TRANSFORMATION & ORGANISATION

Digital et emploi : quelle est l’ampleur de la menace ?

Opérer la transformation digitale de l’économie exige de faire évoluer les compétences sans attendre. Des fonctions vont disparaître, d’autres devront être créées. Mais la société est-elle prête pour de tels changements ?

March 21, 2016

Claude StrasserOpérer la transformation digitale de l’économie exige de faire évoluer les compétences sans attendre. Des fonctions vont disparaître, d’autres devront être créées. Mais la société est-elle prête pour de tels changements ?

By Sébastien Lambotte for ITnation Mag December 2015

« Aujourd’hui en Europe, 40% des postes vacants le restent par manque de compétences. »

La digitalisation galopante de la société à laquelle nous assistons est- elle de nature à prendre nos emplois ? La question mérite d’être posée. Des études, à géométrie variable, sont de nature à alimenter les craintes. Par exemple, celle menée par le Dr Michael A. Osborne, de l’Université d’Oxford, estime que près de la moitié de la force de travail actuelle sur le marché US serait menacée par la digitalisation… ING, récemment, a transposé cette étude au contexte grand-ducal, avec des conclusions du même ordre. Bien sûr, si la digitalisation devait rendre obsolètes certaines fonctions actuelles, elle a aussi besoin, pour se réaliser, de nouvelles compétences.

47% de la population manquerait de compétences technologiques

À l’horizon 2020, à l’échelle de l’Union européenne, 90% des emplois exigeront de disposer de compétences numériques. « A l’avenir, 75% de la valeur créée dépendra de notre capacité à transformer notre industrie et nos métiers », a notamment précisé John Higgins, Director General of DIGITALEUROPE, lors d’une récente conférence organisée dans le cadre de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne. Considérant que 40% des postes vacants le restent par manque de compétences, il faut mieux envisager le voyage entre l’enseignement et l’emploi, entre le monde de l’éducation et l’entreprise. » Or, aujourd’hui, 47% de la population manquerait de compétences technologiques. L’effort à fournir, si l’on veut relever l’indispensable défi de la transformation de l’économie, est conséquent.

Pas d’autres alternatives que la numérisation

Cette conférence intitulée « Digital economy : Let’s be ready for the news
jobs ! » a permis d’envisager une juste transition entre ce qu’offre le marché de l’emploi actuel, les besoins d’une économie européenne qui s’appuie
sur le digital et les enjeux sociaux afférents à cette transformation. Entre craintes et opportunités, le débat est complexe. « Si nous pensons que nous ne devons pas transformer notre économie par crainte de perdre des emplois, il faut
se dire que d’autres réaliseront cette transformation, nous emmenant vers une impasse en matière de compétitivité. Il est donc important que nous nous inscrivions dans ce processus de transformation, en comblant notre retard sur certains et en saisissant les opportunités qu’il présente, à la fois pour l’économie et pour l’emploi
à long terme », a précisé Xavier Bettel, Premier ministre luxembourgeois, en guise d’introduction à cette conférence.

Les opportunités doivent donc prendre le pas sur les inquiétudes suscitées. La transformation est en cours. Elle est inéluctable. La technologie est omniprésente dans nos vies et les innovations que sont l’impression 3D, l’intelligence artificielle, la robotique, le Big Data, demain, impacteront plus encore nos vies et, particulièrement, l’organisation du travail. Le monde de l’entreprise, dans sa grande généralité, est conscient des opportunités qu’apportent les évolutions technologiques et souhaitent, le plus rapidement possible, pouvoir en profiter. Elles révolutionneront très certainement l’organisation du travail, les fonctions utiles au sein de l’entreprise et sans doute le modèle social européen lui-même. Pour s’en persuader, il suffit de considérer les débats suscités par l’arrivée d’Uber en Europe.

Cette société qui offre des services de mobilité, de manière disruptive et en concurrence avec les acteurs traditionnels d’un secteur pourtant très réglementé, ne constitue qu’un petit aperçu des changements qui nous attendent. Cela dit, s’il faut s’inscrire dans cette économie digitale, il y a de nombreux moyens de le faire.

Placer l’humain au cœur de la transformation

« Finalement, la fonction de facteur est peut-être moins menacée que celle de spécialiste dans le domaine de la sécurité informatique. »

Le défi actuel est de pouvoir anticiper les changements, afin de mieux appréhender la transformation de la société et de l’économie. Il faut aujourd’hui pouvoir mieux prendre en considération les impacts sociaux, touchant directement à l’humain et à son bien-être. « Nous devons nous demander quel sera le rôle de l’humain au cœur de cette future économie, a précisé Andrea Nhales, Ministre allemande du Travail et des Affaires sociales. Nous devons être actifs vis-à-vis de ces enjeux, pour en saisir les opportunités, mais sans oublier de penser à l’humain. » Sur ce sujet, les partenaires sociaux doivent se mobiliser et mieux dialoguer, sans attendre. La transformation, en effet, ne pourra pas s’opérer sans qu’il n’y ait une entente de l’ensemble des parties prenantes. C’est aux partenaires sociaux, avec les autorités, de dessiner la société numérique dans laquelle nous souhaitons évoluer, en évitant à tous de se retrouver trop emprisonnés par la technologie.

Tout va changer

S’il est difficile de prédire dans quelle mesure la digitalisation créera ou détruira de l’emploi, on sait qu’elle exigera d’adapter les compétences aux besoins du marché. Les études menées en la matière révèlent une tendance à la polarisation de l’emploi, avec une préservation de postes très qualifiés ou spécialisés et d’autres ne nécessitant que peu ou pas de qualifications. Les emplois se trouvant entre les deux étant plus sensibles, ou plus à risques. Les emplois créatifs ou ceux dédiés aux soins de santé seront moins touchés que d’autres, même s’ils seront eux aussi amenés à évoluer. « Tout va changer : la manière dont les médecins travaillent, les métiers au sein des hôpitaux, la technologie qui supporte l’activité », commentait notamment le Dr Michel Nathan, General Director du Centre Hospitalier Emile Mayrisch, précisant que pour bien appréhender ce changement, il faut avant tout bien considérer la valeur qui est créée. « La technologie va nous aider à mieux suivre le patient, à tout moment, bouleversant très certainement nos organisations. » Dans ce contexte, en Allemagne, le métier de secrétaire médicale, par exemple, a pratiquement disparu.

Mais c’est sans doute Claude Strasser, directeur général du groupe Post qui, invité à commenter le changement, illustrait le mieux cette polarisation, relativisant cependant les craintes nourries par les uns et les autres. « Cela fait des années que l’on dit que le métier de facteur est menacé, précise-t-il.

Or, l’emploi dans cette fonction se maintient plutôt bien. Si le courrier disparaît, la livraison de colis, liée à la hausse des achats en ligne, a augmenté. Bien sûr, des emplois vont disparaitre, mais certainement pas aussi vite qu’on le prétend. Par contre, nos métiers évoluent aussi en intégrant de plus en plus de technologies. En devenant un prestataire ICT, nous devons recourir à des compétences de plus en plus spécialisées, dans le domaine de la sécurité par exemple. Eu égard à la vitesse dont évolue la technologie, finalement, la fonction de facteur est peut-être moins menacée que celle de spécialiste dans le domaine de la sécurité informatique, qui
est contraint de maintenir à niveaux ses compétences en permanence, au risque
de ne rapidement plus avoir la moindre valeur. » Ces réalités, au Luxembourg, sont partagées par l’ensemble des secteurs, de l’industrie à la finance. L’ensemble des acteurs doivent se doter des ressources nécessaires pour évoluer, préserver leur compétitivité grâce à la technologie.

Le rôle crucial de la formation et de l’éducation

La pénurie de compétences digitales, déjà perceptible aujourd’hui, risque
de rapidement se faire plus sensible. Pour réussir la transformation numérique tout en préservant l’emploi, l’objectif est de pouvoir, dès à présent, adapter les compétences, de les faire évoluer. L’éducation et la formation professionnelle continue ont un rôle clé à jouer. L’enseignement doit, à son tour, s’inscrire plus encore dans la perspective de l’émergence d’une économie digitale, en se repensant en profondeur.

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