Vont-ils tuer la neutralité du net en Europe ?

La Commission Industrie Recherche et Energie (ITRE) du Parlement Européen, devait adopter un avis déterminant sur le règlement "pour un Continent Connecté" proposé par la Commission européenne. Finalement repoussé au 17-18 mars au lieu du 24 février, la Quadrature du net en profite pour poursuivre sa campagne active pour faire pencher le débat et ne pas enterrer la neutralité du Net.

March 3, 2014

La Commission Industrie Recherche et Energie (ITRE) du Parlement Européen, devait adopter un avis déterminant sur le règlement “pour un Continent Connecté” proposé par la Commission européenne. Finalement repoussé au 17-18 mars au lieu du 24 février, la Quadrature du net en profite pour poursuivre sa campagne active pour faire pencher le débat et ne pas enterrer la neutralité du Net.

Au Luxembourg, le nouveau gouvernement avait annoncé qu’il suivrait la proposition de règlement européen mais qu’il n’hésiterait pas à prendre une initiative législative nationale. Son engagement prévoyait la séparation entre les opérateurs de réseaux de distribution et les autorités d’autorisation, qui sont parfois les mêmes au Luxembourg, pour éviter un internet à deux vitesses.

Seule occasion de préserver la neutralité

Ce vote est une occasion unique d’arriver à l’application véritable et inconditionnelle de la neutralité du net en Europe, pour un accès à internet universel et équitable. La vice-présidente de la Commission Européenne Neelie Kroes, est à la base du texte “établissant des mesures relatives au marché unique européen des communications électroniques et visant à faire de l’Europe un continent connecté”.

Malheureusement, il pourrait être menacé par la rapporteure en charge du dossier, Pilar Del Castillo Vera, qui ouvre plutôt de nombreuses exceptions accordées aux opérateurs télécoms. Si les libéraux (ALDE) et les sociaux-démocrates (S&D) ne défendent pas les droits des utilisateurs, l’internet tel que nous le connaissons sera mort. À moins que les citoyens n’agissent en saisissant leurs eurodéputés clés.

Sur quel pied danser ?

Cet avis est en discussion depuis des années sans avoir encore vu le jour. Cependant, Neelie Kroes jongle en faisant tantôt la promotion de la liberté des FAI, tantôt en promettant d’imposer le respect de la neutralité du net aux FAI européens. Entre “une garantie d’accès à l’internet plein et ouvert, sans aucun blocage ou bridage de services concurrents”, et “une plateforme ouverte basée sur la concurrence, la transparence d’innovation, et le choix”, on ne sait plus sur quel pied danser.

La Quadrature du Net crie à la non protection du droit à internet qui pourrait être facturés selon les besoins mais surtout, à la discrimination qu’il y aurait entre les services, au détriment des inventions futures qui ne seront pas considérées prioritaires sur le réseau. En somme, les grands qui sont toujours les mêmes devant, et les petits toujours derrière étant donné les parts de marché Google, Facebook et autres géants.

Service spécialisé = service prioritaire

Ce texte tant attendu pourrait signer la fin de l’internet neutre que l’on connaît et établir des services prioritaires (dits “services spécialisés” ou encore “services gérés”). Leur mise en avant sera entre les mains des opérateurs qui jugeront lesquels sont importants pour les usages concernés, ou plutôt lesquels profitent à leurs intérêts commerciaux. Car ils pourront très bien être payés par les éditeurs de services pour les faire passer en priorité même lorsque ces derniers sont déjà proposés (ou ont déjà leur équivalent) sur le réseau internet (par exemple Youtube encore plus avant lors des recherches de vidéos).

Le texte qui se voulait clair crée en fait une suite d’exceptions possibles (amendement 61, article 23):

  • « Les utilisateurs finaux sont libres d’accéder aux informations et aux contenus et de les diffuser, d’exécuter les applications et d’utiliser les services de leur choix par l’intermédiaire de leur service d’accès à l’internet » : jusqu’ici les FAI n’entraient pas en compte dans le choix des services sur internet.
  • « Afin de permettre la fourniture de services spécialisés aux utilisateurs finaux, les fournisseurs (contenus, applications, services et communications électroniques) sont libres de conclure des accords entre eux pour l’acheminement du trafic ou des volumes de données y afférents sous la forme de services spécialisés d’un niveau de qualité de service défini ou d’une capacité dédiée » : la qualité générale des services d’accès à l’internet pourrait cependant être atteinte et la nature de ces accords n’est pas encadrée.

LIBE et la Quadrature du Net contre-attaquent

La commission des Libertés Civiles (LIBE, France) avait proposé une série d’amendements déposés par les Verts, les S&D (Socialistes et Démocrates) et l’ADLE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe), pour une définition plus exigeante de la neutralité du net. Cette définition prévoit qu’un “service spécialisé” faisant l’objet d’une préférence technique ne soit “pas commercialisé ou largement utilisé comme produit de substitution à un service d’accès à l’internet”. Il s’agit d’autoriser par exemple que les FAI fassent passer en priorité les flux nécessaires à une opération gouvernementale, mais pas à un service de streaming.

La Quadrature du Net reste dubitative, et persuadée que c’est plutôt vers un compromis que penchera la commission ITRE et non une totale prise en compte des corrections ajoutées par la LIBE. Pour elle, ce texte dégrade certains types de trafics au détriment d’autres types de services ou applications : par exemple, le streaming de vidéos en HTTP serait délivré normalement, alors que le streaming en P2P serait handicapé.

La neutralité déjà violée

L’annonce la semaine dernière du deal entre Netflix, le géant de la TV en ligne et Comcast, le géant du câble US ne respecte pas la neutralité du Net. A première vue, c’est un accord de peering payant qui supprime simplement l’intermédiaire Cogent, un acteur du transit, entre Netflix et Comcast. Même si Comcast a déclaré ne pas faire de discrimination sur son réseau, reste à voir si les clients Comcast ont un meilleur accès à Netflix que les autres via ce nouvel accord.

Aussi, cet accord intervient seulement 10 jours après que Comcast ait accepté d’acheter Time Warner Cable 45 milliards de dollars, une acquisition qui ferait de Comcast le fournisseur de câble de près d’un tiers des foyers américains. Les régulateurs fédéraux sont censés scruter si cet accord contrecarre la concurrence entre les fournisseurs de câble et d’Internet.

En exemple frontalier, l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (l’ARCEP), avait constaté l’an dernier le même problème de non respect de neutralité entre l’opérateur Free et Youtube. Ce qui laisse présager que bien d’autres gros acteurs de l’accès de par le monde vont aussi vouloir négocier pour avoir le meilleur accès ou pour se faire favoriser.

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