responsabilité du risque est portée par les utilisateurs finaux, donc les investisseurs par exemple. Or la réglementation est justement mise en place pour éviter ceci. Les acteurs qui tirent leurs revenus du modèle traditionnel, d’autre part, ne voient pas forcément l’intérêt d’engager une telle transformation. Enfin, il y a des enjeux liés à la réglementation. Aujourd’hui, en effet, les transactions opérées en cryptomonnaies s’effectuent en dehors de tout cadre réglementaire. Les investisseurs qui s’y risquent doivent avoir conscience qu’ils peuvent tout perdre. D’ailleurs, certains ont beaucoup perdu.

Luxembourg, d’ailleurs, se positionne en véritable laboratoire autour de ces nouveaux usages de la technologie, dans l’optique d’en tirer un avantage compétitif à long terme.

Comment se positionnent les régulateurs vis-à-vis de ces enjeux ?

Des réglementations voient le jour. On peut évoquer PSAN en France, l’agrément de prestataire de services sur actifs numériques, que l’on peut comparer au statut de PSF au Luxembourg, mais pour les acteurs de la crypto et en France. Au niveau européen, on peut aussi parler du chantier réglementaire MICA (Markets in Crypto-assets), qui introduit une définition des cryptoactifs et encadre leur développement et leur utilisation. L’idée est de reconnaître les acteurs de la finance qui s’appuient sur la technologie blockchain et les produits qu’ils proposent, pour soutenir l’innovation et favoriser l’adoption de ces nouvelles solutions. Il y a un réel enjeu à réguler cet environnement pour protéger les investisseurs, garantir la confiance.

Au niveau du Luxembourg, il y a une opportunité à mieux encadrer les acteurs, pour s’assurer du sérieux de ce qu’ils proposent. À l’image de ce qu’a fait la CSSF avec les PSF ou les PSF de support, on pourrait appliquer une reconnaissance aux acteurs crypto. Et plus largement, au-delà du secteur financier, reconnaître le sérieux des acteurs pourrait permettre à de nouvelles applications d’émerger. Luxembourg, d’ailleurs, se positionne en véritable laboratoire autour de ces nouveaux usages de la technologie, dans l’optique d’en tirer un avantage compétitif à long terme.

Comment voyez-vous évoluer le déploiement de la blockchain dans l’industrie financière ?

Je pense que c’est quelque chose d’inévitable et même de naturel. Il y a intérêt pour tout le monde à l’adoption de ces modèles, qui permettent de réduire les coûts et d’accéder à un niveau d’efficience supérieur dans de nombreux domaines. Le temps que cela va prendre, par contre, il est très difficile de le savoir. La récente chute de valeur au niveau des cryptomonnaies peut freiner certaines choses, donner des arguments à certains acteurs pour freiner l’adoption. Mais la cause profonde de cette chute n’est pas liée à la technologie blockchain, dont la pertinence n’est pas remise en question, mais à un manque de régulation du secteur couplé à une interdépendance entre les investissements cryptos et les investissements traditionnels.

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