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Les challenges du traitement des données à l’ère de PRIIPS
La réglementation PRIIPs vise à fournir aux clients retail des informations plus transparentes en matière de coûts et de performances relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance « PRIIPs ». Sa mise en œuvre, au-delà des aspects réglementaires, a des implications stratégiques pour les asset managers. En vigueur pour les produits AIF depuis le 1er janvier 2018, la réglementation est sujette à revue à la fin de l’année. Pour tirer des avantages de cette mise en conformité tout en répondant aux nouvelles exigences, il faut pouvoir mieux comprendre et utiliser la donnée. Chaque entité a en outre tout intérêt à développer une vraie culture réglementaire en son sein.
February 5, 2018
Depuis le 1er janvier 2018, la réglementation PRIIPs oblige tous les initiateurs de produits packagés AIF à établir un document d’information standardisé destiné à l’investisseur. Ce document, le Key Information Document (KID), sert à accroître la transparence, notamment autour des risques liés à l’investissement, des scénarios de performances attendues et des coûts associés. « Ces indicateurs sont établis à travers des calculs complexes détaillés dans la réglementation, explique Marc Marly, Leader de la Practice Regulatory au sein d’Alpha FMC Luxembourg, cabinet de conseil spécialisé dans le domaine financier. Pouvoir effectuer ces calculs implique notamment de collecter des données historiques et des benchmarks qui ne sont pas toujours disponibles, ou difficiles à traiter. Nous avons aussi pu constater, à travers les projets que nous avons menés et en discutant avec nos confrères sur le marché, que les résultats obtenus sont souvent biaisés et ne reflètent pas toujours les risques encourus par l’investisseur. »
Un large scope de données à collecter et traiter
De ce constat découlent de nouveaux défis stratégiques pour les asset managers. D’une part, la mise en conformité avec PRIIPs implique des coûts importants. « Le scope des données à collecter et à intégrer, comme par exemple l’historique des transactions sur trois ans, incluant notamment les leviers anti-dilution et les spécificités des fonds de fonds, implique de mettre en place une équipe transversale. Il faut rassembler des connaissances métiers, des asset servicers, des spécialistes IT capables de faire du data mining ainsi que des experts en matière de conformité réglementaire, commente Marc Marly. Au final, le coût d’implémentation semble disproportionné. Il faut déployer des efforts considérables pour obtenir une information ayant parfois un impact limité sur les données présentées aux investisseurs. Cette complexité nécessite de bien estimer la quantité de travail liée à la mise en conformité et à l’adaptation des procédures et des systèmes par rapport aux évolutions attendues de la réglementation. »
Manque de maturité
Car il semble effectivement que PRIIPs souffre encore de quelques défauts de jeunesse. Par exemple, les scénarios de performance du KID sont établis en tenant compte des performances des fonds au cours de ces deux dernières années. Or, les marchés ont présenté des performances particulièrement positives sur les exercices 2016-2017. Si bien que les indicateurs de performance, parfois même selon les scénarios défavorables, peuvent laisser penser à l’investisseur qu’il engrangera de l’argent quoi qu’il arrive. Or, l’on sait bien qu’aucun investissement n’est à l’abri d’un revers du marché.
« L’asset manager qui veut se mettre en conformité avec la réglementation se retrouve donc dans une situation embarrassante. Il est coincé entre l’obligation de respecter les formules établies dans la règlementation, et celle de communiquer des chiffres clairs et non trompeurs à l’égard de l’investisseur, mais qui peut être remise en cause par l’application formelle des calculs », commente Nathan François, Analyst au sein d’Alpha FMC Luxembourg.
Plus que réglementaire, l’enjeu est stratégique
En se mettant en porte-à-faux vis-à-vis de la réglementation, l’asset manager risque de se voir refuser l’accès à des plateformes de distribution. « Celles-ci exigent, en effet, que chaque asset manager soit en conformité avec PRIIPs. Les menaces de retrait des plateformes de distribution de fonds sont parfois mises à exécution », poursuit l’analyste. « A ce titre, PRIIPs devient un argument marketing à l’échelle du marché », assure Marc Marly. D’autre part, le KID, présentant parfois des informations éloignées de la réalité, influence l’investisseur dans ses choix et infléchit ses attentes. « Qu’adviendra-t-il, pour l’investisseur comme pour l’asset manager, si les performances finales sont bien en deçà de celles annoncées à travers le pire des scénarios ? Ou si les coûts calculés avec la formule s’établissent à 2% et que, en réalité, ils s’élèvent à 3,5% ? », interroge Nathan François.
Il arrive d’ailleurs que la formule définie pour évaluer les coûts de transaction génère un résultat négatif selon la méthode de calcul employée. « En cause, l’intégration de coûts implicites, rendant compte du différentiel de valeur d’un produit financier entre le moment où un ordre d’achat ou de vente est passé et celui où il est exécuté. L’investisseur ne peut pas profiter d’un service présentant des coûts réels, explicites, et recevoir un document lui indiquant qu’il gagnera de l’argent lié aux coûts de transaction», explique Nathan François.
Un bilan à la fin de l’année
Compte tenu de ses défauts de jeunesse et avant son élargissement aux fonds UCITS prévu pour 2020, la réglementation PRIIPs est donc appelée à évoluer. Une première revue de la part d’ESMA est attendue en fin d’année. En attendant, les asset managers doivent composer avec les éléments qu’ils ont. « Au final, bien appréhender ce challenge, en lien avec d’autres directives à implémenter, nécessite d’intégrer les enjeux réglementaires dans la culture de l’entreprise, conclut Marc Marly. Il faut pouvoir comprendre et anticiper les contraintes réglementaires pour mieux orienter sa stratégie. C’est un enjeu clé. L’asset manager, même s’il fait le choix de déléguer l’établissement de ces documents et indicateurs, reste responsable devant les autorités. C’est à lui de pouvoir démontrer la pertinence des données, documents à l’appui, et de justifier le choix de ne pas appliquer la formule établie parce qu’il privilégie l’esprit de la réglementation à son application formelle. »