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« Nous sommes encore à un stade précoce du développement de l’IA »
Brian Manusama, Research Director and Conference Chair Customer Experience and Technologies au sein de Gartner, prendra la parole lors du Gala Golden-i, le 31 mai prochain. Il nous livrera sa vision de l’intégration de l’intelligence artificielle au sein des entreprises. Au-delà des attentes, souvent trop élevées actuellement, il nous dit comment bien appréhender la technologie, en restant les pieds sur terre.
May 15, 2018
Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est au cœur de nombreuses discussions. Sans verser dans la science-fiction, que peut-on concrètement en attendre ?
C’est une question intéressante. Si l’on considère l’intelligence artificielle en tant que telle, le concept n’a rien de neuf. Nous y regardons depuis les années 60. Cela fait donc plus de cinquante ans que l’idée existe. Ces dernières années, on a toutefois constaté un emballement, principalement lié aux nouvelles possibilités offertes par la technologie. Le nombre de brevets déposés a triplé. Les investissements effectués par des venture capitalists dans ce domaine ont explosé. On dénombre aujourd’hui plus de 400 start-ups développant des activités au départ de l’intelligence artificielle. 6,2 milliards de dollars ont été investis sur ce créneau. Il y a un intérêt énorme et beaucoup d’argent en jeu. Cependant, nous n’en sommes encore qu’à un stade précoce du déploiement de l’intelligence artificielle. Il y a beaucoup d’engouement et d’attentes mais l’enthousiasme actuel précède sans doute une phase de désillusion. Dès à présent, il faut penser l’intelligence artificielle au-delà de la hype que l’on connaît pour le moment.
Justement, au-delà de la hype, que peut-on espérer très concrètement ?
L’intelligence artificielle va apporter beaucoup de bonnes choses, générer d’importants bénéfices dans le domaine commercial certainement, mais pas uniquement. Par exemple, aux Etats-Unis, on explore actuellement les possibilités offertes par l’intelligence artificielle en médecine. Watson, l’intelligence artificielle développée IBM, est utilisée pour définir de meilleures approches dans le traitement du cancer. C’est passionnant. Mais on se rend compte que la technologie n’est pas encore suffisamment efficiente. On peut espérer beaucoup de choses, mais il faudra encore du temps pour permettre à la technologie de gagner en maturité.
Et du côté du business, quels sont les cas d’usage les plus évidents à vos yeux ?
Il y a différentes utilisations possibles de l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, par exemple, on voit apparaitre sur le marché différentes plateformes intégrant une intelligence conversationnelle, une technologie aussi connue sous le nom de chatbot, qui sert l’amélioration de la relation client. Mais là encore, on en est à un stade précoce de maturité. C’est une technologie encore jeune et de niche. Des entreprises l’utilisent pour automatiser certains services, pour apporter des réponses à des questions simples, récurrentes, précises. Une intelligence artificielle conversationnelle ne peut pas encore mener des conversations comme nous le faisons en ce moment. D’autre part, des grands acteurs technologiques, comme Oracle, Salesforce ou encore Microsoft intègrent de l’intelligence artificielle pour améliorer les fonctions de base de leur plateforme afin d’en renforcer les capacités. L’enjeu est de créer de la valeur dans le service à la clientèle. C’est principalement ce que l’on voit pour le moment.
Le développement de l’intelligence artificielle prendra donc encore du temps ?
Oui, un certain temps. Créer de la valeur au départ des possibilités offertes par l’intelligence artificielle exigera de faire preuve de patience. Cela prendra encore probablement des décennies.
Ce constat établi, comment les entreprises doivent-elles considérer cette technologie ?
Il est important de retomber les pieds sur terre. Il faut prendre conscience du niveau de maturité de la technologie, en l’occurrence faible, de ses limites. Les entreprises doivent se recentrer sur la création de valeur business, d’un point de vue stratégique, pour mieux envisager les possibilités offertes par la technologie indépendamment des promesses portées par les promoteurs de l’intelligence artificielle, essentiellement des vendeurs de solutions. Il ne s’agit pas d’éviter la technologie, mais de l’intégrer d’un point de vue tactique. Il est trop tôt pour en faire un levier stratégique.
Comment mettre en œuvre correctement l’intelligence artificielle dans l’entreprise ? Quel conseil donneriez-vous à l’organisation qui va dans cette direction? Quelles précautions doivent être prises?
Avant toute chose, l’idée que l’intelligence artificielle va remplacer l’humain est tout simplement fausse. La technologie va avant tout le soutenir dans ses fonctions, l’aider à créer plus de valeur. Elle va libérer des collaborateurs d’une série de tâches. On ne peut pas nier que certains emplois disparaitront. Cependant, à terme, l’intelligence artificielle créera plus d’emplois qu’elle n’en détruira. De nouvelles fonctions, nombreuses, vont apparaitre pour maximiser la création de valeur que permettra l’intelligence artificielle.
Comment s’intègre-t-elle dans l’organisation ?
A la différence des technologies que l’on a connu jusque-là, qui étaient des outils dont se servait l’humain, l’intelligence artificielle doit être considérée comme un collaborateur. C’est un agent, un collègue avec lequel on travaille pour au final prendre de meilleures décisions. L’intelligence artificielle sera d’ailleurs le plus souvent affectée à des tâches répétitives ou sur à missions qui impliquent le traitement d’importants volumes de données, des analyses qui prendraient énormément de temps si elles devaient être menées par des humains. Au niveau de l’entreprise, il faut donc se demander comment rendre la collaboration entre l’humain et la technologie la plus efficiente pour être plus utile au client final.