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L’agilité : une approche des organisations sous l’axe des sciences du vivant
L’agilité, quand elle arrive dans une organisation, amène souvent avec elle un nombre de pratiques et de principes qui tranchent avec les méthodes de management classique. Les concepts de renforcement des individus, de responsabilisation, de développement personnel et même d’intuition et de créativité sont alors souvent évoqués.
September 1, 2016
L’agilité, quand elle arrive dans une organisation, amène souvent avec elle un nombre de pratiques et de principes qui tranchent avec les méthodes de management classique. Les concepts de renforcement des individus, de responsabilisation, de développement personnel et même d’intuition et de créativité sont alors souvent évoqués.
Ces nouveaux modes de penser et de travailler concernent également l’organisation des équipes et vont même jusqu’au fonctionnement de l’entreprise et à son positionnement au sein de son écosystème. Mais, en tant que coaches, nous n’avons (ou ne prenons), que rarement le temps d’exposer leur explication qui trouvent souvent leurs origines dans la sociologie, l’ethnologie ou la biologie même de notre espèce.
Quels sont les concepts et les raisons sous-jacentes à ces nouvelles pratiques aux niveaux individuels, d’équipes ou même organisationnels ?
Analyse par Grégory Nguyen – Coach Agile chez Agile Partner
La réhabilitation de l’équilibre rationnel / intuition des individus en bref
Les organisations, dans la recherche d’une rationalisation et d’une logique absolue, ont cherché à bannir l’aspect émotionnel de l’être humain au sein de l’organisation. L’occident a une longue histoire cartésienne avec une tendance à séparer ces dimensions dans notre lieu de travail nous ne sommes que des cerveaux ignorant leur corps et leur ressenti. Pourtant la culture des pays orientaux comprend depuis longtemps ce lien entre l’esprit, l’émotion, le corps et même l’environnement ou la nature.
Comme l’explicite Antonio DAMASIO dans « L’erreur de Descartes », nos processus de raisonnement sont étroitement liés à l’intégralité de nos régions cérébrales. Il expose notamment des cas de personnes ayant perdu la capacité de ressentir des émotions. Ces personnes, dont les facultés logiques étaient indemnes se retrouvaient incapables de faire des choix judicieux sur le long terme ou prenant en compte des contraintes et conséquences externes. Les derniers acquis des neurosciences aboutissent à cette conclusion « L’absence d’émotions et de sentiments empêche d’être vraiment rationnel ».
Le rôle de l’intuition dans les entreprises et le management a été reconnu après avoir été ignoré durant des décennies. Se fier à ses ressentis, ses pressentiments, ses intuitions reposent sur une série de mécanismes complexes d’analyses de situations, de mise en place d’analogies effectués au niveau subconscient. De plus en plus de formations de management et d’ateliers se concentrent sur le développement et l’utilisation de ces intuitions et ces pressentiments.
Des tailles d’équipes adaptées au néocortex humain
Si l’on s’intéresse à l’individu au sein de son équipe, l’une des questions les plus courantes que l’on pose à un coach Agile est : « Quelle taille dois-je donner à mes équipes pour qu’elles soient performantes ? ». L’honnêteté nous obligerait à répondre qu’il n’y a aucune taille qui peut rendre une équipe performante. Par contre il existe des tailles d’équipe qui peuvent dégrader considérablement les interactions en son sein. Une réponse qui est devenu un automatisme en agilité est : « Nous recommandons des équipes de 7 +- 2 ».
On peut trouver les explications de cette recommandation dans différentes directions :
- La première est qu’empiriquement, il a été démontré que les équipes de 5 à 9 personnes produisent de manière satisfaisante sans pour autant étouffer les interactions entre individus.
- La seconde est liée aux pratiques utilisées dans les méthodes agiles. Il devient inutile de faire un point pour se synchroniser avec 1 autre collègue en face duquel on travaille et échange en permanence. A l’autre extrême, un Daily Meeting en 15 minutes ou un planning poker sont inenvisageables avec des équipes de 16 personnes et plus. Ces différentes pratiques collaboratives ont été conçues pour permettre la synchronisation d’une équipe et favoriser les interactions entre ses membres. Cela suppose donc une taille d’équipe suffisamment importante pour que la synchronisation ne soit pas naturelle. Mais cette taille doit être suffisamment réduite pour permettre un sentiment d’appartenance à cette équipe.
- Une troisième trouve son origine dans les domaines de l’ethnologie et de la sociologie. Une règle communément admise est qu’un groupe se crée à partir de 3 personnes et se constitue à partir de 4. Ensuite pour pouvoir entretenir des relations entre chacun des membres, le groupe devra maintenir n x (n-1) /2 relations. Ce qui semble relativement simple pour un groupe de 5 personnes (10 relations) devient beaucoup plus compliqué lorsque le groupe atteint les 10 personnes (45 relations). Ceci est conforté par une théorie qui explique que le néocortex humain a progressivement évolué pour permettre de gérer naturellement les relations quotidiennes d’un individu au sein de son système premier : sa famille-tribu. En comptant 1 ou 2 ascendants, un couple principal des enfants et potentiellement des frères/sœurs, on retrouve ce chiffre autour de 7.
La systémique ou l’organisation comme un système vivant
Lorsque l’on commence à passer au stade des organisations, il existe deux grandes manières de considérer ces systèmes. La première consiste à la considérer en modèles logiques décomposables dans la lignée de Descartes. La seconde repose sur une approche basée sur une analogie avec les systèmes vivants.
La première approche a connu son apogée dans les années 70 – 90 avec les entreprises pyramidales et la décomposition sous formes de silos segmentés et indépendants. L’approche qui est de plus en plus utilisée dans les entreprises oppose à ce modèle d’une « machine à produire » le concept d’une organisation apprenante. Ce sont les notions que nous pouvons retrouver dans le livre « reinventing organizations » de Frederic LALOUX qui inspire tant d’entreprises depuis quelques années.
Comme l’énonçait l’anthropologue Gregory BATESON : « La source de tous nos problèmes d’aujourd’hui provient de l’écart entre notre façon de penser et le fonctionnement de la nature ». Le fonctionnement de nos entreprises repose encore trop sur des postulats mécaniques d’une autre époque : « Tous les systèmes vivants doivent avoir quelqu’un qui les contrôle ». Or ces modèles laissent progressivement la place à des entités distribuées et interdépendantes à l’instar de nos cellules ou d’un écosystème complexe.
D’une manière analogue, les organisations tendent à délaisser les modèles en silo et à s’appuyer sur des communautés et des réseaux de collaborations. Le modèle de l’écosystème est d’autant plus pertinent quand on considère les entreprises comme un système composé de cellules qui collaborent pour assurer sa survie et son confort. Ce système est lui-même en relation avec d’autres systèmes au sein d’un système plus gros qui appartiendra probablement lui-même à un méta système. L’étude de ces interactions inter et intra-système sont le cœur de la systémique et de méthodes d’analyse telle que l’« Agilité comportementale » comme elle a été formulée par Jérôme BARRAND.
On vous le dit !
Nous avons donc vu que la science commence à expliquer et formaliser ce que les individus ressentent et savent intérieurement depuis longtemps.
Nous commençons à réaliser deux points primordiaux pour l’évolution de nos organisations :
- Les entreprises et globalement les organisations doivent se construire de manière à maximiser l’exploitation de nos capacités biologiques et pas uniquement pour s’appuyer sur notre aspect purement logique.
- Nos organisations doivent évoluer pour devenir plus performantes et adaptées à leurs écosystèmes. Ces nouvelles organisations ne doivent plus se bâtir selon des modèles mécaniques créés par l’homme mais s’appuyer sur des modèles qui ont fait leurs preuves, évolués et affinés depuis des milliers voire millions d’années.
Notre société a évolué d’un modèle ou la production de bien en masse était la demande à un modèle dans lequel c’est la différenciation et la capacité à s’adapter d’une entreprise, son agilité, qui sont les facteurs les plus importants de réussite. Pour passer d’un modèle « machine à produire » à un modèle plus adapté aux enjeux de la nouvelle société de l’information, nos organisations ont tout à gagner à ne plus utiliser la seule force brute de travail des individus mais à exploiter pleinement leurs potentiels. Pour se faire, elles ont tout à gagner à s’inspirer du vivant, que ce soit parce qu’elles reposent sur des êtres complexes ou parce qu’elles sont, par analogie, des systèmes naissants, vivants, évoluant et dans certains cas mourants.