« Il nous faut révolutionner l’expérience client »
Comment appréhender la révolution induite par les acteurs FinTech du point de vue de la banque traditionnelle ? Si les acteurs bancaires doivent s’inscrire dans un processus de transformation digitale, selon Marc Aguilar, expert de l’innovation au sein de BGL BNP Paribas, elles doivent d’abord adopter une nouvelle attitude avec l’ambition d’offrir à leurs clients de nouvelles expériences.
August 7, 2015
Comment appréhender la révolution induite par les acteurs FinTech du point de vue de la banque traditionnelle ? Si les acteurs bancaires doivent s’inscrire dans un processus de transformation digitale, selon Marc Aguilar, expert de l’innovation au sein de BGL BNP Paribas, elles doivent d’abord adopter une nouvelle attitude avec l’ambition d’offrir à leurs clients de nouvelles expériences.
Par Sébastien Lambotte pour l’édition ITnation Mag Printemps 2015
De nouveaux challenges pour la banque !
Face à l’émergence de nouveaux acteurs dans le domaine des FinTech, les banques dites « traditionnelles » doivent se transformer, au risque de subir de sérieux revers. « Le digital induit de nouveaux challenges pour la banque », commente Marc Aguilar. Le représentant de BGL BNP Paribas au sein du groupe de travail FinTech, instauré par le Haut Comité pour la Place Financière, entend les résumer. « Nous devons notamment parvenir à mieux servir nos clients à distance, en utilisant les outils technologiques existants, comme Skype, la eSignature, l’eArchiving, que ce soit pour ouvrir un compte ou pour tout autre service. Notre modèle de distribution traditionnel, organisé à travers un réseau d’agences, doit sans doute être revu en profondeur sans pour autant être complètement remis en cause. La banque doit parvenir à être paperless, à faciliter les échanges à partir de fichiers électroniques à valeur probante. Face à des clients mieux informés, qui comparent avec ce qu’ils peuvent trouver sur le net, la banque doit demeurer une référence de confiance, par l’engagement de sa responsabilité quant aux informations proposées. » Au-delà, la banque doit profiter d’autres développements technologiques. « Sous-tendant les monnaies virtuelles, la technologie “block chain” devrait permettre de réaliser des transactions instantanées, à l’avenir. Le digital, en outre, doit démocratiser l’accès aux services bancaires à travers le monde, avec la mise en œuvre de services et d’offres accessibles au plus grand nombre. » Si la banque ne change pas, d’autres n’hésiteront pas à occuper des segments sur lesquels elle n’est pas présente. Le géant de l’eCommerce Alibaba a utilisé ses réseaux pour créer un fonds d’investissement à travers lequel des millions d’utilisateurs ont pu investir à leur gré, petites et grandes sommes. Cet exemple, parmi de nombreux d’autres, est significatif des changements qui s’opèrent actuellement.
« Le legacy le plus important pour les banques traditionnelles réside plus dans leur attitude que dans la technologie »
Quels risques pour la banque traditionnelle ?
Il n’est pas évident d’évaluer la menace qui pèse sur l’activité bancaire traditionnelle. L’émergence de nouveaux acteurs peut-elle entraîner une rupture de modèle économique, à la manière dont Apple a impacté l’industrie musicale ?
« Si la crise de 2008 était liée à la vente de café, de livres, de musique ou de films, les acteurs responsables auraient disparu. La chute de Lehman Brothers a démontré que l’ébranlement du modèle bancaire et la mise en difficulté de ses acteurs, pouvaient entrainer un risque systémique majeur pour l’économie mondiale. Les banques centrales et les gouvernements sont donc venus au secours des acteurs. A ce titre, le secteur sera moins vulnérable vis-à-vis des menaces encourues qui pourraient émaner de nouveaux acteurs FinTech. Ces derniers, toutefois, offrant une nouvelle expérience client aux utilisateurs, prennent des positions et grappillent progressivement sur l’activité traditionnelle menée par les banques. Une perturbation révolutionnaire du secteur entraînerait des risques substantiels pour l’économie mondiale, commente Marc Aguilar. La menace est donc réelle. Mais la rupture ne sera pas aussi radicale que ce que l’on a pu observer dans d’autres industries. » La banque, cependant, doit prendre la juste mesure des changements et réagir en fonction.
Marc Aguilar relève encore que les solutions de paiements, de type PayPal par exemple, s’appuient toujours à un moment où à un autre sur des solutions ou processus portés par les acteurs bancaires traditionnels, un système de cartes de crédit, des comptes bancaires. « On constate, à ce niveau, un décalage entre des services offrant une expérience client effectivement exceptionnelle et les processus traditionnels sur lesquels ils s’appuient et qui ne répondent pas, de loin, aux nouvelles exigences. Les aspects inhérents à la régulation, à la gouvernance, à la connaissance du client restent très traditionnels. »
« Plus que jamais, la banque doit se demander où et comment elle crée de la valeur pour le client. »
Mais que veulent les clients ?
Refondre l’offre de la banque traditionnelle nécessite de partir des attentes des clients, de ce qu’ils vivent chaque jour à travers d’autres services, d’anticiper leurs besoins à venir. « Les clients veulent profiter des services en étant mobiles, à tout moment. Ils souhaitent plus de transparence eu égard aux produits et services proposés ainsi qu’une qualité et des prix qui résistent à la comparaison, commente le responsable de BGL BNP Paribas. Ils veulent aussi profiter de services en temps réel, de réponses rapides, d’une réelle réactivité. Dans ce contexte, plus que jamais, la banque doit se demander où et comment elle crée de la valeur pour le client. » Répondre à cela n’est en rien évident. Par exemple, le mobile payment, considérant les flux portés par les acteurs émergents, n’est pas directement rentable. Les modèles derrière les solutions innovantes, portés par de nouveaux acteurs, s’appuient aussi sur une valorisation des informations ayant trait à la connaissance du client, ses habitudes d’achats, ses goûts, ses besoins réguliers… et permettant un meilleur profiling à des fins marketing. Mais est-ce bien là le rôle de la banque ?
Les enjeux d’une transformation digitale de la banque
« Le legacy le plus important pour les banques traditionnelles réside plus dans leur mentalité et attitude que dans la technologie », explique Marc Aguilar. Pendant longtemps, le secteur bancaire s’est contenté de définir les services et produits bancaires supposés répondre aux besoins de la clientèle, alors que le mode de consommation change radicalement et par conséquent les instruments financiers doivent s’adapter.
« Avec le digital et la technologie, l’approche a changé. Aujourd’hui, il nous faut révolutionner l’expérience client. Le client digital s’habitue à avoir une réponse instantanée, transparente, à toute heure. Les acteurs bancaires doivent intégrer dans leur stratégie l’enjeu principal, celui d’être aux côtés du client de manière permanente, de l’accompagner dans ses émotions, et de garantir que les services financiers soient intégrés sans rupture dans les processus économiques et/ou de consommation. »
« Le Luxembourg pourrait jouer un rôle majeur dans le développement de la technologie bitcoin »
Trouver sa place dans un nouvel environnement
Parvenir à appréhender ces enjeux exige des acteurs bancaires de s’inscrire dans un processus de profonde mutation. « Nous n’avons pas le choix. Tout en reconnaissant que cela n’aura rien d’évident, il faut réadapter les modèles traditionnels. C’est vital. Si nous restons dans ce modèle traditionnel, sans proposer à nos clients des services, une expérience, un parcours correspondant à leurs attentes, nous perdrons progressivement des parts de marché. Relever ce défi nécessite un changement de mentalité, une réflexion sur les besoins et attentes à venir du client vis-à-vis de sa banque. Il nous fait voir ensuite comment les technologies actuelles, entre le mobile, permettant de l’accompagner partout, le social, de maintenir le lien, le Big Data, pour mieux le connaître, et le cloud, pour assurer la disponibilité des services, peuvent nous aider à mieux nous positionner. La technologie, dans ce contexte, n’est qu’un moyen pour atteindre cet objectif, pas une fin. »
Pour opérer sa mutation, la banque traditionnelle peut s’inspirer de la manière dont l’industrie pharmaceutique est parvenue à évoluer en BioTechs, en analysant les jeunes acteurs créatifs et porteurs d’innovations, en les accompagnant, en les rachetant.
En 2008, 930 millions de dollars ont été ainsi investis dans des acteurs émergeants des FinTech. En 2013, ce montant s’élevait à 2,97 milliards de dollars. « Avant de s’inscrire dans un tel modèle, de l’ajuster, il faut d’abord se demander si on est prêt à tester, à apprendre, à prendre des risques. Derrière, il faut savoir comment bouger dans cet environnement changeant, à quel moment, avec quels acteurs innovants… La banque, au-delà de l’analyse du risque financier, qu’elle est censée maîtriser, doit apprendre à mieux évaluer les composants d’innovation. »
Et le Luxembourg dans tout cela ?
Les acteurs de la banque au Luxembourg s’inscrivent pour la plupart dans des groupes internationaux, qui pensent l’innovation, le changement à une échelle internationale. « Par exemple, BGL BNP Paribas, au sein du groupe BNP Paribas, profite d’une réelle force d’innovation, poursuit Marc Aguilar. Mais le Luxembourg, plus généralement, en misant sur des niches d’expertise pourrait aussi conduire l’innovation dans le secteur des FinTech. Je pense que le Luxembourg, avec sa capacité à rassembler les acteurs dans le but de mettre en place un cadre juridique et légal favorable à l’émergence de nouvelles activités, pourrait jouer un rôle majeur dans le développement de la technologie bitcoin. Derrière, en se positionnant comme Trusted Hub en Europe, il pourrait jouer un rôle dans la gestion des données et des opportunités liées au Big Data. Enfin, les technologies inhérentes à l’archivage et à l’octroi d’une valeur probante à divers documents peuvent aussi être à l’origine de nouvelles opportunités. »
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