TRANSFORMATION & ORGANISATION

Guy Segalla revient sur la transformation ambitieuse de Nordea Bank

En janvier 2016, Nordea Bank arrivait au terme d’un ambitieux projet de transformation IT intégral, qui aura duré presque 3 ans (33 mois). La banque s’est dotée d’un tout nouvel environnement système, construit autour du core banking system de Temenos et de ses solutions Wealth Management (Temenos Wealth Suite). La nouvelle plateforme constitue la fondation d’une nouvelle banque, désormais armée pour relever les défis stratégiques, réglementaires et technologiques qui l’attendent. Grand entretien avec Guy Segalla, CIO de Nordea et élu CIO of The Year 2016 lors du dernier Gala Golden-i organisé par ITnation-Makana.

June 30, 2016

Guy SegallaEn janvier 2016, Nordea Bank arrivait au terme d’un ambitieux projet de transformation IT intégral, qui aura duré presque 3 ans (33 mois). La banque s’est dotée d’un tout nouvel environnement système, construit autour du core banking system de Temenos et de ses solutions Wealth Management (Temenos Wealth Suite). La nouvelle plateforme constitue la fondation d’une nouvelle banque, désormais armée pour relever les défis stratégiques, réglementaires et technologiques qui l’attendent. Grand entretien avec Guy Segalla, CIO de Nordea et élu CIO of The Year 2016 lors du dernier Gala Golden-i organisé par ITnation-Makana.

Par Sébastien Lambotte pour l’édition ITnation Mag Juin 2016

« Nous sommes désormais prêts à relever de nouveaux défis. »

Vous avez été honoré du titre de CIO of The Year lors du dernier Gala Golden-I. Qu’est ce que cela représente pour vous ?

« Il y avait une opportunité de faire un grand bond en avant. »

C’est un honneur que je mets directement en relation avec le travail que nous menons au sein de la banque depuis 2011. Comme j’ai pu le préciser lors de la remise du titre, en transformant l’ensemble du parc IT de Nordea Bank en 33 mois, nous avons littéralement créé une nouvelle banque. Ce prix vient surtout récompenser le travail des équipes qui ont participé à ce projet, celles de Nordea bien sûr, mais aussi celles de Temenos, de Deloitte et de Syncordis, qui nous ont accompagnés de la conception à la mise en œuvre du projet.

En mettant en œuvre ce projet de transformation, à quels défis voulait répondre Nordea Bank ?

Tout a commencé en 2011. A l’époque, les opérations s’appuyaient toujours sur des serveurs physiques. Il y avait une opportunité à virtualiser l’ensemble du parc pour répondre à des pics de besoins en ressources. En 2012, la production s’appuyait sur la plateforme AS400, avec un core banking system Olympic extrêmement customisé, et pour lequel une nouvelle migration allait s’imposer. La migration à laquelle on allait être contraint exigeait de mettre en œuvre un projet conséquent pour peu de bénéfices ressentis, notamment en matière de digitalisation de la banque. Le maintien de la plateforme AS400, en comparaison avec d’autres possibilités, nous est apparu comme peu opportun. Nous étions donc à un moment charnière. Le monde que nous connaissions devait changer. Il y avait une opportunité de faire un grand bond en avant, de nous mettre en ordre de marche pour rencontrer les défis de la digitalisation.

Quelles ont été les principales lignes conductrices de ce projet ?

La principale ligne conductrice a été le recours à des produits et des solutions standardisés. Par le passé, nous disposions de nombreux outils et applications développés en interne, que ce soit le CRM, le système e-banking ou encore celui dédié au management de l’information. Je suis d’avis que l’IT d’une banque de notre taille, dont le métier est le Private Banking, doit mettre des solutions « standards » à dispositions du business et non pas du développement interne qui n’est pas soutenable à durée.

Comment avez-vous appréhendé ce projet ?

La banque a commencé par passer en revue les acteurs du marché, ceux capables de nous proposer une solution de core banking system accompagnée de solutions en Wealth Management, afin de répondre à nos besoins de base. C’est sur Temenos et son core banking system T24 que notre choix s’est arrêté. Parce qu’il répondait le mieux à nos besoins et qu’il pouvait plus aisément s’interfacer avec la solution Triple’A, le portfolio management system de Temenos que nous utilisions déjà en interne. Au-delà, nous avons décidé de changer de CRM mais aussi nos outils de réconciliation, de lutte contre la fraude et le blanchiment (AML), de gestion de l’information (IMS), d’orchestration de toutes les opérations de la banque, d’e- banking… Toutes ces solutions nouvelles ont été implémentées autour de la suite T24 – Triple’A de Temenos.

Corrigez-moi si je me trompe, mais autant de changements appréhendés en un seul projet, c’est rare et risqué…

C’est l’une des raisons pour lesquelles on a d’abord pris le temps d’effectuer une profonde étude de faisabilité. De l’avis de nos partenaires, c’est en effet un des plus gros projets de transformation bancaire menés à l’échelle européenne.

Il était ambitieux pour la banque. L’était-il aussi pour vos partenaires ?

Oui, il impliquait de relever de nombreux challenges. Et notamment de mener un projet pilote autour de l’interfaçage entre T24 et Triple’A. T24 a souvent été mis en œuvre dans le cadre de projets retail, moins dans un contexte de Wealth Management. L’interface entre le core banking system et Triple’A, un pur outil de banque privée, n’existait pas encore. Nous l’avons bâti avec Temenos. Grâce à cette nouvelle interface, le client ou l’account manager peut accéder à toutes les informations et opérations dont il a besoin. Il peut d’une part consulter son compte, ses extraits, effectuer des transactions… Tout ce qui a trait à des opérations bancaires. Il dispose d’autre part de toute l’information relative à son portefeuille d’investissements.

Mais qu’est-ce qui vous a poussé à opérer un changement aussi radical, d’un seul coup, plutôt que de l’envisager par étapes successives ?

« Pour ce projet, nous avons voulu avant tout privilégier des solutions standardisées. »

Quand on doit opérer un tel changement, avec autant d’éléments, deux écoles s’opposent. La première est l’approche Big Bang, qui vise à tout changer d’un seul coup, avec un Go Live unique. La deuxième possibilité est de procéder en plusieurs phases. Le risque est moindre, mais le temps de mise en œuvre et les coûts qui y sont associés sont probablement plus importants. Nous avons envisagé les deux possibilités. Nous avons privilégié une approche Big Bang pour plusieurs raisons.

D’abord, il y avait un momentum à entretenir. Avec un délai ambitieux de 27 mois, il y a un vrai challenge et les équipes sont engagées à fond dès le début et tout au long de la mise en œuvre du projet pour relever le défi. Nous avons finalement mis six mois de plus… L’engagement des équipes a pu être préservé jusqu’au bout. D’autre part, remplacer des applications par petits morceaux, sachant qu’au final tout devait être remplacé, impliquait de développer des interfaces pour que l’ancien et le nouveau puissent communiquer. Des interfaces qu’il aurait fallu mettre à la poubelle une fois l’ensemble de la transformation accomplie.

Quelles ont été les clés de la réussite de ce projet ?

« C’est un des plus gros projets de transformation bancaire menés à l’échelle européenne. »

Dès le départ, il faut déterminer le plus précisément possible ce que va impliquer un tel projet. Cela demande une évaluation poussée des besoins et de la manière dont les solutions envisagées y répondent. On peut alors évaluer les efforts à mener, en termes de développement, de coûts, de temps, de ressources pour les mettre en place. On dispose alors d’une idée de l’envergure du projet. La suite Temenos est intégrée, mais elle devait être bâtie au sein de notre environnement, avec le développement d’interfaces vers l’extérieur, vers nos partenaires. Ces interfaces ont pu être réalisées avec X-Gen de Dion Global Solutions.

Le choix des partenaires est aussi essentiel. En la matière, nous avons été extrêmement exigeants afin de fixer les bonnes ressources impliquées sur le projet, en nous assurant des compétences et de l’expertise des personnes qui allaient effectivement intervenir dessus.

Il faut aussi que le scope soit clair, avec des objectifs bien définis. Avant d’entamer ce chantier, nous avons pris soin de définir un Target Operating Model. Nous avons identifié toutes les fonctionnalités et l’ensemble des processus de la banque, les applications, les flux existants. Le modèle intègre la vision et la mission de la banque. Ensuite, il était important de se projeter comme il faut par rapport à ce qui allait arriver durant les deux années de développement envisagées…

Que voulez-vous dire par là ?

Il faut pouvoir prévoir les coûts supplémentaires, notamment ceux liés aux nouvelles réglementations à mettre en œuvre. Prenons FATCA, par exemple. Dans le contexte de notre projet, il a fallu adapter l’environnement système existant, l’ancien, tout en veillant à ce que la nouvelle plateforme réponde aussi à ces nouvelles exigences. Le recours à des produits standardisés, dans un contexte réglementaire qui évolue rapidement, constitue un avantage par rapport à ces enjeux…

De quelle façon ?

Travailler avec des solutions standardisées et des partenaires actifs permet de disposer d’outils qui évoluent au rythme des releases proposés par leur éditeur. La société qui maintient la solution la fait évoluer, en l’adaptant par exemple aux nouvelles exigences réglementaires et technologiques. C’est la raison pour laquelle je pense qu’il est désormais important, non plus d’adapter les standards aux besoins du business, mais que le business adopte les standards pour mieux évoluer. C’est pour cela que nous avons voulu réduire au minimum les extensions et la customisation.

Comment, dans ce contexte, répondre aux besoins spécifiques du business ?

Une gouvernance forte au niveau du contrôle des demandes d’adaptation a été mise en œuvre. Quand on discute avec le business, il veut toujours le maximum. Ce qui est compréhensible. Cependant, le besoin doit être mis en balance avec la valeur. Sans quoi on risque de dévier trop de la solution standard. Pour chaque demande du business, une analyse fine est désormais réalisée. Elle considère si la demande répond à un besoin précis, la valeur de ce besoin, si celui-ci s’inscrit dans la logique de stratégie business, et le coût de mise en œuvre.

Comment vous êtes-vous organisé, au niveau des équipes internes, pour relever ce défi ?

« Il faut adopter les standards, et non plus les adapter. »

Il est très important de ne pas sous- estimer l’effort à fournir au niveau des ressources internes. Une des leçons que l’on a tirée de ce projet, est qu’il vaut mieux libérer full time des personnes attachées à la production ou au back- office pour travailler sur le projet, plutôt que partiellement. L’implication des personnes, qui connaissent les besoins du métier, qui ont une bonne compréhension de l’activité est essentielle. Mais si vous demandez à ces personnes de consacrer 50 % de leur temps au projet, vous vous rendez vite compte qu’ils ont souvent des tâches liées à des besoins de production les empêchant de s’y investir comme prévu. D’autre part, il faut pouvoir impliquer le business dès le début, mais en veillant à les solliciter aux bons moments, là où il a une réelle valeur ajoutée à apporter. C’est un enjeu important, notamment en termes de communication.

Qu’est-ce que la mise en œuvre de ce projet permet aujourd’hui à la banque ?

« Il faut pouvoir impliquer le business dès le début. »

Dans son envergure et sa complexité, la plateforme intégrée qui a été mise en œuvre, et que nous avons mise en production en janvier, ne constitue que la « fondation » d’un nouvel environnement informatique. Elle doit nous permettre de mieux relever les défis réglementaires et technologiques en lien avec la stratégie business de la banque. Je veux dire par là que la transformation envisagée n’est pas terminée, au contraire. Après la mise en production de la plateforme, nous nous sommes donné six mois pour la stabiliser, avant de la faire évoluer. Elle offre un fort potentiel en matière de fonctionnalités déjà présentes mais pas encore activées. A l’issue de la période de stabilisation, fin juin, nous serons en mesure d’activer progressivement des nouveautés.

Et concrètement, quels sont les avantages apportés par la nouvelle plateforme par rapport à l’ancienne ?

D’abord, au niveau du back-office, des fonctions qui par le passé étaient opérées manuellement son désormais automatisées. Nous disposons de nombreuses fonctionnalités dont nous ne pouvions pas profiter avant, comme l’e-banking payment intégré. Au niveau du front office, la gestion des tâches à opérer a été digitalisée. Elle est désormais gérée de manière plus automatique et plus dynamique. Chaque account manager, que nous appelons wealth partner, reçoit en temps réel les tâches et missions à effectuer, qu’elles concernent un dépôt, un crédit, des ordres à passer ou des informations clients à mettre à jour. Mais, comme je le disais, nous arrivons seulement au terme de la stabilisation, qui a permis de nous assurer du bon fonctionnement des opérations de base. Nous allons désormais pouvoir envisager de nouveaux développements au service du business et de nos clients.

Un autre aspect intéressant lié au projet réside dans le fait que la plateforme a été envisagée comme un hub central. Chaque transaction opérée au niveau d’une de nos succursales est « processée » depuis le Luxembourg. Cette construction nous a permis de réduire notre empreinte IT à l’échelle du groupe. La gouvernance s’en retrouve améliorée, la maintenance au niveau des succursales est moins lourde et moins onéreuse.

Au départ de cette nouvelle plateforme, quels sont vos projets à venir ?

« Cette plateforme ne constitue que la fondation d’un nouvel environnement IT. »

L’objectif était donc de disposer d’une plateforme qui nous garantit durablement de pouvoir adresser les défis réglementaires. Et il y en a beaucoup : MIFID II, Bâle III, CRS, IFRS 9… La liste n’est pas exhaustive. Ce sont ces problématiques qui vont principalement nous occuper dans les mois à venir. Bien sûr, il ne faut pas oublier les développements technologiques à opérer pour soutenir la stratégie business et les enjeux de transformation digitale de notre métier.

Ces défis étant plus enthousiasmants que les aspects réglementaires… quelles sont vos ambitions en la matière ?

En matière de digitalisation, le contexte de la banque privée n’est certainement pas comparable à celui d’une banque retail. Nos premiers projets pour soutenir la stratégie business s’adresseront avant tout à nos wealth partners, afin qu’ils disposent des outils adéquats pour mieux servir et conseiller les clients. On peut évoquer des outils leur permettant d’accéder directement aux informations, à l’état d’un portefeuille, à ses performances, pouvant générer en temps réel des propositions en matière de portefeuille d’investissements tenant compte du profil du client et de ses attentes. En la matière, il existe des fonctionnalités dans la suite de Temenos que nous pourrions rapidement activer. Un autre projet important a trait au mobile banking, avec le développement d’un site en responsive design.

Quelles sont les ambitions à ce niveau ?

« Les e-documents et la e-signature devraient faciliter l’on-boarding des clients. »

Il faut que nous permettions à nos clients d’accéder plus facilement à leurs informations, où qu’ils soient, quel que soit le device qu’ils utilisent. D’autre part, des projets relatifs à la digitalisation des documents clients devraient être envisagés. Recourir aux possibilités offertes en matière d’e- documents et d’e-signature pourrait par exemple grandement faciliter l’on-boarding des clients, mais aussi la maintenance de leurs informations sans devoir recourir au papier et à la poste.

Quel est l’impact technologique sur les attentes des clients de la banque privée ?

Les clients attendent plus de proximité avec leur conseiller bancaire, et ce, à travers l’ensemble des canaux digitaux disponibles. Cependant, je pense que la relation, la confiance qui existe entre
le client et le conseiller bancaire, reste un facteur primordial de satisfaction du client. Cela n’a rien de comparable avec la transformation qui s’opère dans la banque retail. L’humain reste au centre de la relation. Je ne pense pas que les robots vont pouvoir suppléer à cette relation, comme c’est déjà le cas dans la banque retail. Pour ce qui nous concerne, je pense qu’il y a opportunité à pouvoir offrir une expérience personnalisée à chaque client, sur base d’une réelle segmentation. Afin que,

au moment où il se connecte, il puisse directement disposer de l’information et des fonctions dont il a besoin, que celles-ci ne soient pas noyées dans un environnement trop complexe. Au-delà, il faut donner la possibilité au client de se mettre plus facilement en relation avec leur wealth partner, à travers des solutions de vidéo-conférence par exemple.

Quels seront, selon vous, les prochains tournants technologiques qui impacteront les métiers de la banque ?

« En ce qui concerne le cloud, nous n’avons pas trouvé de business-case réel pour notre environnement et nos besoins. »

Je suis de très près les développements qui s’opèrent au niveau de la blockchain. Si, aujourd’hui, on n’a pas de champ d’application direct, c’est une technologie intéressante qui a certainement un avenir, pour la sécurisation des transactions entre entités bancaires notamment. Dans un avenir proche, sur base des technologies utilisées actuellement, il y a un risque que les banques, les institutions de contrôle et de clearing ne parviennent plus à gérer les masses de données à traiter en temps réel, en ce compris

des transactions, qui augmentent considérablement avec de nouvelles applications mais aussi la multiplication des objets connectés. La blockchain constitue une réponse intéressante à ces enjeux.

Et au-delà de la blockchain ?

« En banque privée, l’humain reste au centre de la relation. »

Le Big Data et l’usage des médias sociaux ouvrent aussi de nombreuses possibilités, pour développer
un marketing plus ciblé, pour le développement de nouveaux services, pour anticiper les besoins des clients. L’expérience et le service client peuvent être considérablement améliorés grâce à une meilleure exploitation de l’information, que ce soit celle dont on dispose en interne ou celle qui nous parvient de l’extérieur. Mais les opportunités en la matière s’étendent bien au-delà de la relation client, avec des applications en ce qui concerne la détection de fraude, l’analyse de risque, le credit scoring. Il faudra aussi voir comment le cloud peut nous offrir des opportunités.

Aujourd’hui, le cloud ne résonne pas encore comme une évidence ?

« La blockchain doit aider les acteurs financiers à gérer la masse de données croissante à traiter. »

En ce qui concerne le cloud, nous n’avons pas trouvé de business-case réel pour notre environnement et nos besoins. Au-delà des considérations de coûts, on se rend compte qu’une migration vers le cloud risque de nous faire perdre en flexibilité.

Cette réalité s’applique aussi à la simple externalisation. Sans gains économiques, sans opportunité d’améliorer les performances, il n’y a pas d’intérêt actuel à migrer vers le cloud. Pourtant, l’aspect « pay as you go », sur papier, est intéressant, et pourrait être appliqué pour les besoins en développement. Pour le reste, nous ne disposons actuellement pas des garanties et de la flexibilité nécessaires.

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