Les crypto-monnaies et la blockchain auront largement animé l’actualité financière tout au long de l’année 2017. Entre hausses spectaculaires de sa valeur et corrections brutales, la volatilité du bitcoin a passionné la sphère financière. L’engouement suscité autour du bitcoin, la mère des crypto-monnaies, ne doit pas masquer les opportunités et défis pour le secteur financier liées aux monnaies virtuelles, à la technologie blockchain et aux nouvelles pratiques financières comme l’ICO (Initial Coin Offering).
A la fin de l’année 2017, l’Association Professionnelle de la Société de l’Information (APSI) évoquait ces enjeux lors de sa dernière conférence intitulée : « ICO, rise of the Internet of value ».
Au-delà de la bulle, une finance redessinée
Ces technologies pourraient en effet redessiner l’industrie financière en profondeur. « Au-delà de l’engouement autour du bitcoin, qui conduira inévitablement à des corrections de valeur, ou celui suscité par les ICO lancés par diverses institutions, c’est toute une crypto-économie qui va émerger », commente Chris Marcilla. Le spécialiste des enjeux relatifs aux virtual currencies dans le monde la FinTech luxembourgeoise compare la situation actuelle à l’excitation et aux dérives suscitées par l’Internet à la fin des années 90. Tout le monde se rue actuellement vers le bitcoin ou lève des fonds en recourant à l’ICO. Les valorisations réalisées suscitent de nouveaux appétits.
D’une part, les investisseurs n’investissent pas toujours en connaissance de cause. D’autre part, de nouveaux acteurs, aux intentions plus ou moins avouables s’engouffrent dans cet environnement encore peu encadré. Cela risque, en effet, de conduire à quelques désillusions, voire pire. « Dans les années 90, avec l’Internet, on a assisté à des dérives comparables. Cependant, après l’éclatement de la bulle, au début des années 2000, l’Internet a continué à générer de la valeur, durablement, au point d’être aujourd’hui indispensable à nos vies quotidiennes et au développement du business », comment Jean Diederich.
Un nouveau monde
Comprenez que, les conséquences liées à l’agitation actuelle autour des crypto-monnaies et des ICOs passées, l’ensemble des activités financières sont appelées à évoluer considérablement au départ des nouvelles possibilités offertes par la technologie. « On parle déjà aujourd’hui de tokenisation de l’économie, commente Chris Marcilla. Autrement dit, d’une finance qui se passe de toute institution centrale. Aujourd’hui, le bitcoin, premier token de l’histoire, n’est que l’arbre qui cache la forêt. L’économie qui se dessine avec ces changements sera très différente de ce que l’on a connu jusqu’alors. Demain, il n’est pas improbable que tout puisse être financé au moyen de tokens, qui pourront être facilement échangés, sans devoir passer par une institution centrale. »
Luxembourg, aux yeux des membres de l’ASPI, doit donc considérer le phénomène ICO avec sérieux et pragmatisme. « C’est un sujet brulant, reconnait Jean Diederich, président de l’APSI. Partout dans le monde, les états et les régulateurs du secteur financier se positionnent vis-à-vis de ces nouvelles pratiques, tantôt en se disant favorables, tantôt en s’y opposant fermement. » Le régulateur luxembourgeois, pour le moment, n’a pas souhaité prendre position se contentant de dire qu’il suivrait le cadre définit par l’ESMA. Au Luxembourg, beaucoup d’acteurs, craignant de voir le business se développer ailleurs, souhaitent aujourd’hui voir les autorités prendre une position plus claire et plus ouverte vis-à-vis de l’ICO. Pour eux, il faut inviter les acteurs désireux d’investir sur le créneau à le faire depuis Luxembourg. Des pays voisins, comme la France, avec de nouvelles et fortes ambitions financières, n’ont pas attendu l’ESMA pour se positionner. Le CSSF, pour rappel, avait elle-même adoptée une approche plus ouverte à l’égard des crypto-monnaies dès 2014, permettant le développement de nouveaux acteurs au départ de la Place.
Nouvelle concurrence entre juridictions
« Dans la finance, les pratiques nouvelles faisant appel aux crypto-monnaies et la technologie blockchain, comme l’ICO, donne lieu à une nouvelle concurrence entre juridictions. Le Luxembourg, vu son positionnement de leader du secteur financier, ne peut se permettre de manquer une telle opportunité », commente Jean-Diederich. « Chacun se positionne, qualifiant les tokens générés au départ de la blockchain comme des instruments financier d’une nature ou d’une autre, permettant à divers acteurs financiers d’explorer de nouveaux horizons », poursuit Chris Marcilla.
Pour certains, ces tokens sont considérés comme des titres, pour d’autres comme des unités de compte, ou encore des biens financiers d’une autre nature. Ils peuvent aussi être considérés comme des instruments de paiement. « Selon la définition qui en est donné, les exigences réglementaires s’y rapportant varieront. Dans ce contexte, s’il apparait difficile d’encadrer ces développements, on ne peut les ignorer pour autant. Si l’on n’adopte pas une position plus claire, le risque est de donner l’impression que ces développements ne peuvent pas passer par le Luxembourg », ajoute Jean Diederich.
Pouvoir bien encadrer ces nouvelles activités
La situation actuelle, il est vrai, peut paraitre chaotique. Ces nouvelles activités, le plus souvent, étant le fait de geeks plus que d’acteurs de la finance. Mais si de nouvelles classes d’actifs ou de nouveaux instruments financiers s’appuyant sur la blockchain voient le jour, il semble important de pouvoir les encadrer avec pragmatisme. Le régulateur luxembourgeois n’en manque habituellement pas et nous a habitué à une plus grande ouverture.
Préserver le leadership luxembourgeois
Pour le Luxembourg, il serait regrettable qu’un nouveau pan de l’économie financière, si l’on prend conscience qu’il pourrait constituer rapidement la norme, s’ancre et se développe durablement depuis une autre Place (pour peu que l’on puisse encore parler de centre financier à l’avenir, le fondement de cette nouvelle économie étant la décentralisation). « En tant que deuxième centre de fonds d’investissement au monde, nous sommes directement concernés par ces développements. Beaucoup d’acteurs, au Luxembourg et à l’étranger, souhaitent profiter des nouvelles possibilités d’investissement offertes. Il faut pouvoir accompagner ces changements de manière proactive, sans quoi, on pourrait perdre une partie de notre leadership, poursuit Jean Diederich. Notre propos n’est pas de dire à la CSSF comment encadrer ces activités. Nous ne sommes pas en position de le faire. Nous pensons cependant que nous devons capitaliser sur notre savoir-faire financier luxembourgeois, en matière de création, de structuration, de distribution des fonds d’investissement, avec le souci de ne pas manquer ce tournant et bien accompagner ces changements. »
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