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La finance verte, outil marketing ou levier du changement ?

Le Luxembourg est l’une des principales places financières au monde. Il ne pouvait donc pas passer à côté d’un phénomène qui se constate partout : le verdissement de la finance. Fonds ISR, obligations durables, prêts verts… : toutes les formes d’investissement sont concernées. Si certaines intentions sont bonnes, il reste toutefois du chemin à parcourir pour que la finance verte sauve le monde. 

September 7, 2020

La finance verte est un phénomène global, qui a le vent en poupe depuis de nombreuses années. On le comprend facilement en considérant que la génération qui arrive aujourd’hui au pouvoir ou à la tête d’importantes fortunes a été baignée, dès la naissance, dans une atmosphère d’inquiétude par rapport au changement climatique et aux dommages environnementaux. Les nouveaux investisseurs souhaitent donc que leurs placements financiers contribuent à un monde meilleur, plus écologique, durable et socialement responsable. Pour empêcher, peut-être, la grande catastrophe qu’on leur prédit depuis toujours. 

Une croissance mondiale, un succès local

Les chiffres les plus faramineux circulent pour objectiver la croissance de la finance verte au cours des dernières années et dans les années à venir. Les obligations vertes – ces sortes de prêts souscrits principalement par des États ou des organisations supranationales – représenteraient ainsi 1.000 milliards de dollars en 2020. Et leur évolution serait exponentielle puisque, rien qu’en 2019, plus de 200 milliards d’obligations vertes ont été souscrites. Les fonds ESG, quant à eux, ont attiré pas moins de 33 milliards de dollars en 2019. Et ce n’est pas fini puisque, selon certains observateurs, 20.000 milliards d’actifs devraient adopter des stratégies ESG (« environnement, social, de gouvernance ») sur les 20 prochaines années. 

La place luxembourgeoise n’a pas raté le train de la finance verte, au contraire. En 2007, c’est même à Luxembourg qu’a été cotée la toute première obligation verte de l’histoire, émise par la Banque européenne d’investissement (BEI). Le Luxembourg Green Exchange, une bourse entièrement dédiée aux valeurs vertes a ensuite vu le jour. Aujourd’hui, 256 obligations vertes y sont listées et 25 fonds durables y sont cotés. En Europe, Luxembourg occupe donc le haut du panier des places financières vertes, avec 121,2 milliards d’obligations vertes émises à la fin 2018, soit 2,5 fois plus que Paris et 5 fois plus que Francfort. Enfin, selon le Global Green Finance Index publié par Z/Yen et Finance Watch, Luxembourg se classe à la 4e position du classement des places boursières les plus vertes au monde.

Une véritable nébuleuse

Le Grand-Duché est donc plutôt bien placé dans cette nouvelle course au verdissement de la finance. Il est d’ailleurs doté d’une série impressionnante de structures liées à cette nouvelle forme de finance : la Climate Finance Task Force lancée par l’État luxembourgeois et des acteurs privés, LuxFLAG, l’agence luxembourgeoise de labellisation qui propose des standards adaptés à la finance verte, la Climate Finance Platform, fruit d’un partenariat entre la Banque Européenne d’Investissement et le gouvernement luxembourgeois, le Climate Finance Accelerator, le Forestry & Climate Change Fund, etc. 

Cela dit, toute cette nébuleuse, ici comme ailleurs, n’est pas de nature à clarifier ce que l’on entend, de façon très générique, par un investissement vert ou durable. C’est d’autant plus le cas pour un petit investisseur lambda qui fait confiance à son banquier pour placer ses économies dans un fonds qu’il pense durable. Dernièrement la Radio Télévision Belge Francophone (RTBF) a ainsi mené une enquête pour analyser les différentes sociétés dans lesquelles investissait en réalité une personne qui plaçait de l’argent dans les fonds verts proposés par différentes banques présentes en Belgique. Les résultats étaient édifiants. Ainsi, les fonds ISR (« investissement socialement responsable ») proposés par ING, Belfius, BNP Paribas ou KBC comprenaient tous des sociétés pétrolières comme Total, BP, Exxon Mobil ou Royal Dutch Shell, entre autres. De quoi refroidir considérablement l’enthousiasme de l’investisseur prêt à sauver le monde grâce à ses placements. 

Mais de quoi parle-t-on ?

Il ne faut évidemment pas généraliser et chaque investisseur, s’il souhaite vraiment que son placement ait un impact, doit toujours vérifier avec attention les informations qui lui sont communiquées concernant le fonds dans lequel il souhaite investir. Ceci étant dit, pour éviter toute confusion et toute désillusion, il faut aussi pouvoir identifier clairement de quoi on parle. Ainsi, les fonds ISR ne sont pas destinés à financer des projets qui, en eux-mêmes, doivent produire un effet positif sur l’environnement. Ils s’attachent plutôt à soutenir des entreprises qui, en plus d’être profitables, mettent en place des pratiques respectant des critères ESG. Il peut par exemple s’agir de politiques de réduction de la consommation d’eau ou des émissions de CO2 de la société, de mesures visant à améliorer le bien-être du personnel, ou encore de pratiques donnant une plus grande transparence à la gouvernance de l’entreprise par exemple. Vous pouvez donc très bien, comme le révélait l’enquête de la RTBF, financer une société pétrolière en plaçant votre argent dans un fonds ISR. 

Pour financer directement un projet profitable à l’environnement, il vous faudra plutôt passer par un fonds dit « d’impact ». Ceux-ci sont destinés à financer un ou plusieurs projets clairement définis, et à la visée sociale, écologique, etc. Au Luxembourg, le Forestry and Climate Change Fund mène par exemple des projets de reforestation au Costa Rica et au Nicaragua qui profitent à la fois à l’environnement et aux populations locales, tout en offrant un rendement intéressant aux investisseurs. L’autre option est d’opter pour des obligations vertes qui, elles aussi, sont plus ciblées sur certains types de projets, avec une plus grande transparence.

Du rendement ou des valeurs

Évidemment, opter pour un fonds d’impact ou une obligation verte ne vous offrira pas le même rendement qu’un fonds ISR proposé par votre banque. En termes de rendement, ceux-ci n’ont en effet quasiment rien à envier à un fonds traditionnel puisqu’ils peuvent atteindre les 10 %. Ceci étant dit, si l’appât du gain est pour vous moins vif que la volonté de laisser votre argent avoir un impact sur des sujets qui vous tiennent à cœur, vous pouvez alors opter pour les fonds d’impact ou les obligations vertes. Les possibilités d’investissement de ce genre, à partir du Luxembourg, sont en effet nombreuses. 

On le voit, il y a certainement une part de marketing dans cette finance verte qu’on nous présente souvent comme une véritable révolution à même de faire changer le monde. Cela dit, il est vrai que ce mouvement vous offre déjà des solutions si vous souhaitez que vos économies aient un véritable impact. L’évolution des mentalités au niveau global, la volonté de faire reposer l’évolution de nos sociétés non plus sur la seule croissance monétaire, mais aussi sur le développement durable du bien-être et de la qualité de vie du plus grand nombre, semblent par ailleurs être des tendances de fond. Demain, plus de leaders et de grands investisseurs devraient sans doute partager cette vision. Et le grand public pardonnera de plus en plus difficilement une entreprise qui s’assoirait sur le développement durable. 

 

[toggle title =”Faire confiance aux labels, faute de mieux“]La transparence n’est pas encore totale au sein de nombreuses institutions bancaires qui proposent des investissements verts, d’autant que les textes légaux encadrant cette dénomination tardent à être validés. Pour avoir le détail des sociétés financées et savoir exactement quelles sont leurs différentes activités, c’est parfois le parcours du combattant. C’est la raison pour laquelle différents labels ont vu le jour pour certifier du caractère vert ou durable des fonds disponibles. Au Luxembourg, c’est LuxFLAG qui tient ce rôle. L’organisation labélise aujourd’hui 158 produits d’investissement représentant 65 milliards d’actifs : 21 obligations vertes, 9 fonds environnementaux, 3 fonds climatiques, 84 fonds ESG, 32 fonds microfinance et 9 ‘Applicant Fund Status’. LuxFLAG a enregistré une croissance de 37 % du nombre de produits d’investissement labellisés depuis juin 2019.[/toggle]

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